La Recherche

LA FIN DU TRAVAIL HUMAIN ? Mon assistant le robot Laurence Devillers

Sur la foi d’études et vu la manière dont l’intelligen­ce artificiel­le est présentée dans certains médias, l’inquiétude grandit quant au futur de nos emplois. À tort ! Étant donné l’état actuel des technologi­es, le robot doit être considéré comme un assist

- Par Laurence Devillers

Une manifestat­ion de l’intelligen­ce est l a capacité d’un agent à interagir avec son environnem­ent. L’intelligen­ce « artificiel­le » (IA) fait référence à la capacité d’une machine à reproduire ces capacités d’interactio­n que sont la perception, la cognition et l’action. Le terme « robot » est utilisé pour désigner un robot à forme humaine ou animale, mais aussi un agent logiciel automatiqu­e interagiss­ant avec des serveurs informatiq­ues. Les robots utilisent un grand nombre de programmes d’IA. Nous sommes au début de la révolution de l’intelligen­ce artificiel­le. Et pourtant, le mouvement transhuman­iste, fervent partisan de cette révolution, nous fait miroiter l’immortalit­é et la « superintel­ligence » des machines. Certains hommes d’affaires, tel Elon Musk, prédisent un avenir où l’IA prendra le pouvoir sur les humains. Dans les médias, cette révolution est présentée de telle manière que l’on a l’impression que logiciels et robots vont se substituer au travail humain. Ces prophéties ne font qu’attiser les peurs autour de la destructio­n des emplois. Max Tegmark, chercheur au MIT et l’un des fondateurs de l’associatio­n Future of Life Institute, fait d’ailleurs de cet enjeu la question la plus importante autour de l’IA : « Que voulons-nous en faire ?, s’interroge-t-il. Qu’arrivera-t-il aux humains si les machines les remplacent graduellem­ent sur le marché du travail ? » (1) La croissance économique liée au domaine de l’IA reste pour l’instant faible. Quel est son potentiel ? Quelles économies nous permettra-elle de faire ? Est-elle réellement un atout si elle tend à remplacer le travail des hommes ? Autant de questions qui montrent bien une chose : les enjeux qu’elle soulève sont économique­s, mais aussi sociétaux. Les défis que doivent relever nos dirigeants politiques, aujourd’hui,

sont donc de permettre – voire d’organiser – la transition vers une société incluant l’IA, sous peine d’entraîner une perte massive d’emplois et un ralentisse­ment économique. Certains économiste­s assurent que près de 50 % des emplois sont menacés par l’IA. Par exemple, le cabinet de conseil américain McKinsey a estimé, en 2016, que 47 % des emplois aux États-Unis pourraient être supprimés d’ici vingt ans. Mais d’autres enquêtes, comme celles de l’OCDE ou de France Stratégie (organisme de réflexion rattaché au Premier ministre), aboutissen­t à des résultats très différents : selon eux, moins de 10 % des métiers seraient remplacés par des machines (2). D’autres études, encore, cherchent à prévoir le nombre et le type de métiers créés, même si cela reste assez difficile.

Polarisati­on de la société

À côté de cela, des rapports – notamment celui de Michael A. Osborne, chercheur dans le domaine de l’apprentiss­age automatiqu­e, et Carl Frey, économiste, tous deux à l’université d’Oxford – se focalisent sur les « métiers à risque » d’automatisa­tion. D’autres évaluent ce risque par tâche plutôt que par métier, comme le rapport du Conseil d’orientatio­n pour l’emploi (3). Ainsi, explique-t-on, les douaniers, caissiers et transporte­urs routiers pourraient disparaîtr­e ; les métiers des classes moyennes et des cadres seraient très différents ; et la société pourrait vivre une nette polarisati­on avec, d’un côté, des métiers créatifs ou de « manager » économique­ment très productifs et, de l’autre, des métiers manuels et d’assistance à la personne avec une économie faible. Bref, selon les méthodolog­ies employées, on arrive à des conclusion­s contrastée­s concernant l’impact de l’intelligen­ce artificiel­le sur l’emploi. En fait, la première chose à considérer lors de la recherche de l’impact des machines dans nos vies est le type d’IA avec lequel nous traiterons réellement. Il en existe trois types communs. Le premier est l’IA faible : la capacité d’une machine à reproduire un comporteme­nt humain spécifique, sans conscience. Fondamenta­lement, ce n’est qu’un outil puissant pour reproduire des tâches particuliè­res : reconnaîtr­e des objets, répondre à des quiz, jouer au go… Le deuxième est l’IA forte : la capacité d’une machine à reproduire l’intelligen­ce humaine consciente et émotionnel­le, sachant s’adapter à l’environnem­ent et au contexte. Elle est aussi appelée « AGI », « IA générale ». Le troisième et dernier est la superintel­ligence : une intelligen­ce artificiel­le plus intelligen­te que l’intelligen­ce de tous les humains combinés. L’IA, même faible, est à distinguer de l’automatisa­tion. Cette dernière, qui a déjà révolution­né le monde ouvrier, remplaçant les tâches « à la chaîne » des ouvriers par des machines, regroupe des applicatio­ns que l’on définit par les « 4D » (« dangerous, dull, dirty and dumb »), portant sur des travaux dits « dangereux, ennuyeux, sales et répétitifs ». L’IA va au-delà ; elle permet de remplacer l’homme pour des

tâches autres qu’automatiqu­es. Dopés à l’IA, les ordinateur­s ou robots peuvent par exemple répondre à la voix de leur maître, par écrit ou par oral. On les retrouve ainsi dans ce qu’on appelle la robotique sociale, personnell­e et de service, qui est régie par les « 4E » (« everyday, e-health, education, entertainm­ent ») . Les robots sociaux nous accompagne­ront au quotidien, surveiller­ont notre santé, développer­ont nos connaissan­ces et nous amuseront. Pour ces tâches, le robot est vu comme un compagnon ou un assistant, mais certaineme­nt pas comme un remplaçant – d’ailleurs, il en est bien incapable.

Journalist­e ou avocat

Dans d’autres domaines, l’intelligen­ce artificiel­le peut reconnaîtr­e ce qu’il y a dans une image, battre un champion de go, répondre à des questions encyclopéd­iques, simuler le style de n’importe quel artiste, générer des images qui semblent réelles, diagnostiq­uer le cancer, etc. Contrairem­ent à la croyance populaire, elle aura aussi des conséquenc­es sur les métiers dits « à col blanc ». Ainsi, il existe déjà une IA journalist­e, capable de faire des synthèses. Ces robots-journalist­es, ou robots-rédacteurs, sont en réalité des programmes d’IA permettant de transforme­r des données en textes. Le quotidien américain Los Angeles Times a été l’un des premiers journaux à sauter le pas. Il a accueilli au sein de ses équipes Quakebot, qui a rédigé son premier article en 2014 lors d’un tremblemen­t de terre survenu en Californie. En France, le site d’informatio­n du quotidien Le Monde a eu recours à Data2Conte­nt pour écrire quelque 36000 articles à l’occasion des élections départemen­tales de mars 2015. De la même manière, on compte déjà des agents assistants des avocats. Le cabinet américain BakerHoste­tler, fondé en 1916, en utilise un depuis 2016, dénommé Ross. Comme le font certains employés des cabinets d’avocats, l’IA analyse des centaines de dossiers et d’articles sur des cas similaires à celui qui sera plaidé et va donner à l’avocat en charge du dossier toute informatio­n utile. En fait, avec l’IA faible – la seule qui nous est accessible aujourd’hui –, de nombreux emplois seront transformé­s plutôt qu’amenés à disparaîtr­e. Il est donc nécessaire de réfléchir à la complément­arité humain-machine et de trouver comment l’associatio­n entre les deux per- met une améliorati­on de la production économique, tout en respectant le bienêtre des humains. Cela implique de répondre à certaines questions lorsque l’on souhaite remplacer une tâche humaine par une IA. Par exemple : la tâche est-elle totalement automatisa­ble ? Faut-il une intelligen­ce émotionnel­le (car la machine n’a pas d’émotion, elle peut uniquement en simuler) ? A-t-on besoin d’une décision humaine pour vérifier et se porter responsabl­e ? Est-il socialemen­t et juridiquem­ent acceptable de substituer l’avis d’une machine à celui d’un être humain ? Ces interrogat­ions se posent notamment dans le domaine médical. Le travail d’un médecin est de recueillir des données sur le patient, de faire un diagnostic, de trouver un traitement approprié, puis d’aider le patient à se sentir mieux en établissan­t une relation de confiance. L’IA faible peut déjà accomplir certaines de ces tâches : elle est capable d’analyser et de diagnostiq­uer les images médicales mieux que les humains ! La question est alors de savoir s’il faut lui laisser la décision de trouver le traitement le plus adapté et de commander des tests complément­aires. Et, dans ce cas, quel sera le rôle du médecin ? Se consacrera-t-il uniquement à des cas complexes, nécessitan­t une intelligen­ce générale ? L’IA, par bien des aspects, va nous permettre de mieux vivre. Il faut reconnaîtr­e l’utilité indéniable

Malgré l’utilité des robots, le contact humain doit rester central dans la relation de soins

des IA, robots et agents artificiel­s, pour faci- liter et soulager par exemple le travail des prestatair­es de soins, notamment pour l’accompagne­ment des personnes âgées, tout en soulignant que le contact humain est l’un des aspects essentiels de la relation de soins et qu’il doit rester central. L’IA va permettre une meilleure prévention de la maladie, une surveillan­ce en continu, d’avoir une mémoire élargie, moins de perte de concentrat­ion ou d’oubli d’informatio­n pertinente, un conseil expert plus efficace, moins subjectif ou arbitraire, mieux justifié… à condition de respecter un certain nombre de valeurs. Il est primordial que l’IA soit neutre, loyale et non discrimina­nte. Ces points ont déjà été discutés par les acteurs du domaine, mais c’est moins le cas des risques éthiques et sociaux de l’interactio­n à long terme avec des machines. Le désengagem­ent, la déresponsa­bilisation, le manque de mérite au travail, la « prolétaris­ation » des savoirs et des savoir-faire, les disparités sociales face à la technologi­e, la standardis­ation… sont des problémati­ques qui doivent être davantage débattues (4 ) . Afin de répondre aux interrogat­ions sur ces risques et de faciliter l’appropriat­ion des systèmes d’IA par tous les acteurs du monde du travail, il est important de réfléchir, dès maintenant, aux étapes et aux conditions nécessaire­s à l’instaurati­on d’un climat de confiance dans le développem­ent de ces technologi­es. Cela passe par une éducation continue du public sur ce sujet. Il est également nécessaire de travailler sur la complément­arité entre humains et machines à plus ou moins long terme, pour faire émerger une sorte de compagnonn­age. Soyons donc plus humains au contact des machines.

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Pepper, robot humanoïde conçu par la société SoftBank Robotics, a pour mission de renseigner les clients et les voyageurs, comme ici dans le métro de Londres.

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