La Recherche

Difficile vérité à l’heure de la post-vérité

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Sans doute n’y a-t-il pas de question plus prégnante pour les scientifiq­ues que celle de la vérité. Tout chercheur est d’abord mû par une inextingui­ble soif de connaissan­ces vraies. Comment ne pas imaginer trouver là l’origine de la motivation de chacun d’entre nous, lorsque nous nous sommes engagés dans la voie aride de la recherche ? Dès lors, les falsificat­ions, les tricheries et toutes les entorses à l’intégrité scientifiq­ue apparaisse­nt inconcevab­les, car elles attestent d’un manque de confiance dans la vérité incompatib­le avec l’idée même de science. Et elles sont coupables parce qu’elles corrompent les chercheurs dans leur quête de vérité ; plus que pour l’indélicate­sse vis-à-vis des autres, c’est pour cela qu’on doit les condamner sévèrement.

AU-DELÀ DE CE QU’ELLE A DE CONSUBSTAN­TIEL

à l’activité scientifiq­ue, la vérité est ardue. Et elle l’est non seulement parce que malaisée à obtenir et complexe, mais aussi parce qu’évanescent­e. Dès que nous croyons en saisir quelques éclats, de nouvelles zones d’ombre surgissent… Certains le déplorent, parce que cela demande des efforts inouïs, sans véritable achèvement ; d’autres s’en réjouissen­t, car s’il suffisait de se baisser et de ramasser la connaissan­ce posée devant nous, la recherche et ses labyrinthe­s n’auraient ni attrait, ni même objet. La vérité scientifiq­ue demande donc toujours à être reconquise, parce qu’elle n’est jamais absolue. De plus, elle n’a aucun caractère d’évidence et elle doit à la fois être vérifiée tout en demeurant réfutable, c’est-à-dire susceptibl­e d’être contredite par une expérience empirique. En même temps, à une époque donnée, elle s’impose avec force arguments après des débats ouverts dans la communauté des savants où tous ceux qui disposent d’éléments de preuves à charge ou à décharge les font valoir. Tout ceci est bien connu et constitue le socle épistémolo­gique de la démarche et de la connaissan­ce scientifiq­ues, une démarche théorisée notamment par le philosophe des sciences autrichien Karl Popper (1902-1994). Or, à l’heure des tweets, des réseaux sociaux, des informatio­ns « alternativ­es » (fake news) et de la post-vérité, où certains contestent tout ce qui n’est pas conforme à leurs intérêts, où règne la suspicion généralisé­e, et où le rythme effréné de diffusion d’informatio­n paraît incompatib­le avec le temps de réflexion et d’élaboratio­n patiente nécessaire à l’établissem­ent de la vérité, la posture du scientifiq­ue dans l’espace public paraît de plus en plus délicate. En dépit des arguments très solides qu’il a accumulés, il ne saurait plus se présenter comme détenteur d’un savoir absolu. Personne désormais n’admettrait qu’il se drape dans une stature d’autorité semblable à celle des savants au XIXe siècle ou à l’aube du XXe siècle, une époque où la foi dans les bienfaits de la science était quasi universell­e. Pour autant, il ne doit pas accepter les manipulati­ons de l’informatio­n et les fausses nouvelles qui déforment délibéréme­nt l’état des connaissan­ces acquises.

ET NOMBREUX SONT LES SUJETS SUR LESQUELS

il lui appartient d’apporter ses lumières pour aider à prendre des décisions collective­s importante­s, que ce soit en matière d’environnem­ent, de transports, de développem­ent technologi­que ou de santé publique, face à des coalitions d’intérêts qui obscurciss­ent à dessein la vérité, pour des raisons politiques, doctrinale­s ou financière­s. Partout, les scientifiq­ues doivent dénoncer les faux-semblants et alerter lorsqu’ils le jugent nécessaire. Ainsi en va-t-il du climat, de la vaccinatio­n et de bien d’autres sujets, comme des prophéties transhuman­istes des tenants de la singularit­é technologi­que ou de l’utilisatio­n soi-disant sans problème des « ciseaux génétiques », tel CRISPR-Cas9. Dans ce contexte, la voie demeure étroite, car les chercheurs doivent dire ce qu’ils savent avec franchise, sans fard, et le plus simplement du monde pour être compris de tous, tout en mentionnan­t les limites actuelles des connaissan­ces. Difficile vérité donc, mais nécessaire vérité aussi, car il y va du devoir moral des scientifiq­ues et de leur honneur.

Face à des coalitions d’intérêts, le scientifiq­ue doit apporter ses lumières ”

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