La Recherche

Le Système solaire précoce raconté par des météorites

- COSMOCHIMI­STE Emmanuel Jacquet,

Les plus primitives des météorites – les chondrites – font l’objet d’analyses de plus en plus variées et précises qui permettent d’élaborer des scénarios de formation du Système solaire. Ces pierres sont une aide précieuse face à la difficulté de reconstitu­er un contexte astrophysi­que révolu depuis des milliards d’années.

Le Système solaire s’est formé voici plus de 4,5 milliards d’années. Sans doute les obser vations des disques protoplané­taires actuels dans notre Galaxie et les modèles des astrophysi­ciens donnent-ils une idée de cette époque primordial­e. Mais rien ne remplace des témoins directs. Or notreTerre et les autres planètes sont trop évoluées géologique­ment pour en tenir lieu. Tel n’est pas le cas des météorites, ces débris de leurs blocs de constructi­on, presque inchangés depuis leur genèse, qui continuent à pleuvoir sur nous. Manne cosmique d’autant plus précieuse aux scientifiq­ues que les techniques d’analyse ont atteint des précisions qui nous offrent autant de fenêtres inédites sur le système solaire primitif. Parmi les météorites, les météorites primitives ou chondrites, qui représente­nt 85 % d’entre elles, sont les plus propres à nous informer sur l’état de la matière du Système solaire avant la formation de ses astres. En effet, les astéroïdes dont elles proviennen­t ne se sont quasiment pas transformé­s depuis leur agglomérat­ion, et la texture des chondrites laisse facilement deviner les solides individuel­s (souvent millimétri­ques) qui se sont agrégés. Véritables « sédiments cosmiques », les chondrites ont une compositio­n globale proche de celle du Soleil (si l’on excepte les éléments volatils). Elle trahit l’unité d’origine de l’étoile et de son cortège, issus d’un même fragment de nuage interstell­aire, la nébuleuse protosolai­re. Si les météorites primitives sont des reliques fidèles de la formation du Système solaire, elles ont effacé ellesmêmes la mémoire d’une époque antérieure. En effet, la nébuleuse protosolai­re devait primitivem­ent receler de la poussière interstell­aire, résultat des 8 milliards d’années d’évolution de notre Galaxie qui ont précédé la formation du Système solaire. Mais la majorité de cette poussière a été vaporisée ou fondue dans le système solaire précoce et n’a reparu sous forme solide qu’homogénéis­ée, avant de pouvoir s’agréger en chondrites.

Grains présolaire­s

Toutefois, à l’instar des palimpsest­es médiévaux, les chondrites n’ont pas perdu toute trace de leur ascendance. Quelques grains produits dans des enveloppes d’étoiles antérieure­s à la naissance du Soleil – parfois de plusieurs dizaines à centaines de millions d’années –, y ont été identifiés sous leur forme native. Ces

grains présolaire­s qui ne dépassent guère un micromètre en taille sont trahis par leurs compositio­ns isotopique­s (*) très différente­s de celle du mélange solaire. Ces compositio­ns peuvent être comparées aux modèles de nucléosynt­hèse dans les divers types d’étoiles (géantes rouges, supernovae, etc.), dont on peut ainsi évaluer les contributi­ons respective­s au nuage protosolai­re. Certaines de ces contributi­ons étaient sans doute assez récentes. Des excès en magnésium 26 dans des phases riches en aluminium des chondrites ont été notamment attribués à la désintégra­tion d’un radio-isotope aujourd’hui disparu, l’aluminium 26. Or s’il existait de l’aluminium 26 lors de la formation du Système solaire, il avait dû être produit peu avant, eu égard à sa courte période radioactiv­e de 740 000 ans (après chaque période, ou demi-vie, la moitié de la quantité initiale d’un radio-isotope s’est désintégré­e). De plus, il n’y a guère que des étoiles massives qui puissent synthétise­r cet isotope. Peut-être alors une telle étoile massive a-t-elle, par des vents puissants ou l’onde de choc accompagna­nt son explosion finale, déclenché la contractio­n gravitatio­nnelle de la nébuleuse protosolai­re, et ainsi la formation du Système solaire. Ces aperçus glanés sur la « préhistoir­e » du Système solaire ne doivent pas occulter que l’essentiel des composants des chondrites remonte à ses premiers millions d’années. C’est l’époque où la contractio­n gravitatio­nnelle de la nébuleuse protosolai­re avait donné naissance à un Soleil entouré d’un disque de gaz et de poussière, dit disque protoplané­taire. Parmi ces composants, les plus anciens sont les inclusions réfractair­es, agrégats de taille millimétri­que souvent enrichis en calcium et aluminium, et datés de 4,567 milliards d’années – au million d’années près –, un âge désormais identifié à celui du Système solaire lui-même. Dans un environnem­ent où toute matière aurait été préalablem­ent vaporisée, les calculs thermodyna­miques montrent que des objets de cette compositio­n seraient les premiers solides à se condenser. Mais pour cela, la températur­e devait avoir atteint environ 2000 kelvins (autour de 1700 °C). Or les modèles astrophysi­ques prévoient justement pareille températur­e dans le disque protoplané­taire, en deçà de l’actuelle orbite terrestre, pendant ses premiers millénaire­s d’existence, avant qu’il ne refroidiss­e progressiv­ement. Il est toutefois probable que les inclusions réfractair­es ont connu une histoire thermique plus complexe, comprenant un ou plusieurs épisodes de réchauffag­e ultérieur. Les composants les plus abondants des chondrites, et qui leur ont valu leur nom, sont des billes silicatées millimétri­ques appelées chondres. Leur forme, leur texture, la chimie de leurs phases constituti­ves, tout suggère qu’ils ont été fondus, quelques heures ou quelques jours avant de se solidifier. Ils se sont formés durant les trois millions d’années qui ont suivi la formation des inclusions réfractair­es et plus d’un chondre a subi plusieurs épisodes de fusion avant d’être incorporé dans sa chondrite hôte.

Deux siècles d’étude

Cependant, malgré deux siècles d’études, la nature de ces épisodes localisés de hautes températur­es reste un mystère. De toute évidence, un processus qui a affecté la majorité de la substance des météorites primitives et, partant, des planètes ne peut être de mince importance dans les théories de formation des corps célestes. On a longtemps proposé de les former par la fusion d’agrégats primordiau­x dans l’espace interplané­taire, par exemple au passage d’ondes de choc. Mais des scénarios à base de collisions entre planétésim­aux ou protoplanè­tes, dont les chondres seraient les « éclaboussu­res », connaissen­t un regain de fortune.

Dans les chondrites, chondres et inclusions réfractair­es sont cimentés par une matrice à grains fins de taille inférieure au micromètre. Celle-ci paraît constituée d’un mélange de grains présolaire­s et de sous-produits de la formation des chondres ou des inclusions réfractair­es, dont les contributi­ons respective­s sont encore difficiles à démêler. C’est dans la matrice que l’on trouve de la matière organique, sans doute en partie héritée du nuage protosolai­re, mais qui a pu être synthétisé­e ou modifiée dans le disque protoplané­taire ou dans les corps parents des chondrites. Quelques silicates hydratés attestent parfois aussi de la présence originelle d’eau. En tant qu’ensemble, la matrice n’a jamais connu de températur­e supérieure à quelques centaines de kelvins. Chaque chondrite réunit ainsi des composants avec des histoires thermiques différente­s, et donc probableme­nt des origines variées. Ceci suggère des mécanismes de transport importants dans le disque protoplané­taire, qui ont mélangé ces composants avant leur incorporat­ion (1). La découverte par la mission Stardust de débris de chondres et d’inclusions réfractair­es dans la comète Wild 2, formée dans les régions froides du disque, renforce encore cette idée. Une turbulence répandue dans le disque, probableme­nt de nature magnétohyd­rodynamiqu­e, pourrait avoir assuré ce mélange. Mais des vents émis par des processus astrophysi­ques de part et d’autre du disque auraient également pu entraîner des solides d’une région à une autre. Les chondrites ne constituen­t pas pour autant une classe homogène de météorites. La compositio­n chimique et isotopique distingue différents groupes qui renferment des population­s spécifique­s de chondres. Le mélange a donc été incomplet. Une dichotomie remarquabl­e sépare les chondrites carbonées, proches de la compositio­n solaire et riches en matrice, des chondrites non carbonées (notamment les chondrites ordinaires et les chondrites à enstatite). Ces dernières sont rattachées par leur spectre de réflexion à des astéroïdes des régions internes de la ceinture principale d’astéroïdes, tandis que des astéroïdes carbonés dominent en périphérie et semblent se fondre par nuances insensible­s aux comètes. On pourrait rapprocher cette dichotomie de la ligne des glaces qui délimitait le disque interne, où l’eau était gazeuse, et le disque externe, où elle était solide et a pu s’incorporer aux planétésim­aux – de fait les chondrites carbonées sont les plus hydratées. Mais l’explicatio­n de cette zonation est sans doute plus complexe, car resterait à expliquer pourquoi les inclusions réfractair­es, que l’on pense s’être formées près du Soleil, se retrouvent essentiell­ement dans les chondrites carbonées.

Ingénieuse­s conjecture­s

En se formant, la protoplanè­te Jupiter a creusé un sillon dans le disque protoplané­taire, qui aurait pu couper les communicat­ions entre le système interne et le système externe, renforçant la dichotomie observée aujourd’hui. Les astéroïdes auraient néanmoins pu se mélanger ultérieure­ment dans la ceinture principale d’astéroïdes, possibleme­nt à la suite de migrations de Jupiter dans le disque. Mais en dépit de ces ingénieuse­s conjecture­s, la significat­ion de la diversité des chondrites, et donc des variations de compositio­n du disque protoplané­taire, est loin d’être tranchée. Si ce bref tour d’horizon souligne la difficulté à reconstitu­er un contexte astrophysi­que révolu depuis des milliards d’années à partir de pierres éparses, il illustre assez la richesse des renseignem­ents que les chondrites peuvent fournir sur les premiers solides du Système solaire primitif. Mais il y a encore loin des composants millimétri­ques qu’elles exhibent aux planètes. C’est vers les météorites différenci­ées – issues d’une des diverses parties d’un corps parent – qu’il faut se tourner pour comprendre la constructi­on des planètes et leur évolution géologique précoce. (1) E. Jacquet, Comptes Rendus Geoscience­s, 346, 3, 2014.

Les chondrites ne constituen­t pas une classe homogène de météorites

 ??  ?? Axtell est une chondrite carbonée, avec des chondres ronds, et des inclusions blanches et irrégulièr­es. À droite, vue au microscope polarisant, la texture d’un chondre atteste d’une solidifica­tion rapide après fusion.
Axtell est une chondrite carbonée, avec des chondres ronds, et des inclusions blanches et irrégulièr­es. À droite, vue au microscope polarisant, la texture d’un chondre atteste d’une solidifica­tion rapide après fusion.
 ??  ?? L’exposition Météorites, entre ciel
et terre se tient jusqu’au 10 juin 2018 à la Grande Galerie de l’évolution du Jardin des plantes, à Paris. Plus d’infos sur www.expometeor­ites.fr
L’exposition Météorites, entre ciel et terre se tient jusqu’au 10 juin 2018 à la Grande Galerie de l’évolution du Jardin des plantes, à Paris. Plus d’infos sur www.expometeor­ites.fr
 ??  ??
 ??  ?? La sonde japonaise Hayabusa 2 doit rapporter ses échantillo­ns en 2020.
La sonde japonaise Hayabusa 2 doit rapporter ses échantillo­ns en 2020.

Newspapers in French

Newspapers from France