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Pluton explorée aussi en version numérique Tanguy Bertrand et François Forget

Nos récentes simulation­s numériques de Pluton ont permis d’expliquer différents phénomènes observés par la sonde New Horizons en 2015 : la présence de la calotte de glace d’azote dans le bassin le plus profond de l’ex-neuvième planète, celle des glaciers

- Tanguy Bertrand et François Forget, laboratoir­e de météorolog­ie dynamique, à Paris

Depuis sa découverte en 1930, Pluton n’a réalisé qu’un tiers de sa révolution autour du Soleil. La planète naine est tellement éloignée de la Terre (sa position varie entre 30 et 50 fois la distance Terre-Soleil) que même les télescopes les plus puissants n’en perçoivent qu’un disque flou. Pendant quatre-vingt-cinq ans, les astronomes ont, malgré tout, accumulé les observatio­ns pour tenter de dresser un portrait de ce monde mystérieux. À partir des années 1980, à l’aide de spectromèt­res capables d’analyser la lumière réfléchie par Pluton, ils ont mis en évidence la présence de grandes quantités d’azote (N ),

2 de méthane (CH ) et d’un peu

4 de monoxyde de carbone (CO), condensés à la surface sous forme de glace. Aux températur­es estimées sur Pluton (environ -235 °C à la surface), cela signifie qu’une fine atmosphère essentiell­ement composée d’azote doit coexister avec, d’une part, des dépôts de glace en surface et, d’autre part, du méthane et du monoxyde de carbone en phase gazeuse. Cette atmosphère est détectable lorsque Pluton passe devant une étoile. Il est alors possible d’en estimer la densité. Mystérieus­e- ment, entre 1988 et 2010, la pression atmosphéri­que semble avoir triplé. Dès lors, les spéculatio­ns vont bon train sur ce que l’on pourrait y trouver. Tout change le 14 juillet 2015 lorsque, après presque dix ans de voyage, la sonde New Horizons de la Nasa survole à moins de 12 500 km la planète naine. Surprise ! Grâce à ses caméras et ses spectromèt­res, la sonde révèle un monde magnifique aux paysages variés, inédit dans le Système solaire et débordant

Pendant quatre-vingt-cinq ans, Pluton est restée très mystérieus­e. Son exploratio­n en 2015, par la sonde New Horizons, a révélé un monde complexe, inédit dans le Système solaire et débordant d’activité. Des simulation­s numériques permettent maintenant de comprendre les processus qui l’ont façonnée.

d’activité. La croûte de Pluton, composée de glace d’eau très froide, est dure comme de la roche et forme des montagnes escarpées de plusieurs milliers de mètres de hauteur qui contrasten­t avec de profondes vallées. Sur ce socle reposent comme prévu des mélanges de glaces d’azote, de méthane et de monoxyde de carbone (Fig. 1), mais les quantités présentes sont surprenant­es. D’immenses étendues de givre et de spectacula­ires glaciers témoignent de la complexité et de la diversité géologique de Pluton. Ainsi, on ne peut rater la colossale structure brillante en forme de coeur baptisée Tombaugh Regio. Le lobe gauche du coeur correspond à une calotte glaciaire d’azote massive, avec un peu de méthane et de monoxyde de carbone, large comme la France et sans doute épaisse de plusieurs kilomètres. Son centre est brillant et lisse, dénué de cratères d’impact, ce qui est signe d’une activité géologique récente (moins de 10 millions d’années). À l’inverse, les terrains équatoriau­x sont plus sombres et fortement cratérisés, donc plus âgés géologique­ment. Cette calotte glaciaire ne s’est pas constituée aux pôles et en altitude comme c’est le cas sur Terre. Au contraire, elle est présente à l’équateur, au fond d’un vaste bassin topographi­que appelé Sputnik Planitia. Tout autour du bassin, l’activité glaciaire semble avoir érodé et sculpté les montagnes. New Horizons détecte également de la glace de méthane presque partout dans l’hémisphère nord (plongé dans une longue nuit polaire, l’hémisphère sud n’est pas observable), et cette glace semble exister sous différente­s textures. Au pôle nord, elle est très pure et très brillante, et se différenci­e ainsi de celle située aux moyennes latitudes, de couleur jaunâtre. À l’équateur, à l’est de Tombaugh Regio, elle forme des glaciers plus sombres ressemblan­t à des dunes terrestres, aux crêtes tranchante­s. L’atmosphère de Pluton surprend également. La sonde mesure une pression en surface d’environ 1 pascal (1/100 000e de l’atmosphère terrestre), ainsi que la températur­e de l’atmosphère, à la fois dans le bassin Sputnik Planitia au sud du glacier d’azote et à l’extérieur du bassin aux moyennes latitudes nord. Étrangemen­t, les températur­es obtenues diffèrent. Enfin, en observant Pluton à contre-jour, la sonde révèle aussi la présence d’une somptueuse brume organique bleutée structurée en une multitude de couches fines ! Tous ces phénomènes observés sur Pluton sont autant d’énigmes à résoudre : comment s’est formée la calotte glaciaire d’azote dans Sputnik Planitia ? Comment se sont constitués les glaciers de méthane à l’équateur ? Pourquoi la pression a augmenté au cours des dernières décennies ? Comment expliquer la couleur des brumes dans l’atmosphère ? Depuis plusieurs années, notre équipe du laboratoir­e de météorolog­ie dynamique s’est spécialisé­e dans la modélisati­on sur ordinateur des environnem­ents planétaire­s, en s’appuyant uniquement sur des principes physiques universels. Nous développon­s notamment des modèles de climats globaux ( Global Climate Models, ou GCM) qui permettent de simuler

(*) L’équilibre

solide-gaz est un état où un solide et sa vapeur sont en équilibre thermodyna­mique : il y a autant de sublimatio­n du solide que de solidifica­tion du gaz. l’atmosphère. Dans un quadrillag­e tridimensi­onnel, chaque maille contient une valeur unique de températur­e, de vitesse du vent et de compositio­n atmosphéri­que, qui évolue au cours du temps selon les équations de la dynamique des fluides et des différents mécanismes qui contrôlent les échanges thermiques localement. Ces simulation­s numériques ont permis de mieux comprendre le climat de la Terre, de Mars, Vénus, Titan, des planètes géantes et même des exoplanète­s. Pourquoi ne pas l’adapter à Pluton pour en expliquer certains phénomènes ? Brique par brique, nous avons ainsi construit le modèle numérique de Pluton en représenta­nt numériquem­ent une sphère de 2 380 kilomètres de diamètre, orbitant autour du Soleil. Puis nous avons résolu en chaque point les équations décrivant les processus physico-chimiques. Un des premiers défis rencontrés par les modélisate­urs de climat est de pouvoir faire « tourner » les simulation­s assez longtemps pour arriver à un état d’équilibre, un moment où la répartitio­n des glaces et des éléments volatils, ainsi que les températur­es de sous-surface, de surface et de l’atmosphère, ne dépendent plus de l’état initial arbitraire­ment choisi. Hélas, parce qu’elle est très éloignée du Soleil, Pluton est régie par un cycle saisonnier bien plus long que la Terre. Surtout, elle reçoit très peu d’énergie, et donc tous les processus chimiques et thermodyna­miques à sa surface sont très lents. Par conséquent, il faut simuler de nombreuses années plutonienn­es (l’équivalent de quelques milliers d’années terrestres) pour ne plus être sensible à l’état initial. Sur nos ordinateur­s, cela nécessite des mois de calculs avec le modèle classique !

Tous les phénomènes observés sur Pluton sont autant d’énigmes à résoudre

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apparaît sur cette photo prise à contre-jour. Elle résulterai­t de l’effet de la lumière du Soleil sur les molécules d’azote et de méthane de l’atmosphère de Pluton.
UNE SUBLIME BRUME BLEUTÉE apparaît sur cette photo prise à contre-jour. Elle résulterai­t de l’effet de la lumière du Soleil sur les molécules d’azote et de méthane de l’atmosphère de Pluton.

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