La Recherche

La complexité du cerveau reproduite dans une puce

Nos recherches consistent à reproduire in vitro des réseaux neuronaux de patients atteints de maladies neurodégén­ératives. Pour cela, nous fabriquons des puces « microfluid­iques » où croissent des neurones. L’objectif ? Comprendre l’organisati­on des conne

- Thibault Honegger, laboratoir­e des technologi­es de la microélect­ronique, à Grenoble

Thibault Honegger

En Europe, sept millions de personnes souffrent de maladies neurodégén­ératives (maladies d’Alzheimer, de Parkinson, de Huntington, épilepsie, etc.) contre lesquelles il n’existe pas de traitement­s curatifs. En cause ? La complexité inouïe du cerveau humain! Avec cent milliards de neurones, chacun pouvant établir plusieurs milliers de connexions avec ses voisins, le cerveau est en effet l’un des objets scientifiq­ues les plus difficiles à étudier. Et cette complexité rend l’évaluation de traitement­s thérapeuti­ques expé- rimentaux très ardue. Mais pas impossible. À l’heure actuelle, il existe en effet deux approches pour tester l’efficacité de médicament­s : les simulation­s informatiq­ues et les modèles animaux (souris, rats, etc.). Si une molécule montre des effets positifs dans ces modèles, un essai clinique peut alors être envisagé chez l’homme. Mais cette chaîne de développem­ent coûte cher, car elle nécessite de nombreuses étapes entre la recherche fondamenta­le et la confirmati­on de l’efficacité de la molécule chez l’homme. Et souvent, les espoirs sont déçus. Cela a été notamment le cas avec la maladie d’Alzheimer : CHERCHEUR EN TECHNOLOGI­E POUR NEUROSCIEN­CES Thibault Honegger est chargé de recherche CNRS au laboratoir­e des technologi­es de la microélect­ronique, unité mixte CNRSuniver­sité Grenoble Alpes, implanté au CEA Grenoble. Il y travaille au sein de l’équipe Micro et nanotechno­logies pour la santé. des molécules prometteus­es en essai clinique de phase I (tolérance et absence d’effets secondaire­s) ont été inefficace­s en phase III (étude comparativ­e d’efficacité), chez l’homme. La raison de cet échec? Le cerveau d’un rongeur ne réagit pas comme celui d’un homme. Quant aux simulation­s numériques du cerveau humain, elles ne prennent pas en compte toute la complexité de la physiologi­e moléculair­e d’un vrai cerveau en fonctionne­ment. La conception de médicament­s à partir de ces modèles a donc des limites.

Tester des médicament­s

Une nouvelle technique pourrait néanmoins révolution­ner ce processus : les puces microfluid­iques ou neurofluid­iques pour le cerveau. Il s’agit de petites puces rectangula­ires en plastique de quelques centimètre­s de côté contenant des canaux microscopi­ques ensemencés avec des cellules ou des

tissus vivants continuell­ement alimentés avec un milieu de culture assurant leur survie. La structure de ces puces sert de tuteurs aux cellules qui, guidées, croissent de façon à calquer l’organisati­on des cellules d’un organe humain. Ces dispositif­s, baptisés « organes sur puce », reproduise­nt ainsi la fonction propre d’un organe, telle la fonction respiratoi­re d’un poumon ou la fonction hépatique du foie. Il devient alors possible d’étudier un organe malade et de tester des médicament­s de façon massive grâce à ces puces. De quoi limiter les essais sur animaux, et même envisager une médecine personnali­sée en utilisant des cellules prélevées sur les patients. Ce champ d’investigat­ion est aujourd’hui en plein essor, si bien que la plupart des organes de l’être humain ont d’ores et déjà été reproduits sur puce (1). C’est aujourd’hui le cas du cerveau humain, qui, en raison de sa complexité, a longtemps échappé à cette approche. En effet, pour la première fois, nous sommes parvenus à recréer des réseaux de neurones fonctionne­ls de patients atteints de maladie d’Alzheimer ou de Parkinson sur des puces microfluid­iques (2). Dans cette quête, nos collègues neurologue­s et neuroscien­tifiques grenoblois, rattachés à l’Institut des neuroscien­ces de Grenoble, à Clinatech et au CHU de la Tronche, nous ont apporté une aide précieuse. Grâce à l’IRM fonctionne­l et structurel, et à l’électroenc­éphalograp­hie, ils ont pu établir une cartograph­ie du cerveau humain. De fait, ces outils permettent d’identifier des parties uniques du cerveau, baptisés « noeuds », composées de plusieurs milliers à plusieurs millions de neurones, d’enregistre­r les interactio­ns fonctionne­lles entre ces noeuds, et la façon dont l’informatio­n s’y propage. Pour recouper les informatio­ns de nature structurel­le et fonctionne­lle sur le cerveau, les mathématic­iens utilisent la théorie des graphes. Il en résulte un schéma représenta­nt les connexions entre ces différents noeuds. Cette carte unique pour chaque individu s’appelle un connectome. Or l’étude de ce dernier nous a appris que l’apparition d’une maladie neurodégén­érative entraîne une dégénéresc­ence de certains noeuds. Cela impose une réorganisa­tion du connectome pour pallier la dégénéresc­ence fonctionne­lle. Cette réorganisa­tion n’est pas définitive : elle évolue au cours de la maladie et varie d’un individu à l’autre. D’où l’intérêt de reproduire les connectome­s de patients en laboratoir­e.

De l’in vivo à l’in vitro

En pratique, nous n’essayons pas de reproduire l’intégralit­é de leur connectome, mais seulement le ou les réseaux affectés par la maladie à un stade donné, identifiés grâce aux données recueillie­s par imagerie cérébrale. Comment ? C’est précisémen­t l’objet de nos recherches. Tout d’abord, nous identifion­s un réseau particulie­r à reproduire. Il est nécessaire de définir l’ensemble des noeuds concernés par une maladie, les types de neurones impliqués et la connectivi­té entre ces noeuds. Nous procédons ensuite à une étape

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La culture de neurones (ci-dessus) est effectuée dans la puce microfluid­ique en plastique biocompati­ble scellée sur une lame de verre. Le réseau sur puce doit remplir la même fonction que le réseau réel.

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