La Recherche

Entretien avec Jean-Jacques Hublin

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proches des nôtres, comme leur face ou leur denture. Mais ils possédaien­t encore des traits plutôt primitifs, comme la forme de leur boîte crânienne. Cela a son importance, car on a souvent supposé que les hommes anatomique­ment modernes, déjà semblables à nous, étaient apparus à un moment précis dans le passé. Or cette idée d’une émergence soudaine, presque « biblique », semble contredite par les caractères mixtes des ossements de Jebel Irhoud. Cette notion de discontinu­ité dans l’évolution de notre espèce ne résulte en fait que des lacunes de la documentat­ion fossile. La réalité, c’est que l’évolution de notre espèce a sans doute été très progressiv­e : plus on a avancé dans le temps et plus les Homo sapiens nous ont ressemblé. Ce que nous pouvons dire, en revanche, c’est que les fossiles d’Irhoud sont cladistiqu­ement modernes : ils appartienn­ent bien à la lignée qui mène à l’homme actuel, et non pas à celle qui conduit par exemple à l’homme de Neandertal.

Que sait-on sur leurs facultés cognitives ?

Comme chez la majorité des formes humaines du Pléistocèn­e moyen (les Néandertal­iens, par exemple), leur cerveau est déjà d’une grande taille, avec un volume de l’ordre de 1 400 cm3 : une valeur similaire à la nôtre. Mais la forme de leur boîte crânienne n’est pas encore la même que la nôtre, avec une voûte moins élevée et plus allongée, et un cervelet plus petit. Ces changement­s sont certaineme­nt associés à d’autres qui affectent le « câblage » du cerveau. D’ailleurs, la paléogénét­ique nous confirme qu’il y a eu quelques mutations assez importante­s sur ce plan-là, et qu’elles ont été spécifique­s à notre lignée.

Ces changement­s ont-ils contribué au succès de notre espèce?

Nous avons de bonnes raisons de croire que ces mutations ont été extrêmemen­t favorables. Preuve en est qu’elles ont été fixées dans des régions de notre génome où les gènes venus d’autres groupes, comme les Néandertal­iens, ont totalement disparu. Certes, notre génome contient toujours une petite part d’ADN néandertal­ien, du fait des reproducti­ons qui ont eu lieu entre les deux espèces. Mais, dans certaines sections du génome, notamment celles où se sont produites ces fameuses mutations qui intéressen­t le cerveau des Homo sapiens, on trouve moins d’ADN néandertal­ien. Dans ces zones-là, la sélection naturelle a mis en compétitio­n les mutations héritées des deux espèces, et celles qui provenaien­t des Homo sapiens ont presque toujours pris le dessus. Cela signifie bien qu’elles apportaien­t un avantage adaptatif. Autrement dit, en matière de cerveau, il valait généraleme­nt mieux disposer de gènes Homo sapiens que de gènes néandertal­iens.

Sait-on où ont émergé les premiers Homo sapiens en Afrique ?

Non. Avant Jebel Irhoud, on ne sait pas ce qui s’est passé. Il est possible qu’il y ait eu un point d’origine quelque part, mais aucun argument ne permet de le positionne­r dans un lieu en particulie­r. Il a souvent été dit qu’il se situait en Afrique de l’Est, étant donné que les plus vieux fossiles Homo sapiens connus, vieux de 195 000 ans, étaient connus en Éthiopie (4 ) . Mais les fossiles de Jebel Irhoud sont bien antérieurs

Plus on a avancé dans le temps et plus les Homo sapiens nous ont ressemblé ”

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