NEUROLOGIE
La thérapie génique pour combattre la maladie d’Alzheimer
Incurable, la maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégénérative qui entraîne la perte progressive et irréversible des fonctions cognitives, notamment de la mémoire. C’est donc un enjeu de société majeur que d’arriver à la soigner. D’après l’Alzheimer’s Association, repousser de cinq ans l’apparition de la maladie diminuerait de 50 % le nombre de cas dans le monde en 2050 et représenterait une économie de 470 milliards d’euros. La maladie d’Alzheimer est complexe, multifactorielle. Elle se caractérise par l’apparition de deux types de lésions dans le cerveau: les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires (DNF). À ce jour, il n’existe aucun traitement efficace. Nous nous sommes donc intéressés à une nouvelle cible thérapeutique : le cholestérol cérébral. En effet, le dérèglement du métabolisme de ce dernier perturbe l’activité neuronale et est impliqué dans la maladie d’Alzheimer. En restaurant par thérapie génique le cycle du cholestérol cérébral, nous sommes parvenus à réduire les plaques amyloïdes et à améliorer le fonctionnement des neurones (1). Pour traiter la maladie, il faut avant tout comprendre son fonctionnement.
Fragments toxiques
À l’origine du premier type de lésion – les plaques amyloïdes –, se trouve une protéine, l’APP (amyloid precursor protein). Lorsque celle-ci est découpée par les enzymes bêta et gamma secrétases, elle engendre de petits fragments appelés peptides bêta-amyloïdes (ou Aß). Ces derniers, toxiques, s’accumulent à l’extérieur des neurones et s’agglutinent en plaques amyloïdes. Les dégénérescences neurofibrillaires, quant à elles, résultent d’un ajout excessif de groupes phosphates sur une protéine, appelée tau. Dans un cerveau normal, celle-ci interagit avec les microtubules des neurones pour assurer leur maintien et leur flexibilité. Les microtubules
sont des tubes très fins situés dans les neurones et impliqués dans le transport de nutriments et d’autres éléments essentiels au fonctionnement de la cellule. L’interaction de la protéine tau avec les microtubules dépend du niveau d’ajout de groupe phosphate – son niveau de phosphorylation. Plus elle est phosphorylée, moins elle interagit avec les microtubules. Dans ce cas, les protéines tau se détachent et s’agglutinent; la circulation des éléments, assurée par les microtubules, est alors compromise et le neurone dégénère progressivement. Quelle lésion survient la première ? Les plaques amyloïdes ou l’accumulation intracellulaire de protéines tau anormalement phosphorylées? Cette question reste ouverte. L’hypothèse de la « cascade amyloïde » propose, depuis les années 1980, le rôle initial de la pathologie amyloïde. Celle-ci contribuerait aux dégénérescences neurofibrillaires, l’ensemble entraînant l’apparition des défauts synaptiques, puis la mort neuronale. Malgré le grand nombre de médicaments évalués dans des essais cliniques, les seuls traitements aujourd’hui disponibles sont des agents procognitifs, c’està-dire qui retardent l’évolution des troubles. Ces traitements symptomatiques sont hélas peu efficaces, ce qui a d’ailleurs conduit la Haute Autorité de santé (HAS) à proposer leur déremboursement en décembre 2016. De longue date, deux stratégies de recherche thérapeutique ont été privilégiées pour cibler la cause de la maladie : la réduction des plaques amyloïdes et celle des agrégats de protéine tau. Dans le cas des plaques amyloïdes, on a essayé de détruire directement les peptides Aß via des vaccins ou des anticorps anti-Aß, d’inhiber les enzymes responsables de la production de ces peptides (les bêta et gamma secrétases), ou de favoriser la capacité de l’hippocampe à se débarrasser des plaques en jouant sur des mécanismes cellulaires de « nettoyage », comme l’autophagie (*). Les stratégies « anti-tau », quant à elles, consistent à éliminer les agrégats de protéine tau grâce à des anticorps ou à en limiter la phosphorylation. Ces deux stratégies se sont révélées infructueuses jusqu’ici, malgré les budgets importants engagés par les grands laboratoires pharmaceutiques pour leur développement (lire ci-contre). Récemment, c’est le Solanezumab – agissant sur les plaques amyloïdes –, du groupe pharmaceutique américain Eli Lilly, qui a été arrêté à l’issue de son essai de phase 3 (*) sur 2 100 patients, en raison de son inefficacité. Pourtant, une certaine diminution du nombre de plaques amyloïdes a été observée par imagerie chez des patients traités avec les anticorps anti-amyloïdes. L’échec de ces essais cliniques pourrait donc, en partie, être dû au fait que les patients ont été traités à un stade déjà trop avancé. En effet, l’apparition des plaques et des dégénérescences débute probablement des décennies avant l’apparition tardive des signes cognitifs qui témoignent du dysfonctionnement et de la mort des neurones (2). C’est ce que fait valoir Biogen, qui espère obtenir des résultats positifs dans un essai de phase 3 pour l’Aducanumab (anticorps anti-Aß), en incluant des patients à un stade précoce. Ces échecs ont conduit à rechercher les
facteurs précoces impliqués dans le déclenchement de la pathologie et qui pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeutiques plus efficaces.
Trois familles de gènes
Dans cette optique, de nombreuses études ont été réalisées pour identifier les facteurs de prédispositions génétiques. Elles ont permis de découvrir une vingtaine de gènes associés à la maladie, lesquels ont été regroupés en trois familles : l’inflammation, le transport cellulaire (endocytose) et le métabolisme des lipides. Dans cette dernière, plusieurs transporteurs de lipides sont impliqués. L’apolipoprotéine E (ApoE) est connue de longue date pour son lien avec la maladie d’Alzheimer. Elle est responsable du transport du cholestérol dans le cerveau. Il existe trois versions différentes – trois allèles – du gène codant ApoE. L’allèle ApoE4 est, après l’âge, le principal facteur de risque de la maladie. Posséder un allèle d’ApoE4 multiplie par trois le risque de développer la maladie ; en posséder deux le multiplie par douze. Au contraire, l’allèle ApoE2 est protecteur. Ce lien avec des gènes intervenant dans le métabolisme des lipides témoigne du rôle clé, aujourd’hui bien établi (3), des lipides et plus particulièrement du cholestérol dans le développement de la maladie d’Alzheimer. En effet, cette pathologie s’accompagne d’un excès de cholestérol dans la membrane des neurones du cerveau. Or cet excès favorise le découpage de la protéine précurseur des plaques amyloïdes par les enzymes bêta, puis gamma secrétases, et donc la formation des peptides amyloïdes. Le cholestérol cérébral est synthétisé par les cellules du système nerveux central. Car les neurones ont un besoin en cholestérol très important. Il participe à la constitution de leurs membranes qui jouent un rôle essentiel dans la formation des synapses, les échanges neuronaux, la transmission synaptique, et
la production de peptides Aß. Le cerveau contient donc une fraction très importante – 25 % – du cholestérol de notre organisme. Cependant, un surplus de cholestérol perturbe la fluidité membranaire et, par conséquent, le fonctionnement neuronal. Le contenu en cholestérol des neurones doit donc être finement contrôlé. Ce n’est pas une mince affaire : ne pouvant franchir la barrière hémato-encéphalique, le cholestérol cérébral est entièrement produit dans le cerveau. Pour être évacué, il doit être transformé en 24-hydroxy-cholestérol, un composé capable de franchir la barrière, pour se rendre, par voie sanguine, dans le foie où il sera éliminé dans la bile. L’enzyme qui assure cette transformation est la cholestérol 24-hydroxylase, appelée aussi CYP46A1. Il s’agit d’une enzyme clé du métabolisme cérébral du cholestérol (4 ) . En effet, en permettant l’élimination du cholestérol en excès, CYP46A1 active en retour la voie de synthèse du cholestérol cérébral. Elle assure ainsi son renouvellement et la synthèse de composés intermédiaires qui jouent un rôle majeur dans les fonctions des neurones comme dans leur plasticité, la création de nouvelles synapses et la transmission synaptique. Enfin, de façon intéressante, il a été montré que l’activation de CYP46A1 est un élément essentiel de réponse au stress des neurones ; son rôle est donc essentiel dans leur survie (5). Nous avons donc émis l’hypothèse que l’enzyme CYP46A1 constituerait une nouvelle cible thérapeutique pertinente pour la maladie d’Alzheimer. Pour tester cette hypothèse, nous avons utilisé des souris atteintes de la maladie. L’idée étant d’évaluer si l’expression accentuée de CYP46A1 dans les régions du cerveau particulièrement atteintes pourrait améliorer leur état clinique et physiologique. Mais comment cibler l’expression de CYP46A1 de manière efficace, là où elle est nécessaire ? Pour cela, il faudrait viser spécifiquement les neurones où CYP46A1 est normalement présente, c’est-à-dire dans l’hippocampe, la région du cerveau responsable de la mémoire. Hélas, il n’existe pas de petites molécules activatrices de CYP46A1 capables de répondre à ces critères. Nous avons donc choisi d’apporter directement le gène qui code CYP46A1 dans ces neurones, grâce à un outil de thérapie génique.
Cheval de Troie
Le principe de la thérapie génique est d’apporter un gène – un fragment d’ADN codant une protéine – spécifiquement dans certaines cellules, dans un but thérapeutique. Ce procédé peut permettre de compenser un gène défectueux dans le cadre d’une maladie génétique, ou d’apporter une protéine ayant un rôle bénéfique pour la cellule (facteur de croissance, enzyme, neurotransmetteur…). Pour délivrer le gène thérapeutique aux cellules, on utilise comme vecteurs de transfert des virus modifiés, qui jouent le rôle d’un « cheval deTroie ». Ce virus est rendu inoffensif, mais conserve sa capacité à insérer son matériel génétique dans la cellule. Une fois ce gène intégré, la protéine thérapeutique est produite par la cellule de façon permanente. Il suffit donc d’une seule administration pour un effet à long terme. Mais quels vecteurs utiliser ?
Les virus adeno-associés (AAV) sont de petits virus non toxiques, très employés en thérapie génique chez l’homme et qui ont fait la preuve de leur efficacité pour traiter des maladies de la rétine et du foie. Ils sont appropriés pour cibler des gènes dans le cerveau, de façon spécifique dans les neurones et stable dans le temps. Une administration unique permet une expression du gène thérapeutique au-delà de dix ans! Pour tester notre hypothèse, nous avons mis au point un vecteur de thérapie génique: un AAV portant le gène qui code CYP46A1. Nous avons administré ce vecteur médicament à des souris modèles de la maladie d’Alzheimer, directement dans l’hippocampe (Fig. 1). En parallèle, un groupe de souris a reçu un vecteur témoin inactif. Ces animaux ont été suivis pendant plusieurs mois sur le plan clinique, à l’aide de l’expérience de la piscine de Morris. Une souris est placée dans une piscine circulaire remplie d’eau opaque. Dans celle-ci est disposée une plateforme fixe, immergée et invisible, qui permet au rongeur de se reposer et se maintenir hors de l’eau. Ce procédé mise sur l’aversion de l’animal pour l’eau, en mesurant le temps qu’il met pour trouver la plateforme et donc, par extension, sa capacité à mémoriser sa position à l’aide d’indices visuels et spatiaux. Par la suite, les caractéristiques biochimiques et neuropathologiques des animaux ont été analysées en détail. Résultat : les souris qui ont reçu le vecteur médicament ont toutes montré des signes clairs d’amélioration clinique et biologique, quelle que soit la gravité de la maladie. Leur mémoire s’est améliorée, voire complètement normalisée, l’accumulation des peptides amyloïdes Aß toxiques a été réduite et les conséquences des dégénérescences neurofibrillaires de la protéine tau ont été corrigées. Le traitement a permis la restauration de la plasticité des neurones, et la préservation de leur capacité à former des synapses. Avec cette étude, nous avons aussi pu faire la preuve que ce traitement par thérapie génique diminue effectivement la quantité excessive de cholestérol membranaire des neurones atteints, améliorant leur fonctionnement. Nous avons ensuite cherché à compléter ces données montrant les effets bénéfiques de l’enzyme CYP46A1 sur la maladie d’Alzheimer. Nous avons donc testé si le fait de supprimer sa production dans le cerveau d’une souris normale pouvait avoir des conséquences délétères, voire reproduire certains aspects cliniques et physiologiques de la maladie d’Alzheimer. Ce fut le cas, ce qui a confirmé le rôle clé de notre enzyme CYP46A1. En effet, en injectant dans l’hippocampe de souris normales un vecteur AAV portant une séquence ADN bloquant la production de l’enzyme, nous avons augmenté le contenu en cholestérol de la membrane lipidique, la production des peptides Aß toxiques et celle de la protéine tau anormalement phosphorylée. Les souris ont alors développé des troubles de la mémoire et une atrophie de l’hippocampe : des caractéristiques ressemblant à celles de la maladie d’Alzheimer (6) ! L’e n s e mb l e d e no s ré s u l t a t s confirme le rôle clé du cholestérol dans les fonctions neuronales, ainsi que dans la genèse et la progression de la maladie d’Alzheimer. Ils suggèrent que cette voie du cholestérol pourrait être une cible très intéressante pour traiter la maladie. Comme nous l’avons dit, il n’existe pas de molécules pouvant être administrées pour activer efficacement CYP46A1 dans le cerveau et induire ses effets bénéfiques. Nous travaillons donc à transposer cette approche de thérapie génique pour apporter le gène thérapeutique dans le cerveau des patients de façon large et sans risque. Le succès de cette étape sera la clé de la réalisation d’un premier essai clinique chez l’homme, et un pas vers une solution durable pour lutter contre la maladie d’Alzheimer.