Environnement Le climat est-il devenu fou ?
Les récents ouragans Irma aux Antilles et Harvey aux États-Unis, qui ont fait de nombreuses victimes, ainsi que les moussons dramatiques en Asie et en Afrique, mettent de nouveau en avant le rôle du changement climatique, qui favorise et renforce ces cata
Lseptembre dernier, le cyclone Irma dévastait les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélémy, dans les Antilles. Selon Météo France, « Irma est le premier ouragan à être resté trois jours de suite en catégorie 5 (*) sur le bassin Atlantique-Caraïbes depuis quel’ on dispose d’ observations satellit aires exhaustives sur la zone, c’est-à-dire depuis 1966 » . L’ événement a d’ autant plus marqué les esprits que, huit jours auparavant, le cyclone Harvey, d’intensité 4, avait frappé les côtes du Texas. Ses précipitations intenses ont noyé une bonne partie de la région de Houston, la quatrième ville des États-Unis. Moins violent, mais plus humide – il est tombé 1 200 mm d’eau en quelques jours –, il a causé la mort d’au moins 71 personnes et inondé des centaines de milliers de maisons. À la même période, les médias rapportaient également des précipitations exceptionnelles ayant provoqué des inondations et des glissements de terrain au Bangladesh, au Népal, en Inde et au Pakistan. La mousson de 2017 a déjà fait plus de 1 000 morts et déplacé des centaines de milliers de personnes en Asie du Sud. Enfin, mi-août, la mousson africaine provoquait des glissements de terrain à Freetown, la capitale de la Sierra Leone, provoquant la mort d’environ 500 personnes. Il s’agit de la pire catastrophe climatique ayant secoué la ville. La succession de ces événements dramatiques doit-elle être imputée au changement climatique ? « On ne peut pas exclure qu’il favorise ces événements », avance prudemment Théo Vischel, à l’Institut des géosciences de l’environnement, à Grenoble. Mais il convient néanmoins de distinguer les événements climatiques eux-mêmes de la catastrophe qu’ils ont provoquée en se déchaînant sur des zones densément peuplées. Fabrice Chauvin, du centre de recherche de Météo France, ajoute que « ces événements auraient pu aussi se produire si nous n’étions pas en plein changement climatique » . Pour comprendre le raisonnement des climatologues, replaçons les phénomènes climatiques dans leur contexte. Chaque année, l’Atlantique produit en moyenne six cyclones, dont deux d’intensité majeure – c’est-àdire supérieure à 3. À l’heure où nous bouclons, la saison 2017 a engendré six cyclones, dont trois d’intensité majeure (Harvey, Irma et José). La moyenne vient donc tout juste d’être dépassée. Les différentes agences météorologiques qui émettent des prévisions saisonnières avaient prévu une saison plus active que la moyenne. Ce fut également le cas de la saison 2016, qui avait produit sept cyclones, dont quatre majeurs. Quant à Irma, il se distingue par la persistance de ses vents violents, mais d’autres le surpassent par
la vitesse des vents, la quantité des précipitations ou la dépression barométrique. Si ces cyclones marquent les esprits, c’est d’abord parce qu’ils ont très durement frappé des zones emblématiques, densément et richement peuplées : Houston, emblème de la technologie américaine, et les Antilles françaises. « Ce qui est certain, c’est que les catastrophes climatiques sont de plus en plus destructrices, reconnaît Fabrice Chauvin. Mais cela est en partie dû à une démographie croissante dans les régions à risque. » Côté asiatique, les catastrophes climatiques n’ont pas été causées par des phénomènes exceptionnels. « La mousson cette année n’est pas particulièrement intense, confirme Pascal Terray, de la cellule francoindienne pour les sciences de l’eau, et de l’IRD, à Pune, en Inde. Le 29 août, il n’est tombé que 129 mm de pluie à Bombay. Mais cela a suffi à provoquer des inondations, car les précipitations ont coïncidé avec d’autres facteurs : les pluies des jours précédents, et une forte marée qui a empêché l’évacuation des eaux de pluie vers la mer. » En Afrique non plus, la mousson n’a pas été particulièrement humide. Mais, là aussi, les inondations se sont concentrées sur des zones très peuplées : Freetown, la capitale de la Sierra Leone et Niamey, la capitale du Niger. Faut-il donc conclure que le changement climatique n’a pas joué un rôle dans les récentes catastrophes ? Pas si vite. Même si le changement climatique n’est pas à l’origine de ces événements extrêmes, il les favorise et les renforce, comme l’explique Fabrice Chauvin. « La hausse des températures atmosphériques augmente la capacité de l’atmosphère à contenir de la vapeur d’eau. Ce phénomène est décrit en termes physiques par la relation dite de Clausius-Clapeyron. Selon celle-ci, si sa température monte de 1 °C, l’atmosphère peut abriter 6 à 7 % de vapeur d’eau en plus. » Cet effet explique en partie l’augmentation des précipitations, simulée par les modèles climatiques, pour les prochaines décennies dans les régions tempérées. Mais sous les tropiques, les modèles ne dessinent pas une tendance claire. Car les phénomènes conduisant aux précipitations – cyclones, moussons – se développent sur de trop petites échelles pour les modèles de circulation générale de l’atmosphère : leur grille
LES INONDATIONS SE SONT CONCENTRÉES SUR DES ZONES TRÈS PEUPLÉES
de calculs, qui s’étend sur tout le globe, présente une maille trop large. Des modélisations à plus petite échelle donnent cependant des indications. Plusieurs facteurs influencent la formation d’un cyclone : la température de l’eau d’abord, mais aussi le cisaillement des vents en altitude, c’est-à-dire la présence de variations brutales dans la direction et la force des vents. La température de l’eau, en augmentation d’environ 1 °C depuis le début de l’ère industrielle, fournit davantage d’énergie aux cyclones. En revanche, le cisaillement des vents pourrait augmenter, ce qui a tendance à empêcher le développement de ces événements extrêmes. « Nos modélisations indiquent pour l’instant que la fréquence des cyclones ne devrait pas changer dans le futur, et pourrait même diminuer, indique Fabrice Chauvin. Mais ils montrent aussi une intensification des cyclones majeurs. » Autrement dit, pas plus de cyclones, mais plus d’Irma… Cette tendance est-elle prouvée par les observations ? Irma en serait-elle la confirmation ? « Un seul cyclone ne fait pas une tendance, répond le chercheur. Les données sont trop récentes pour pouvoir dégager une tendance indépendante des variations annuelles ou multi-annuelles. » Côté mousson, les modèles se heurtent eux aussi à des difficultés pour entrevoir l’avenir : la modélisation des nuages, et surtout des précipitations qu’ils engendrent, est le « maillon faible » des modèles de circulation générale de l’atmosphère. Les simulations climatiques utilisées pour le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ont d’ailleurs du mal à reproduire les tendances des pluies de moussons indienne ou africaine observées au cours du dernier siècle. « Les modèles climatiques tendent à prévoir une augmentation des précipitations durant la mousson indienne, explique ainsi Pascal Terray. Pourtant, jusqu’aux années 2000, les pluies de mousson ont plutôt diminué en Inde. Et ce n’est que depuis 2005 que l’on observe une augmentation. »
Élévation du niveau de la mer
Mais une certitude demeure : le réchauffement climatique élève le niveau des mers. Depuis la révolution industrielle, celui-ci a augmenté de 20 cm environ, sous le double effet de la dilatation de l’eau – plus chaude – et de la fonte des glaciers. Cette élévation s’oppose à l’évacuation des eaux de pluie en cas de précipitation et favorise les inondations, que ce soit dans les îles ou en bord de mer. Or ce sont bien les inondations qui ont provoqué le plus de dégâts à Houston et à Bombay. Qu’elles soient faiblement ou fortement soutenues par les modèles, les projections pointent toutes vers une aggravation des phénomènes extrêmes. Et, à défaut de le démontrer, les événements récents en sont l’illustration. Ce qui souligne l’urgence de lutter contre le changement climatique.