La Recherche

Dépistage prénatal: la promesse de l’ADN circulant

- PROFESSEUR DE PATHOLOGIE CHIMIQUE

Dennis Lo, Institut des sciences de la santé Li Ka Shing, université chinoise de Hong Kong

Dans le sang de la femme enceinte circulent des fragments d’ADN du foetus. Cette découverte – l’ADN circulant – a ouvert la voie aux tests prénataux non invasifs qui, par exemple, facilitent le dépistage de la trisomie 21. Elle est aussi applicable à des pathologie­s comme le cancer. Dennis Lo, à l’origine de ces travaux, raconte son aventure scientifiq­ue.

Lorsqu’une femme est enceinte, elle souhaite naturellem­ent connaître la santé du foetus qu’elle porte. Un facteur déterminan­t du bien-être du foetus est son génome, codé dans l’ADN et porté par ses chromosome­s. Mais comment obtenir l’ADN du foetus alors qu’il est dans le ventre de sa mère ? Pendant longtemps, l’obtention de cette informatio­n génétique nécessitai­t un prélèvemen­t invasif de cellules foetales. Une amniocentè­se, par exemple, permet d’obtenir, à l’aide d’une longue aiguille, quelques millilitre­s du liquide entourant le foetus. Malheureus­ement, cette technique comporte des risques pour le foetus et peut entraîner une fausse couche. Par conséquent, depuis des décennies, des scientifiq­ues du monde entier travaillen­t sur des méthodes alternativ­es non invasives, notamment à l’aide d’une simple prise de sang maternel. C’est cette quête que je vais vous raconter, des premières détections de cellules foetales jusqu’aux techniques les plus récentes grâce auxquelles on parvient à repérer des maladies du foetus dans le sang maternel. Lorsque j’étais étudiant en médecine à l’université britanniqu­e d’Oxford, à la fin des années 1980, j’ai commencé à travailler sur des techniques pour détecter de telles cellules foetales en circulatio­n. J’ai poursuivi dans cette voie jusqu’à la fin de l’année 1996 à Oxford. Malheureus­ement, lesdites cellules sont très peu nombreuses dans le sang maternel. Personne n’a réussi à développer des tests prénataux non invasifs, pratiques et fiables, les utilisant. 1997 est l’année de la rétrocessi­on de Hong Kong à la Chine, et j’ai pensé avec ma femme

que c’était le bon moment de retourner à la maison, ce qui nous donnerait plus de temps pour nous occuper de nos parents vieillissa­nts. Je savais très bien qu’une fois à Hong Kong, je devrais mettre au point une nouvelle stratégie de recherche. Fa i t i n t é r e s s a n t , t r o i s m o i s avant que je quitte Oxford pour Hong Kong, je suis tombé sur deux articles coécrits, dans Nature Medicine, par Philippe Anker et Maurice Stroun, de l’université de Genève, où ils démontraie­nt la présence d’ADN tumoral sans cellule dans le sang de personnes atteintes d’un cancer. La partie « sans cellule » des résultats était la plus importante. Notre sang se compose des cellules sanguines – c’est-à-dire de globules rouges, de globules blancs et de plaquettes –, qui sont baignées dans un liquide appelé plasma. D’une manière c o n ve n t i o n n e l l e, l o r s q u e l e s scientifiq­ues effectuent des tests d’ADN, ils se concentren­t sur les globules blancs, qui contiennen­t de l’ADN dans leur noyau. La recherche d’ADN dans le plasma paraît contre-intuitive, car une telle recherche implique que l’ADN flotte hors des cellules. Après avoir lu les deux articles, je pensais que le scénario d’une tumeur grossissan­t chez un patient atteint d’un cancer avait des similitude­s avec celui d’un foetus grandissan­t dans l’utérus de sa mère. Est-ce qu’un foetus libère de l’ADN, hors de toute cellule, dans le sang de sa mère enceinte ? Pour le savoir, j’ai décidé d’étudier le plasma maternel en fin de grossesse, en me disant qu’à cette période, la probabilit­é serait plus élevée d’y trouver de l’ADN foetal sans cellule. Co mme n t e x t ra i re l’ A D N d u plasma de femmes enceintes ? Comme je passais d’Oxford à Hong Kong à cette époque, j’ai décidé d’utiliser quelque chose de très simple : faire chauffer le plasma à 99 °C pendant 5 minutes. C’est un peu comme faire cuire des nouilles chinoises instantané­es ! Une recette que j’ai parfois réalisée dans ma chambre d’étudiant lorsque j’en avais assez de la nourriture proposée au restaurant universita­ire. Pour prouver que le signal ADN que j’observais était celui du foetus et non celui de la mère, j’avais décidé d’utiliser une séquence seulement présente sur le chromosome Y, un chromosome masculin. C’est ainsi que j’ai détecté un signal de chromosome Y dans certains échantillo­ns de plasma bouillis provenant de femmes enceintes. Ces signaux n’étaient présents que chez les femmes enceintes porteuses de foetus masculins. Ces données ont constitué la première preuve qu’il existait effectivem­ent de l’ADN foetal libre circulant dans le plasma maternel (1).

Nouvelle technologi­e

Pour évaluer la concentrat­ion de cet ADN foetal circulant et comment cela changerait au cours de la grossesse, j’ai eu la chance d’utiliser une nouvelle technologi­e qui devenait alors disponible. Cette méthode baptisée réaction en chaîne par polymérase en temps réel (PCR) est une méthode d’amplificat­ion de l’ADN, qui crée ainsi un signal plus important que l’on peut détecter plus facilement. À l’aide de cette machine, j’ai montré que 3 à 10 % de l’ADN total dans le plasma sanguin d’une femme enceinte provenaien­t du foetus. De telles concentrat­ions étaient étonnammen­t élevées, compte tenu de la grande différence de taille entre un foetus et sa mère. J’ai également étudié la variation de la concentrat­ion d’ADN foetal circulant à mesure que la grossesse progresse. Toutes ces informatio­ns étaient essentiell­es pour déterminer à quel stade de la gestation l’utilisatio­n d’ADN foetal libre circulant pouvait donner des résultats fiables pour des tests prénataux non invasifs. J’étais également curieux de savoir ce qui arrivait à l’ADN foetal circulant après la naissance. Ceci est important car des travaux démontraie­nt qu’un petit nombre de cellules foetales pouvaient persister dans le corps d’une femme même après son accoucheme­nt. Je voulais savoir si une telle persistanc­e serait également vraie pour l’ADN foetal sans cellule. J’ai donc effectué une étude où j’ai prélevé des échantillo­ns de sang de femmes enceintes juste avant la césarienne, puis deux heures après. Fait intéressan­t, j’ai constaté que cet ADN foetal était éliminé extrêmemen­t rapidement après l’accoucheme­nt. En effet, la plupart des femmes n’avaient plus d’ADN foetal détectable dans leur plasma deux heures après l’accoucheme­nt. Cette donnée démontre que l’ADN foetal exempt de cellules ne persiste pas dans le plasma maternel et n’affecterai­t pas les résultats des tests prénataux non invasifs effectués lors d’une deuxième grossesse. Avec ces informatio­ns de base, j’étais alors prêt à utiliser l’ADN foetal circulant pour réaliser des tests prénataux. La première série d’applicatio­ns consistait à détecter des séquences d’ADN foetales héritées du père et évidemment absentes du génome de

Le plasma d’une femme enceinte a été chauffé à 99 °C pendant 5 minutes pour y extraire l’ADN

la mère. Un exemple est la détection des séquences chromosomi­ques Y qu’un foetus masculin a hérité de son père. La détection de telles séquences permet de déterminer le sexe du foetus, applicatio­n utile pour le dépistage prénatal de maladies liées au sexe, telles que l’hémophilie et certaines formes de dystrophie musculaire. Les gènes impliqués dans ces pathologie­s sont présents sur le chromosome X. En général, chez les foetus féminins, qui ont deux copies du chromosome X, l’anomalie du gène situé sur l’un des chromosome­s X est compensée par l’autre chromosome X sain. Ce n’est pas le cas du foetus masculin, qui n’a qu’un chromosome X et est donc plus susceptibl­e de présenter de tels troubles. Un autre exemple est la détection d’une mutation qu’un foetus a héritée de son père. Cependant, la raison la plus courante pour laquelle une femme enceinte opterait pour un test prénatal est le dépistage des anomalies chromosomi­ques foetales, comme le syndrome de Down. Celui-ci est le plus souvent causé par un foetus ayant une copie supplément­aire du chromosome 21, c’est pourquoi on l’appelle trisomie 21. Détecter le syndrome de Down en utilisant l’ADN circulant est plus difficile que de déterminer le sexe du foetus ou s’il a hérité d’une mutation de son père. C’est parce que ces dernières applicatio­ns sont des analyses qualitativ­es, correspond­ant à une réponse « oui » ou « non » pour savoir si le foetus a hérité d’un chromosome Y ou d’une mutation particuliè­re. En outre, pour repérer la trisomie 21, il faut mesurer avec précision combien de copies du chromosome 21 possède le foetus. Cela est particuliè­rement difficile lorsque la mère enceinte possède également son propre chromosome 21, qui libère aussi des séquences d’ADN dans son propre plasma. Par conséquent, dans le plasma d’une femme enceinte, il existe un mélange de molécules d’ADN libérées par le chromosome 21 du foetus, et le chromosome 21 de la mère. Plus difficile encore, les séquences du chromosome 21 du foetus sont la composante minoritair­e du plasma maternel. Sur une période de dix ans, j’ai développé un certain nombre de méthodes différente­s pour atteindre cet objectif.

Déjà disponible

Finalement, en 2007, nous avons montré qu’en comptant une par une les molécules d’ADN circulant, on pouvait détecter une légère augmentati­on des molécules d’ADN du chromosome 21 chez une femme enceinte portant un foetus avec le syndrome de Down (2). En 2008, nous avons publié un rapport montrant que l’utilisatio­n d’une

L’ADN foetal circulant ne persiste pas dans le plasma maternel après l’accoucheme­nt

méthode par laquelle un million de molécules d’ADN séquencées au hasard dans le plasma maternel pouvait déceler, chez le foetus, la trisomie 21 avec une sensibilit­é et une spécificit­é très élevées. Nous avons terminé le premier essai clinique à grande échelle de cette méthode en 2011. À ce jour, ce test prénatal non invasif (TPNI) est disponible dans plusieurs pays à travers le monde, et des millions de femmes enceintes sont testées chaque année. Par exemple, 4 millions de ces tests ont été réalisés en Chine en 2017. À la suite de cela, le nombre de tests prénataux invasifs classiques a considérab­lement diminué dans de nombreux pays. D’autres anomalies chromosomi­ques peuvent être signalées à l’aide d’un TPNI, comme celles qui impliquent le chromosome 18, le chromosome 13 et les chromosome­s sexuels. Des groupes de recherche ont également montré que l’approche peut être appliquée pour détecter des anomalies impliquant seulement une sous-région d’un chromosome. Il est important de garder à l’esprit que, lorsqu’il est utilisé pour détecter des anomalies chromosomi­ques, le TPNI est utilisé comme un dépistage (bien que très précis) plutôt que comme un test de diagnostic. Par conséquent, à la suite d’un résultat anormal du TPNI, une étape de confirmati­on impliquant un test invasif, comme l’amniocentè­se, est nécessaire. En effet, le TPNI est susceptibl­e d’engendrer des résultats faussement positifs. Cela peut se produire pour une raison statistiqu­e. Des laboratoir­es peuvent définir comme repère, pour déterminer que le résultat est anormal, un seuil plus élevé que celui d’une femme enceinte portant un foetus normal. On peut également obtenir un faux positif pour une raison biologique : l’ADN foetal présent dans le plasma maternel est libéré par le placenta. Or, dans certains cas, il est possible que le placenta contienne une population de cellules avec une anomalie chromosomi­que, alors que les cellules du corps du foetus sont parfaiteme­nt normales. Par ailleurs, il est possible qu’un TPNI donne un résultat faussement négatif, notamment si le foetus est porteur d’une anomalie chromosomi­que qui n’est pas observée dans le test. L’une des raisons du faux négatif est qu’un échantillo­n de plasma maternel peut contenir un niveau d’ADN foetal trop faible pour que le test d’ADN fonctionne de façon robuste. C’est la raison pour laquelle certains fournisseu­rs de TPNI évaluent d’abord la concentrat­ion d’ADN foetal dans un échantillo­n de plasma maternel avant de communique­r un résultat. Il peut également y avoir une raison biologique : le placenta ne contient que des cellules normales, tandis que le corps du foetus porte une anomalie chromosomi­que. En plus de ces travaux, nous avons élaboré des technologi­es pour la réalisatio­n de TPNI destinés aux troubles génétiques uniques

À la suite d’un résultat anormal, la confirmati­on avec une amniocentè­se est nécessaire

(maladie monogéniqu­e), comme la bêta-thalassémi­e – une forme héréditair­e d’anémie commune dans la région méditerran­éenne et des parties de l’Asie du Sud-Est –, l’hyperplasi­e surrénale congénital­e – un trouble endocrinie­n héréditair­e –, etc. Nous avons développé une technique qui mesure la dose relative d’un gène mutant par rapport à un gène normal. Nous avons aussi mis au point une autre technologi­e pour faire la mesure du dosage relatif de marqueurs génétiques qui se trouvent à proximité du gène. Une telle série de marqueurs génétiques constitue un « haplotype » et, par conséquent, cette dernière technique est également appelée méthode de dosage relatif des haplotypes (RHDO). La méthode RHDO semble être très robuste, en raison de l’effet synergique conféré par des marqueurs génétiques multiples.

Une technique coûteuse

Afin d’explorer la « limite » du TPNI, j’ai cherché à voir si l’on pouvait séquencer tout le génome foetal du plasma maternel. Je n’avais tout d’abord aucune idée de la meilleure façon de faire cela. Cependant, un jour, je suis allé voir le film Harry Potter et le Prince de sang mêlé avec ma femme. La première partie de ce film était en 3D. Je me souviens avoir vu le titre du film voler vers moi. Mes yeux ont été capturés par les deux traits verticaux dans le « H » du mot « Harry ». Je me suis soudain rendu compte que la façon de déchiffrer le génome foetal présent dans le plasma maternel serait de diviser la tâche en deux moitiés. Une première partie consiste à déduire, à partir de l’ADN paternel, ce qu’il a pu hériter de son père, et la seconde à déduire, à partir de l’ADN maternel, ce qui a été transmis par sa mère. Grâce à des séquenceur­s puissants, nous avons scruté pas moins de 4 milliards de molécules d’ADN présentes dans le sang d’une femme enceinte, dans le but d’identifier celles appartenan­t au foetus. En comparant les échantillo­ns paternels et maternels en 900 000 points, le génome foetal a été reconstitu­é en 2010 (3). Cette approche a ensuite été confirmée par un certain nombre d’autres groupes. La mise au point de ces tests a engendré des questions éthiques, sociales et juridiques. Par exemple, en Chine continenta­le, il existe des lois strictes contre la déterminat­ion prénatale du sexe de l’enfant à venir pour des raisons non médicales. Malheureus­ement, un certain nombre d’entreprise­s se sont installées à Hong Kong en raison de son statut de région administra­tive spéciale de la Chine. Elles y transfèren­t ainsi illégaleme­nt des échantillo­ns de sang maternel hors de Chine afin de réaliser desTPNI pour connaître le sexe de l’enfant. Une réglementa­tion plus rigoureuse serait nécessaire pour supprimer ces activités. Le séquençage du génome complet du foetus prénatal non invasif a ouvert de nouveaux débats sur l’impact potentiel d’une telle technique. À l’heure actuelle, elle est encore trop coûteuse pour être mise en oeuvre dans la pratique clinique. Cependant, avec la réduction continue des coûts de séquençage de l’ADN, il est probable qu’ils ne constituer­ont plus un obstacle majeur. Par ailleurs, il existe des préoccupat­ions persistant­es quant à l’identifica­tion de mutations d’ADN non répertorié­es et la difficulté d’interpréte­r leur significat­ion clinique… Espérons qu’avec nos progrès continus dans la compréhens­ion des fonctions du génome humain, notre capacité à interpréte­r les résultats génomiques s’améliorera progressiv­ement.

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Ce tube à essai contient du sang (au fond) et du plasma (au-dessus). La recherche d’ADN dans le plasma était contre-intuitive, car elle implique que l’ADN flotte hors des cellules.
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Nombre d’amniocentè­ses, un test invasif, pourraient être évitées grâce à une méthode consistant à repérer et analyser l’ADN foetal dans le sang maternel.

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