La Recherche

La rétine, une caméra (très) intelligen­te Adrien Peyrache

- Adrien Peyrache est neuroscien­tifique à l’université McGill, au Canada. Il y dirige un laboratoir­e de recherche dédié à l’étude des processus neuronaux impliqués dans la navigation spatiale et la mémoire.

L’organisati­on des neurones rétiniens reflète celle du monde extérieur ”

La tête posée contre la vitre du TGV, je m’amuse à noter que la végétation le long de la voie forme des lignes qui défilent bien plus rapidement que les montagnes à l’horizon. Qu’est-ce qui, dans notre système visuel, parvient à estimer ainsi la vitesse du mouvement ? Notre cerveau doit certaineme­nt posséder des réseaux neuronaux complexes dédiés à cette tâche. En fait, des études récentes montrent qu’un prétraitem­ent des informatio­ns visuelles relatif aux déplacemen­ts a lieu bien en amont du cerveau, dès la rétine !

CONTRAIREM­ENT À CE QUE L’ON A PU ENTENDRE

sur les bancs du lycée, la rétine n’est pas un simple capteur de lumière. Cette couche de neurones qui recouvre le fond de nos yeux et traduit la lumière en impulsions électrique­s n’envoie pas une informatio­n brute au cerveau. Elle procède au préalable à une analyse approfondi­e de notre champ visuel et elle réalise un traitement complexe des stimuli avant de transmettr­e au cerveau des signaux relatifs à nos mouvements. Comment ? La rétine possède une trentaine de réseaux indépendan­ts qui traitent chacun un aspect des stimulatio­ns lumineuses et transmette­nt ces informatio­ns à différente­s régions du cerveau. On connaissai­t bien les principaux réseaux dédiés au traitement de la couleur et de l’intensité lumineuse. Mais l’on commence tout juste à comprendre celui qui traite des déplacemen­ts. L’équipe de David Berson, à l’université Brown, dans l’État de Rhode Island, vient ainsi de montrer que les neurones de ce réseau ne sont sensibles qu’à des directions particuliè­res dans le champ visuel (1). Plus précisémen­t, les neurones déchargent – c’est-àdire libèrent une impulsion électrique – pour seulement quatre orientatio­ns privilégié­es : vers le haut, vers le bas, vers l’avant et vers l’arrière. En chaque point de la rétine, ces quatre orientatio­ns forment deux directions orthogonal­es l’une par rapport à l’autre : l’axe haut-bas et l’axe avant-arrière. La rétine formant une demi-sphère, ces directions tournent légèrement d’un point à un autre. Si bien que, sur l’ensemble de la rétine, elles forment un maillage de lignes incurvées correspond­ant en fait aux lignes du flux optique. Exactement comme celles observées à grande vitesse à bord d’un train ! Ou encore celles que forment les étoiles à travers le cockpit du Faucon Millenium, dans la saga Star Wars, quand ce dernier atteint des vitesses supralumin­iques. L’organisati­on de notre rétine est donc parfaiteme­nt adaptée à notre façon de nous déplacer dans notre environnem­ent. Preuve en est que, chez la souris, la partie basse de la rétine est majoritair­ement tapissée de récepteurs sensibles à la lumière bleue. Précisémen­t là où la lumière du ciel est projetée (sur la rétine, le champ visuel est inversé). Quant à la partie haute, ce sont des récepteurs de la couleur verte qui dominent. Vert… comme la couleur de l’herbe dans laquelle les souris courent (2) ! Il est fascinant de constater à quel point l’organisati­on des neurones rétiniens reflète celle du monde extérieur.

LOIN D’ÊTRE UNE SIMPLE CAMÉRA BIOLOGIQUE,

la rétine n’en finit pas d’émerveille­r la communauté neuroscien­tifique. Un collègue de l’Institut de la vision à Paris me confiait récemment combien il restait médusé par la complexité des réponses neuronales qu’il observe. Illuminez seulement une partie de la rétine, et voici que des neurones restés dans la pénombre se mettent à décharger eux aussi. Pourquoi ? Parce que cet organe ne se contente pas de traiter les informatio­ns lumineuses comme un ensemble de points indépendan­ts. Les neurones sont interconne­ctés et communique­nt à travers différents points de la rétine. Ce réseau complexe de traitement du signal, que des millions d’années d’évolution ont raffiné et adapté aux besoins de l’animal, est extrêmemen­t performant. De nombreux projets prometteur­s visent aujourd’hui à créer des rétines artificiel­les pour les patients ayant perdu l’usage de leurs yeux. Gageons cependant qu’il faudra attendre encore longtemps avant de voir des prothèses aussi performant­es que les réalisatio­ns extraordin­aires de la nature. (1) S. Sabbah et al., Nature, 546, 492, 2017. (2) A. Szél et al., J. Comp. Neurol., 325, 327, 1992.

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