DOCTEUR EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION, Nicolas Oliveri est enseignant-chercheur au sein du groupe Idrac Business School et chercheur associé au laboratoire I3M de Nice Sophia-Antipolis. Ses travaux portent sur les apprentissages numé
question suivante : « L’enseignement universitaire se résumerait-il donc à un message par semaine avec les Mooc ? » Ainsi, on observe des taux de réussite particulièrement bas au niveau de la réussite à un Mooc, ce qui pourrait donner des indications quant à la nécessité d’un encadrement plus qualitatif dans l’atteinte des objectifs pédagogiques fixés. Les forums de discussion pourraient alors permettre de combler cet accompagnement par une multiplication des échanges entre apprenants, mais des travaux montrent que la grande majorité des participants à un Mooc ne participent pas et n’alimentent donc pas les débats sur le Mooc auquel ils assistent pourtant. Ceci peut être renforcé par la barrière de la langue : il est évidemment bien plus compliqué de s’exprimer dans un Mooc si la langue utilisée est différente de la nôtre. Ces différents constats viennent alors relativiser la dimension connectiviste des Mooc, où l’émulsion des contributions des apprenants est censée créer la valeur ajoutée de ce type de formation à distance. Le premier grief contre les Mooc concerne plus spécifiquement celui de la gratuité, ou plus exactement celui du discours sur la gratuité. Ce dernier, en fonction des acteurs, relève purement et simplement de l’offre commerciale à distance à tendance promotionnelle, a priori alléchante au départ, mais qui, dans un deuxième temps, se mue en une proposition commerciale classique afin de proposer la certification qui validera le module du cours pour l’apprenant. De nombreux Mooc, par exemple, communiquent directement via leurs pages web sur la possibilité offerte aux utilisateurs d’avoir accès à des compléments pédagogiques de niveau supérieur (positionnement premium) contre paiement. Le second écueil remarquable formulé à l’encontre des Mooc réside actuellement dans l’incapacité, pour les écoles d’enseignement supérieur qui les proposent, de composer un ensemble pédagogique structuré et cohérent à l’échelle d’une filière entière ou d’un programme complet. Pour l’heure, il ne s’agit que d’un agglomérat d’enseignements isolés les uns des autres, dénués d’articulation, et ce malgré un intérêt scientifique manifeste dans de nombreux Mooc. Mais là encore, les limites de l’effet de mode qui les soutient tempèrent la pertinence et la pérennité de certaines thématiques proposées, voire remettent totalement en cause leur utilité ou, pire, décrédibilisent leur image. L’axe d’amélioration pourrait être alors prioritairement dirigé vers la recherche d’une introduction des Mooc au service d’une pédagogie déjà existante. Ces enseignements se poseraient alors comme les compléments novateurs d’une ingénierie pédagogique réfléchie en amont de leur utilisation, et non plus uniquement comme la possibilité de découvrir, pratiquement au hasard, des enseignements sans que préalablement la question d’une pertinence pédagogique d’ensemble n’ait
été sérieusement posée, discutée, formulée et arrêtée par une direction académique compétente, voire ad hoc. En l’état, les Mooc ne sont pas encore intégrés dans la chaîne de valeur du business model d’une école de commerce ou de management. Ils n’en sont qu’un nouvel acteur pédagogique, dont la place n’est, pour l’heure, pas clairement définie. En outre, se pose la question centrale de l’évaluation des apprenants. En l’état, elle est essentiellement automatisée, c’està-dire effectuée par des ordinateurs. Par ailleurs, il existe des formules de nature collaborative où ce sont les apprenants
L’apprenant est informé qu’il a commis une erreur, mais sans recevoir d’explication
qui se corrigent entre eux, avec ce que cela implique en termes de lourdeur logistique et de rigueur pédagogique. Pourtant, d’autres voies sont possibles, à l’instar des « tests de concordance de scripts, où l’on présente à l’étudiant un problème pour lequel il existe plus d’une solution (plus d’un choix), mais où un choix est meilleur que d’autres, ce qui doit l’amener à choisir la meilleure des réponses. Il s’agit d’une technique d’évaluation du raisonnement clinique utilisé en contexte d’incertitude par une simulation de diverses situations » (3). Les avantages de ces modalités d’évaluation, au-delà du contrôle des connaissances factuelles, se retrouvent dans la possibilité d’évaluer l’apprenant sur sa capacité d’organisation de l’information et de hiérarchisation des savoirs acquis. Pour l’heure, la plupart des Mooc se contentent d’informer l’apprenant qu’il a commis une erreur, mais sans lui donner d’explication. Quid des aspects économiques ? Si les Mooc parviennent ces prochaines années à survivre en imposant un business
model viable et pérenne, les écoles et les universités ne pourront pas uniquement miser sur cette source de revenus. Le financement de l’enseignement supérieur français, qu’il soit public ou privé, végète dans une phase critique depuis de nombreuses années. Désormais, les enjeux se situent clairement au niveau de la création de nouvelles sources de revenus. Pour le secteur public, l’approche retenue est celle d’une augmentation significative des frais d’inscription pour compenser les pertes de coûts de fonctionnement colossaux. Pour le secteur privé, c’est la tentation de calquer le modèle américain, où les partenaires financiers à démarcher seraient des mécènes, des fondations, etc. Avec comme double objectif de revaloriser, d’une part, l’image aujourd’hui oubliée d’une école ou d’une université encore en phase avec sa démarche philanthropique originelle et, d’autre part, s’assurer une source de revenus inédite, permettant à son tour d’alimenter l’ingénierie pédagogique. Alors même que la pédagogie faisant appel aux Mooc connaît un engouement considérable auprès du grand public, certains observateurs s’évertuent (déjà) à en dresser les limites les plus visibles, à déconstruire leur principe de fonctionnement ou, plus largement encore, à annoncer leur fin prochaine, ou plus exactement leur possible reconfiguration. Actuellement, la temporalité de la technique est tellement élevée qu’un nouveau service, en l’occurrence les Mooc, n’a même plus le temps d’apporter la preuve de sa pertinence, qu’elle soit avérée ou non d’ailleurs. Plusieurs discours récents misent sur une transformation inéluctable de la configuration actuelle des Mooc, pour de prochains services pédagogiques encore plus segmentés et mieux adaptés à des publics plus ciblés encore. C’est notamment le cas des Spoc (acronyme anglais pour « cours en ligne privé en petit groupe »), dont la vocation première va être d’essayer de profiter du meilleur de la pédagogie à distance (accès à des contenus qualitatifs dispensés par un intervenant de renom) et de l’accompagnement « présentiel » (mise en place d’un suivi personnalisé et échanges entre participants). […] La valeur ajoutée du Spoc par rapport au Mooc se situe précisément à ce niveau-là, celui d’une limitation du nombre de participants afin de rendre plus qualitative la nature de leurs échanges et de leurs éventuels apports respectifs, avec la mise en place possible d’un système d’autoévaluation. […] Si la dimension économique a été largement évoquée au sujet des Mooc, il s’agit de comprendre également que c’est la stabilité pédagogique de ces nouveaux outils qui est à discuter aujourd’hui pour anticiper les usages de demain. Car comme tous nouveaux produits ou services, les Mooc vont devoir traverser l’étape de la mise à l’épreuve de leurs promesses difficilement tenables, avec pour conséquences probables des ajustements nécessaires à venir, issus principalement des usages délaissés, non prévus ou détournés, générés par les pratiques singulières des utilisateurs, et dont les concepteurs des Mooc n’avaient bien évidemment pas pu envisager la portée au moment de leur conception.
La stabilité pédagogique de ces outils est à discuter