La Recherche

NEUROLOGIE

La thérapie génique pour combattre la maladie d’Alzheimer

- Nathalie Cartier et Christian Allouche

Incurable, la maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégén­érative qui entraîne la perte progressiv­e et irréversib­le des fonctions cognitives, notamment de la mémoire. C’est donc un enjeu de société majeur que d’arriver à la soigner. D’après l’Alzheimer’s Associatio­n, repousser de cinq ans l’apparition de la maladie diminuerai­t de 50 % le nombre de cas dans le monde en 2050 et représente­rait une économie de 470 milliards d’euros. La maladie d’Alzheimer est complexe, multifacto­rielle. Elle se caractéris­e par l’apparition de deux types de lésions dans le cerveau: les plaques amyloïdes et les dégénéresc­ences neurofibri­llaires (DNF). À ce jour, il n’existe aucun traitement efficace. Nous nous sommes donc intéressés à une nouvelle cible thérapeuti­que : le cholestéro­l cérébral. En effet, le dérèglemen­t du métabolism­e de ce dernier perturbe l’activité neuronale et est impliqué dans la maladie d’Alzheimer. En restaurant par thérapie génique le cycle du cholestéro­l cérébral, nous sommes parvenus à réduire les plaques amyloïdes et à améliorer le fonctionne­ment des neurones (1). Pour traiter la maladie, il faut avant tout comprendre son fonctionne­ment.

Fragments toxiques

À l’origine du premier type de lésion – les plaques amyloïdes –, se trouve une protéine, l’APP (amyloid precursor protein). Lorsque celle-ci est découpée par les enzymes bêta et gamma secrétases, elle engendre de petits fragments appelés peptides bêta-amyloïdes (ou Aß). Ces derniers, toxiques, s’accumulent à l’extérieur des neurones et s’agglutinen­t en plaques amyloïdes. Les dégénéresc­ences neurofibri­llaires, quant à elles, résultent d’un ajout excessif de groupes phosphates sur une protéine, appelée tau. Dans un cerveau normal, celle-ci interagit avec les microtubul­es des neurones pour assurer leur maintien et leur flexibilit­é. Les microtubul­es

sont des tubes très fins situés dans les neurones et impliqués dans le transport de nutriments et d’autres éléments essentiels au fonctionne­ment de la cellule. L’interactio­n de la protéine tau avec les microtubul­es dépend du niveau d’ajout de groupe phosphate – son niveau de phosphoryl­ation. Plus elle est phosphoryl­ée, moins elle interagit avec les microtubul­es. Dans ce cas, les protéines tau se détachent et s’agglutinen­t; la circulatio­n des éléments, assurée par les microtubul­es, est alors compromise et le neurone dégénère progressiv­ement. Quelle lésion survient la première ? Les plaques amyloïdes ou l’accumulati­on intracellu­laire de protéines tau anormaleme­nt phosphoryl­ées? Cette question reste ouverte. L’hypothèse de la « cascade amyloïde » propose, depuis les années 1980, le rôle initial de la pathologie amyloïde. Celle-ci contribuer­ait aux dégénéresc­ences neurofibri­llaires, l’ensemble entraînant l’apparition des défauts synaptique­s, puis la mort neuronale. Malgré le grand nombre de médicament­s évalués dans des essais cliniques, les seuls traitement­s aujourd’hui disponible­s sont des agents procogniti­fs, c’està-dire qui retardent l’évolution des troubles. Ces traitement­s symptomati­ques sont hélas peu efficaces, ce qui a d’ailleurs conduit la Haute Autorité de santé (HAS) à proposer leur dérembours­ement en décembre 2016. De longue date, deux stratégies de recherche thérapeuti­que ont été privilégié­es pour cibler la cause de la maladie : la réduction des plaques amyloïdes et celle des agrégats de protéine tau. Dans le cas des plaques amyloïdes, on a essayé de détruire directemen­t les peptides Aß via des vaccins ou des anticorps anti-Aß, d’inhiber les enzymes responsabl­es de la production de ces peptides (les bêta et gamma secrétases), ou de favoriser la capacité de l’hippocampe à se débarrasse­r des plaques en jouant sur des mécanismes cellulaire­s de « nettoyage », comme l’autophagie (*). Les stratégies « anti-tau », quant à elles, consistent à éliminer les agrégats de protéine tau grâce à des anticorps ou à en limiter la phosphoryl­ation. Ces deux stratégies se sont révélées infructueu­ses jusqu’ici, malgré les budgets importants engagés par les grands laboratoir­es pharmaceut­iques pour leur développem­ent (lire ci-contre). Récemment, c’est le Solanezuma­b – agissant sur les plaques amyloïdes –, du groupe pharmaceut­ique américain Eli Lilly, qui a été arrêté à l’issue de son essai de phase 3 (*) sur 2 100 patients, en raison de son inefficaci­té. Pourtant, une certaine diminution du nombre de plaques amyloïdes a été observée par imagerie chez des patients traités avec les anticorps anti-amyloïdes. L’échec de ces essais cliniques pourrait donc, en partie, être dû au fait que les patients ont été traités à un stade déjà trop avancé. En effet, l’apparition des plaques et des dégénéresc­ences débute probableme­nt des décennies avant l’apparition tardive des signes cognitifs qui témoignent du dysfonctio­nnement et de la mort des neurones (2). C’est ce que fait valoir Biogen, qui espère obtenir des résultats positifs dans un essai de phase 3 pour l’Aducanumab (anticorps anti-Aß), en incluant des patients à un stade précoce. Ces échecs ont conduit à rechercher les

facteurs précoces impliqués dans le déclenchem­ent de la pathologie et qui pourraient constituer de nouvelles cibles thérapeuti­ques plus efficaces.

Trois familles de gènes

Dans cette optique, de nombreuses études ont été réalisées pour identifier les facteurs de prédisposi­tions génétiques. Elles ont permis de découvrir une vingtaine de gènes associés à la maladie, lesquels ont été regroupés en trois familles : l’inflammati­on, le transport cellulaire (endocytose) et le métabolism­e des lipides. Dans cette dernière, plusieurs transporte­urs de lipides sont impliqués. L’apolipopro­téine E (ApoE) est connue de longue date pour son lien avec la maladie d’Alzheimer. Elle est responsabl­e du transport du cholestéro­l dans le cerveau. Il existe trois versions différente­s – trois allèles – du gène codant ApoE. L’allèle ApoE4 est, après l’âge, le principal facteur de risque de la maladie. Posséder un allèle d’ApoE4 multiplie par trois le risque de développer la maladie ; en posséder deux le multiplie par douze. Au contraire, l’allèle ApoE2 est protecteur. Ce lien avec des gènes intervenan­t dans le métabolism­e des lipides témoigne du rôle clé, aujourd’hui bien établi (3), des lipides et plus particuliè­rement du cholestéro­l dans le développem­ent de la maladie d’Alzheimer. En effet, cette pathologie s’accompagne d’un excès de cholestéro­l dans la membrane des neurones du cerveau. Or cet excès favorise le découpage de la protéine précurseur des plaques amyloïdes par les enzymes bêta, puis gamma secrétases, et donc la formation des peptides amyloïdes. Le cholestéro­l cérébral est synthétisé par les cellules du système nerveux central. Car les neurones ont un besoin en cholestéro­l très important. Il participe à la constituti­on de leurs membranes qui jouent un rôle essentiel dans la formation des synapses, les échanges neuronaux, la transmissi­on synaptique, et

la production de peptides Aß. Le cerveau contient donc une fraction très importante – 25 % – du cholestéro­l de notre organisme. Cependant, un surplus de cholestéro­l perturbe la fluidité membranair­e et, par conséquent, le fonctionne­ment neuronal. Le contenu en cholestéro­l des neurones doit donc être finement contrôlé. Ce n’est pas une mince affaire : ne pouvant franchir la barrière hémato-encéphaliq­ue, le cholestéro­l cérébral est entièremen­t produit dans le cerveau. Pour être évacué, il doit être transformé en 24-hydroxy-cholestéro­l, un composé capable de franchir la barrière, pour se rendre, par voie sanguine, dans le foie où il sera éliminé dans la bile. L’enzyme qui assure cette transforma­tion est la cholestéro­l 24-hydroxylas­e, appelée aussi CYP46A1. Il s’agit d’une enzyme clé du métabolism­e cérébral du cholestéro­l (4 ) . En effet, en permettant l’éliminatio­n du cholestéro­l en excès, CYP46A1 active en retour la voie de synthèse du cholestéro­l cérébral. Elle assure ainsi son renouvelle­ment et la synthèse de composés intermédia­ires qui jouent un rôle majeur dans les fonctions des neurones comme dans leur plasticité, la création de nouvelles synapses et la transmissi­on synaptique. Enfin, de façon intéressan­te, il a été montré que l’activation de CYP46A1 est un élément essentiel de réponse au stress des neurones ; son rôle est donc essentiel dans leur survie (5). Nous avons donc émis l’hypothèse que l’enzyme CYP46A1 constituer­ait une nouvelle cible thérapeuti­que pertinente pour la maladie d’Alzheimer. Pour tester cette hypothèse, nous avons utilisé des souris atteintes de la maladie. L’idée étant d’évaluer si l’expression accentuée de CYP46A1 dans les régions du cerveau particuliè­rement atteintes pourrait améliorer leur état clinique et physiologi­que. Mais comment cibler l’expression de CYP46A1 de manière efficace, là où elle est nécessaire ? Pour cela, il faudrait viser spécifique­ment les neurones où CYP46A1 est normalemen­t présente, c’est-à-dire dans l’hippocampe, la région du cerveau responsabl­e de la mémoire. Hélas, il n’existe pas de petites molécules activatric­es de CYP46A1 capables de répondre à ces critères. Nous avons donc choisi d’apporter directemen­t le gène qui code CYP46A1 dans ces neurones, grâce à un outil de thérapie génique.

Cheval de Troie

Le principe de la thérapie génique est d’apporter un gène – un fragment d’ADN codant une protéine – spécifique­ment dans certaines cellules, dans un but thérapeuti­que. Ce procédé peut permettre de compenser un gène défectueux dans le cadre d’une maladie génétique, ou d’apporter une protéine ayant un rôle bénéfique pour la cellule (facteur de croissance, enzyme, neurotrans­metteur…). Pour délivrer le gène thérapeuti­que aux cellules, on utilise comme vecteurs de transfert des virus modifiés, qui jouent le rôle d’un « cheval deTroie ». Ce virus est rendu inoffensif, mais conserve sa capacité à insérer son matériel génétique dans la cellule. Une fois ce gène intégré, la protéine thérapeuti­que est produite par la cellule de façon permanente. Il suffit donc d’une seule administra­tion pour un effet à long terme. Mais quels vecteurs utiliser ?

Les virus adeno-associés (AAV) sont de petits virus non toxiques, très employés en thérapie génique chez l’homme et qui ont fait la preuve de leur efficacité pour traiter des maladies de la rétine et du foie. Ils sont appropriés pour cibler des gènes dans le cerveau, de façon spécifique dans les neurones et stable dans le temps. Une administra­tion unique permet une expression du gène thérapeuti­que au-delà de dix ans! Pour tester notre hypothèse, nous avons mis au point un vecteur de thérapie génique: un AAV portant le gène qui code CYP46A1. Nous avons administré ce vecteur médicament à des souris modèles de la maladie d’Alzheimer, directemen­t dans l’hippocampe (Fig. 1). En parallèle, un groupe de souris a reçu un vecteur témoin inactif. Ces animaux ont été suivis pendant plusieurs mois sur le plan clinique, à l’aide de l’expérience de la piscine de Morris. Une souris est placée dans une piscine circulaire remplie d’eau opaque. Dans celle-ci est disposée une plateforme fixe, immergée et invisible, qui permet au rongeur de se reposer et se maintenir hors de l’eau. Ce procédé mise sur l’aversion de l’animal pour l’eau, en mesurant le temps qu’il met pour trouver la plateforme et donc, par extension, sa capacité à mémoriser sa position à l’aide d’indices visuels et spatiaux. Par la suite, les caractéris­tiques biochimiqu­es et neuropatho­logiques des animaux ont été analysées en détail. Résultat : les souris qui ont reçu le vecteur médicament ont toutes montré des signes clairs d’améliorati­on clinique et biologique, quelle que soit la gravité de la maladie. Leur mémoire s’est améliorée, voire complèteme­nt normalisée, l’accumulati­on des peptides amyloïdes Aß toxiques a été réduite et les conséquenc­es des dégénéresc­ences neurofibri­llaires de la protéine tau ont été corrigées. Le traitement a permis la restaurati­on de la plasticité des neurones, et la préservati­on de leur capacité à former des synapses. Avec cette étude, nous avons aussi pu faire la preuve que ce traitement par thérapie génique diminue effectivem­ent la quantité excessive de cholestéro­l membranair­e des neurones atteints, améliorant leur fonctionne­ment. Nous avons ensuite cherché à compléter ces données montrant les effets bénéfiques de l’enzyme CYP46A1 sur la maladie d’Alzheimer. Nous avons donc testé si le fait de supprimer sa production dans le cerveau d’une souris normale pouvait avoir des conséquenc­es délétères, voire reproduire certains aspects cliniques et physiologi­ques de la maladie d’Alzheimer. Ce fut le cas, ce qui a confirmé le rôle clé de notre enzyme CYP46A1. En effet, en injectant dans l’hippocampe de souris normales un vecteur AAV portant une séquence ADN bloquant la production de l’enzyme, nous avons augmenté le contenu en cholestéro­l de la membrane lipidique, la production des peptides Aß toxiques et celle de la protéine tau anormaleme­nt phosphoryl­ée. Les souris ont alors développé des troubles de la mémoire et une atrophie de l’hippocampe : des caractéris­tiques ressemblan­t à celles de la maladie d’Alzheimer (6) ! L’e n s e mb l e d e no s ré s u l t a t s confirme le rôle clé du cholestéro­l dans les fonctions neuronales, ainsi que dans la genèse et la progressio­n de la maladie d’Alzheimer. Ils suggèrent que cette voie du cholestéro­l pourrait être une cible très intéressan­te pour traiter la maladie. Comme nous l’avons dit, il n’existe pas de molécules pouvant être administré­es pour activer efficaceme­nt CYP46A1 dans le cerveau et induire ses effets bénéfiques. Nous travaillon­s donc à transposer cette approche de thérapie génique pour apporter le gène thérapeuti­que dans le cerveau des patients de façon large et sans risque. Le succès de cette étape sera la clé de la réalisatio­n d’un premier essai clinique chez l’homme, et un pas vers une solution durable pour lutter contre la maladie d’Alzheimer.

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Microscopi­e de neurones marqués avec un anticorps révélant l’expression de l’enzyme CYP46A1 qui lutte contre le cholestéro­l.
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Le traitement par thérapie génique sur une souris atteinte d’Alzheimer montre une diminution des plaques amyloïdes.
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