La Recherche

Biochimie Le secret des grenouille­s venimeuses

- Oriane Dioux

Les grenouille­s venimeuses fabriquent de redoutable­s poisons qui attaquent le système nerveux de leurs prédateurs, mais pas le leur. Une nouvelle étude lève le voile sur le mystère de leur étonnante résistance.

Quel est donc le secret des Dendrobati­dae ? Certaines espèces de cette famille de grenouille­s qui vit dans les forêts tropicales d’Amérique du Sud sécrètent à travers leur peau un poison qui court-circuite le système nerveux de leurs prédateurs, mais pas le leur, alors même qu’il se fixe sur la même cible ! Ce poison, l’épibatidin­e, est une toxine dont l’effet analgésiqu­e est 200 fois supérieur à celui de la morphine. Et sa cible est le récepteur nicotiniqu­e à l’acéthylcho­line (nACh), sur lequel se lie l’acéthylcho­line – un messager chimique essentiel à la transmissi­on des informatio­ns nerveuses. Le poison terrasse les prédateurs des Dendrobati­dae en activant de façon prolongée le récepteur et en bloquant le passage de l’acéthylcho­line. Pourtant, il laisse de marbre les grenouille­s. Pour percer le mystère de leur résistance, l’équipe de Rebecca D. Tarvin, de l’université du Texas à Austin, a comparé le séquençage des gènes qui codent le site de liaison du récepteur à acéthylcho­line d’espèces de grenouille­s qui sécrètent l’épibatidin­e à celui d’espèces qui ne la sécrètent pas. Elle a ainsi observé la substituti­on de trois acides aminés – sur les 2 500 que compte le récepteur – chez celles qui sécrètent la toxine (1).

Tour de passe-passe

Les biologiste­s ont ensuite introduit des séquences d’ADN responsabl­es de la substituti­on dans des oeufs de grenouille­s non venimeuses. Résultat : la modificati­on de ces acides aminés confère bien aux grenouille­s une résistance en diminuant la sensibilit­é du récepteur à la toxine, mais ce tour de passe-passe s’accompagne d’un malencontr­eux revers. Il gêne la liaison de l’acéthylcho­line, donc potentiell­ement la bonne circulatio­n des informatio­ns nerveuses ! L’équipe a donc répété ses expér iences et remarqué l’existence d’une substituti­on d’acide aminé supplément­aire, dévoilant ainsi une part du secret des Dendrobati­dae : « Cette nouvelle substituti­on compense les premières en augmentant la sensibilit­é du récepteur de l’acéthylcho­line, bien que le mécanisme précis reste mystérieux », explique Rebecca D. Tarvin. « Ce travail montre que le système nerveux peut évoluer et acquérir d’étonnantes caractéris­tiques, souligne Charles Hanifin, de l’université d’État de l’Utah, aux États-Unis. Et ce, alors même que l’on pourrait croire que les protéines en jeu sont si cruciales pour la survie des organismes qu’une modificati­on de leur structure a peu de chance d’être sélectionn­ée et conservée ! » (1)

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