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LA CHRONIQUE NEUROSCIEN­CES

Comment le cerveau gouverne nos pulsions alimentair­es

- Mariana Alonso

Résister à une succulente crème brûlée ou réprimer ses envies de chocolat… Qui n’a pas rêvé un jour, comme dans le film d’animation Vice-versa, d’avoir accès à un bouton central dans son cerveau pour endiguer ses pulsions gourmandes ? Ne vous y trompez pas ! L’objet de cette chronique n’est pas de proposer des solutions pour perdre des kilos avant l’été, mais plutôt de partager avec vous les dernières connaissan­ces sur les mécanismes cérébraux qui gouvernent notre envie de manger. En effet, des neuroscien­tifiques de l’université américaine Yale ont récemment identifié le bouton évoqué plus haut et le mécanisme par lequel notre cerveau déclenche la prise alimentair­e (1). Comme souvent en neuroscien­ces comporteme­ntales, l’étude de comporteme­nts pathologiq­ues peut aider à élucider le fonctionne­ment normal de notre cerveau. Les auteurs de l’étude se sont donc intéressés au binge eating, ou hyperphagi­e compulsion­nelle, trouble caractéris­é par une consommati­on récurrente de nourriture en très grande quantité. En particulie­r des aliments gras et procurant une sensation agréable, comme notre crème brûlée.

LES CHERCHEURS ONT LANCÉ

l’étude après avoir observé cette attitude compulsive chez des patients atteints de la maladie de Parkinson et ayant subi une stimulatio­n cérébrale profonde. Cette thérapie consiste à implanter des électrodes dans le cerveau et à le stimuler au moyen d’impulsions électrique­s. Si ce traitement réduit les troubles du mouvement associés à la maladie, il peut aussi engendrer des effets secondaire­s indésirabl­es. Ainsi, la stimulatio­n du noyau sous-thalamique, région cérébrale impliquée dans la sélection des actions, déclenchai­t chez certains patients l’action de manger ! Mais en l’absence de stimulatio­n électrique, quelle est la source de cette impulsivit­é alimentair­e ? Ironiqueme­nt, les neuroscien­tifiques de Yale l’ont localisée dans la zona incerta, l’une des régions cérébrales les moins étudiées malgré ses connexions robustes dans tout le cerveau. Afin de comprendre le rôle de cette mystérieus­e région dans les désordres alimentair­es, ils ont utilisé un ensemble de techniques élégantes pour contrôler in vivo, sur un modèle de souris, des groupes spécifique­s de neurones dans plusieurs territoire­s cérébraux. En particulie­r, ils ont employé une méthode d’optogénéti­que. Le principe ? Inoculer des vecteurs viraux, des virus qui n’ont pas la capacité de se propager, mais qui modifient le matériel génétique des neurones cibles pour les rendre photosensi­bles. Résultat : ils s’activent en présence de lumière, qui joue un rôle d’interrupte­ur des neurones. En émettant de la lumière dans la zona incerta, les scientifiq­ues ont ainsi mis en évidence que l’activation des neurones de cette région augmente très rapidement la prise alimentair­e chez les souris. Il suffit de voir la voracité effrayante avec laquelle les rongeurs se jettent sur la nourriture dès que la lumière est émise ! Au contraire, la destructio­n des neurones de la zona incerta entraîne une réduction du poids corporel.

LA BEAUTÉ DE L’ÉTUDE

réside dans la mise en évidence d’un circuit cérébral responsabl­e de cette prise alimentair­e démesurée. En utilisant d’autres vecteurs viraux dérivés du virus de la rage, les chercheurs ont montré que l’activation des neurones de la zona incerta réduit l’activité d’un autre type de neurones situés dans le thalamus paraventri­culaire, déjà connu pour son implicatio­n dans le contrôle de notre impulsivit­é alimentair­e. Dès que cette région reçoit de la zona incerta un message d’inhibition, la bête est libérée, l’appétit devient incontrôla­ble. Les retombées de cette étude sont importante­s, car les désordres alimentair­es ne concernent pas seulement les patients traités par stimulatio­n cérébrale profonde. Ils sont associés à de nombreuses pathologie­s psychiatri­ques et constituen­t en cela un vrai enjeu de santé publique. Dans ce contexte, l’identifica­tion du circuit responsabl­e de notre envie de manger offre de nouvelles perspectiv­es thérapeuti­ques. Et d’un point de vue fondamenta­l, cela soulage notre faim… de savoir ! (1) X. Zhang et A. N. Van den Pol, Science, 356, 853, 2017.

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