Biologie Corriger l’embryon, une ambition qui pose question
Aux États-Unis, une équipe internationale a modifié le génome d’embryons humains porteurs d’une mutation génétique responsable d’une maladie cardiaque. Une expérience qui suscite questions éthiques et techniques.
Depuis que l’outil CRISPR-Cas a révélé son potentiel pour le génie moléculaire, on craignait que les limites éthiques soient franchies. En 2017, elles l’ont été deux fois. En mars, une équipe chinoise a présenté la correction d’une anomalie génétique, impactant les globules rouges, chez des embryons (1). Un succès relatif révélant des difficultés techniques. Cet été, l’équipe de Shoukhrat Mit alipov, du Centre de recherche sur la cellule embryonnaire et la thérapie génique de Portland, aux États-Unis, a franchi la ligne jaune (2). Mais ni la Chine ni les États-Unis ne sont signataires de la convention d’Oviedo de 1997, qui interdit ces manipulations sur l’ embryon humain. Les États-Unis n’imposent qu’une limite : elles ne peuvent pas être financées par des fonds publics. Shoukhrat Mitalipov s’est appuyé sur des fondations privées. Ainsi libéré des aspects légaux, le biologiste s’est attaqué au gène MYBPC3 qui code une protéine cruciale dans la contraction cardiaque. Une seule copie défectueuse suffit à entraîner une cardiomyopathie hypertrophique. « C’est la plus fréquente des maladies cardiaques héréditaires, avec une prévalence d’une personne sur 500, précise Philippe Charron, cardiologue généticien à l’AP-HP. Il s’agit d’une cause majeure de mort subite du sujet jeune. » On propose aux malades de bénéficier du diagnostic préimplantatoire pour leur projet d’enfant. La fécondation est ainsi réalisée in vitro et seuls des embryons dépourvus de la mutation sont implantés dans l’utérus de la mère. « Ce n’est pas une panacée. La procédure est longue (2-3 ans en France) et aléatoire (seulement 20 % de succès). Il reste néanmoins à clarifier dans quelle mesure l’approche de thérapie génique pourrait constituer une alternative », estime Philippe Charron. Les Américains suggèrent, en effet, de corriger les embryons malades pour augmenter les chances de grossesse. Un bénéfice peutêtre marginal au regard de la transgression éthique. Mais ils l’ont fait : ils ont construit une séquence corrective, contenant quelques différences avec le gène non muté de façon à l’identifier facilement.
Injecter CRISPR pendant la fécondation
Le système CRISPR-Cas9 ne corrige pas directement l’ADN. Il produit une coupure ciblée dans le génome. La cellule colmate naturellement la brèche et peut utiliser une séquence exogène comme support à sa réparation, ce qui introduit la modification souhaitée. L’équipe de Shoukhrat Mitalipov a injecté sa séquence corrective et CRISPR-Cas9 non pas dans un embryon portant la mutation, mais dans un ovocyte sain en même temps qu’un spermatozoïde porteur du gène MYBPC3 muté issu d’un donneur malade. « Ils ont eu l’idée d’injecter le système CRISPR et le gène correctif pendant la fécondation et d’agir ainsi avant la première division », explique Carine Giovannangeli, biologiste moléculaire au Muséum national d’histoire naturelle, à Paris. Grâce à cela, les chercheurs ont réduit le risque de mosaïcisme, c’est-à-dire de formation d’un embryon avec différents types de génomes, certaines cellules possédant la mutation et d’autres, le gène corrigé. Sur les 54 embryons obtenus, 36 semblent dépourvus de la mutation et homogènes. Des résultats excellents : l’équipe chinoise n’avait précédemment transformé que deux embryons, dont un mosaïque. Après avoir vérifié que les embryons corrigés se développaient normalement pendant quelques jours, l’équipe a détruit ces embryons pour les analyser. Elle n’y a trouvé aucune mutation non désirée, dite hors cible. Une prouesse attribuée à un remarquable choix d’ARN guide, la séquence
qui s’apparie avec la zone à couper afin de diriger l’enzyme Cas. Car généralement, le système tolère de légers mésappariements, ce qui entraîne ces modifications non désirées. Shoukhrat Mitalipov et ses collègues semblent donc avoir trouvé une très bonne séquence qui ne s’est pas éloignée de son but. Encore plus fort, l’analyse des embryons montre que la réparation ne s’est pas appuyée sur le gène correctif, mais sur l’ADN de l’ovocyte. Les biologistes américains ne retrouvent pas leur séquence légèrement modifiée dans les embryons transformés. « On suppose que l’embryon possède des mécanismes de réparation différents de ceux de la cellule adulte, ce qui expliquerait ces résultats surprenants », remarque Carine Giovannangeli. D’autres spécialistes se sont étonnés. Un groupe de biologistes très réputés a ainsi publié un article critique (3). Ils relèvent que la modification induite par l’équipe de Shoukhrat Mitalipov a pu donner naissance à de larges délétions, qui ne sont pas révélées par la technique mise en oeuvre pour rechercher des mutations hors cibles. Ils estiment également que l’ADN de l’ovocyte n’a pas pu participer à la réparation du gène d’origine paternelle.
Loin de maîtriser les modifications germinales
« Dans les zygotes humains et de souris, les génomes maternels et paternels se répliquent dans des noyaux distincts, et ils entrent dans la première mitose [la première division cellulaire de l’embryon, ndlr] en tant qu’entités distinctes. À ce moment-là, ils peuvent toujours être manipulés séparément » , précise l’article. Trop éloigné, le gène maternel n’aurait donc pas pu servir de modèle à la correction du gène paternel. « Ces observations sont très intéressantes et les inquiétudes parfaitement légitimes », commente Evi Soutoglou, qui dirige le groupe biologie cellulaire de l’intégrité du génome de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, près de Strasbourg. Néanmoins, elles ne remettent pas en cause l’intégrité du travail des Américains. « Je ne pense pas qu’ils aient cherché à cacher volontairement quelque chose. Cette étude est remarquable, mais beaucoup reste à comprendre avant de maîtriser les modifications germinales », poursuit la spécialiste de la réparation de l’ADN. Des difficultés qui pourraient être surmontées plus vite qu’on l’imagine. « La rapidité des progrès techniques montre que le débat éthique doit avancer maintenant », plaide Carine Giovannangeli.
(1) L. Tang et al., Mol. Genet. Genomics, 292, 525, 2017. (2) H. Ma et al., Nature, 548, 413, 2017. (3) D. Egli et al., BioRxiv, doi:10.1101/181255, 2017.