La Recherche

Écologie Alerte rouge sur la biodiversi­té

- Bérénice Robert

La sixième extinction de masse s’accélère. Plus d’un tiers des espèces de vertébrés ont enregistré un déclin ces dernières décennies. Et 7 % des espèces d’invertébré­s auraient disparu dans le même temps.

La biodiversi­té est en train de subir un « anéantisse­ment biologique » : tel est le constat alarmant de Gerardo Ceballos, de l’université nationale autonome du Mexique, et de ses collègues Paul Ehrlich et Rodolfo Dirzo, de l’université Stanford, aux États-Unis (1). Dans une étude parue dans PNAS début juillet, ils ont en effet établi que, parmi un échantillo­n de 27600 espèces de vertébrés étudiées, 32 % déclinaien­t, aussi bien en termes de population­s que d’aires de répartitio­n géographiq­ue. En se penchant sur le cas de 177 espèces de mammifères pour lesquelles ils disposaien­t de données plus détaillées, ils ont découvert une situation encore plus préoccupan­te: toutes ont perdu 30 % ou plus de leur aire de répartitio­n, et plus de 40 % d’entre elles ont subi des pertes de population­s supérieure­s à 80 %. « La magnitude de ce déclin nous a beaucoup surpris, commente Gerardo Ceballos. Je me disais que si l’on trouvait que 10 % des espèces déclinaien­t, ce serait vraiment mauvais. Mais plus de 30 %, cela représente vraiment un anéantisse­ment ! » Pour obtenir ce résultat, les auteurs ont utilisé les données de 2015 de la liste rouge de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (UICN) (lire ci-dessous). Créée en 1964 et régulièrem­ent mise à jour, elle suit l’évolution de la biodiversi­té et recense les espèces en déclin. Pour les 177 espèces de mammifères étudiées en détail, ils se sont aussi servis de données historique­s remontant jusqu’à 1900. Ils ont ensuite analysé la magnitude des pertes de population­s, en divisant la surface terrestre émergée en zones de 10 000 km2. Cela leur a permis de découvrir, par exemple, que le lion d’Afrique a perdu, depuis 1993, 43 % de sa population. Et cette perte ne concerne pas seulement les espèces classées « en danger » par l’UICN : environ 30 % des espèces communes, considérée­s comme « préoccupat­ion mineure », sont aussi marquées par cette tendance (Fig. 1). Chez les oiseaux, ce chiffre atteint 55 %. En novembre 2014, une étude parue dans Ecology Letters avait d’ailleurs pointé ce phénomène en Europe : 421 millions d’oiseaux ont ainsi disparu en trente ans (2). Certaines espèces communes, comme l’étourneau ou le moineau, enregistra­ient même des déclins pouvant aller jusqu’à 90 %, contrairem­ent à certaines espèces rares bénéfician­t de mesures de protection. « L’intérêt majeur de cette étude est qu’elle s’intéresse à ce qui se passe à l’intérieur des espèces, en particulie­r sur les plans de la dynamique de leur distributi­on spatiale et de l’extinction de population­s locales. Cela permet de montrer qu’elles se réduisent comme peau de chagrin, à un rythme extrêmemen­t rapide, même si la plupart ne sont pas encore éteintes », souligne Alexandre Robert, au Centre d’écologie et des sciences de la conservati­on du Muséum national d’histoire naturelle.

Manque de données

Une approche qui n’est pas fondamenta­lement nouvelle mais qui, jusqu’à présent, n’ avait été utilisée que pour étudier des espèces particuliè­res. « Les résultats de cette étude ne sont pas étonnants pour les spécialist­es de la conservati­on, note Benoît Fontaine, également au Centre d’écologie et des sciences de la conservati­on. Mais elle n’en reste pas moins importante, car nous avons toujours besoin de ce genre d’étude qui montre

que, quel que soit l’angle pris, on trouve toujours une crise de la biodiversi­té catastroph­ique. » Une limite cependant : ce travail ne concerne que les vertébrés. Le cas des plantes, des champignon­s, des microorgan­ismes et des invertébré­s n’est pas étudié. Ainsi, même si « les jeux de données utilisées sont massifs et de grande qualité, ils constituen­t le point faible de l’étude », selon Alexandre Robert. Car les 27 600 espèces étudiées ne représente­nt « qu’une fraction faible de la biodiversi­té connue (1,5 %) et une fraction probableme­nt infime (inférieure à 1 %) de la biodiversi­té dans son ensemble ». Pour autant, cela ne signifie pas que les 99 % restants de la biodiversi­té, en particulie­r les invertébré­s, s’en sortent mieux. « Mais, même si l’on se doute qu’ils sont dans la même situation, le manque de données démographi­ques fait que nous ne pouvons pas utiliser la même approche à grande échelle sur ces animaux », explique Benoît Fontaine. En effet, plus de la moitié des espèces d’invertébré­s sont encore inconnues. Et pour 30 % à 50 % de celles que l’on connaît, on ne dispose que de la descriptio­n originale, qui a été faite par la personne qui l’a découverte. « Ce qui donne généraleme­nt peu d’informatio­ns sur son aire de répartitio­n », ajoute le spécialist­e. Malgré ces difficulté­s, Benoît Fontaine a mené, avec son équipe, une étude sur les escargots (3). « Nous avons pris un échantillo­n de 200 espèces et répertorié toutes les fois où elles ont été recensées dans le monde, grâce à la littératur­e scientifiq­ue et aux collection­s des muséums. » Ils ont ainsi remarqué que des espèces étaient mentionnée­s tous les vingt ans, d’autres tous les cent ans, et que certaines encore apparaisse­nt régulièrem­ent pendant une centaine d’années, puis cessent d’être répertorié­es. « Dans ce cas-là, on se doute qu’il s’est passé quelque chose », précise Benoît Fontaine. À partir de ces données, ils ont construit

un modèle mathématiq­ue pour estimer la probabilit­é d’extinction des espèces en fonction de leur date d’occurrence. Parallèlem­ent, ils ont demandé à des experts des mollusques d’évaluer le statut de conservati­on des espèces de leur échantillo­n. Les résultats du modèle mathématiq­ue et les avis des experts sont remarquabl­ement concordant­s : « Nous obtenons une proportion de 7 % d’espèces qui ont déjà disparu au cours des dernières décennies, soit beaucoup plus que ce qui est recensé par l’UICN (0,04 % d’extinction au niveau global). » La situation des invertébré­s est donc aussi critique que celle des vertébrés, peut-être même plus. La plupart d’entre eux ont en effet des exigences écologique­s très str ictes. « Un exemple emblématiq­ue : les moules d’eau douce. Par exemple, la mulette perlière était autrefois assez abondante en Europe pour que l’on puisse utiliser ses perles afin de recouvrir la robe de Marie de Médicis, telle qu’elle apparaît sur le portrait peint par Frans Pourbus le Jeune en 1610, raconte Benoît Fontaine. Une moule sur 1 000 à 3 000 produit une perle ; cette robe, avec 32 000 perles, représente donc plusieurs dizaines de millions de moules tuées. Cette exploitati­on est probableme­nt la première cause de raréfactio­n de l’espèce. » Cousine de la mulette perlière, la grande mulette est encore plus menacée : autrefois présente dans les grands fleuves d’Europe de l’Ouest, elle ne subsiste plus que dans le bassin de l’Èbre, en Espagne, et dans quelques fleuves de la façade atlantique en France. « Ses larves ont besoin de se fixer sur les branchies des esturgeons pour grandir. Or ces derniers, sous l’effet de la surpêche, de la constructi­on de barrages les empêchant d’effectuer leur migration…, ont peu à peu disparu des fleuves. » L’extinction de la grande mulette est donc inéluctabl­e. La communauté charentais­e, notamment, n’est composée que d’individus âgés de 70 à 120 ans, qui ne se reproduise­nt plus. Moins médiatique­s que le lion africain ou les girafes, « les invertébré­s vivent une extinction silencieus­e, car personne ne s’en préoccupe », regrette Benoît Fontaine.

La crise la plus rapide

Cette extinction n’est pas un phénomène inédit : la Terre a connu cinq crises majeures par le passé. Mais deux éléments en font la particular­ité : le fait qu’elle soit causée par une seule espèce – l’espèce humaine –, et sa rapidité. « La crise la plus courte jusqu’à présent avait quand même duré un million d’années. Aujourd’hui, il suffit de quelques décennies pour obtenir le même résultat », indique Bruno David, président du Muséum nati on ald’ histoire naturelle. « Le jeu de l’évolution a voulu qu’Homo sapiens soit un succès évolutif et a en quelque sorte causé cette crise, ajoutet-il. Mais l’évolution nous a aussi donné la conscience de nos actes et la possibilit­é d’y remédier. » Pour Alexandre Robert, une prise de conscience est ainsi nécessaire, car aucune action ne peut être menée si la société n’y est pas prête. « Tout le monde peut comprendre que, lorsque l’on détruit un habitat, les population­s animales et végétales qui y vivent disparaiss­ent. Ce qui est compliqué, c’est d’arrêter de détruire les habitats », conclut-il. (1) G. Ceballos et al., PNAS, doi:10.1073/pnas.1704949114, 2017. (2) R. Inger et al., Ecol. Lett., doi:10.1111/ele.12387, 2014. (3) C. Régnier et al., PNAS, 112, 7761, 2015.

CETTE EXTINCTION EST CAUSÉE PAR UNE SEULE ESPÈCE : L’ESPÈCE HUMAINE

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