La Recherche

Physique Un détecteur miniature pour les neutrinos

Une équipe a capturé un nouveau type d’interactio­n entre des neutrinos et des noyaux atomiques, grâce à un instrument de la taille d’un grille-pain.

- Julien Bourdet

De toutes les particules élémentair­es, les neutrinos sont les moins susceptibl­es d’interagir avec la matière qu’ils traversent. Pour réussir à les capturer, les physiciens ont donc construit d’immenses détecteurs constitués de plusieurs milliers de tonnes d’un matériau cible. Mais voilà qu’une équipe internatio­nale de chercheurs annonce être parvenue à détecter des interactio­ns de neutrinos encore jamais observées jusqu’ici, à l’aide d’un instrument de 14,5 kg, à peine plus grand qu’ un grille-pain (1). Cette première vient confirmer une prédiction faite il y a plus de quarante ans par le physicien américain Daniel Freedman. Celui-ci avait proposé de mesurer l’interactio­n d’un neutrino de faible énergie avec le noyau d’un atome, un phénomène dit de diffusion élastique cohérente. Au cours de la collision, le neutrino fait légèrement reculer le noyau, qui émet ensuite des photons. « Comme le neutrino “voit” le noyau dans son ensemble, la probabilit­é de le détecter est bien plus grande que lors des interactio­ns habituelle­s entre un neutrino de haute énergie et un seul nucléon, ce qui permet d’envisager des détecteurs plus petits », explique Thierry Lasserre, du Commissari­at à l’énergie atomique. Seul problème : le recul à mesurer est très faible. Cela revient à déceler l’effet qu’aurait une balle de ping-pong sur une boule de bowling ! C’est précisémen­t ce défi qu’a relevé l’équipe de Juan Collar, de l’université de Chicago.

Réacteurs nucléaires

Pour cela, les physiciens ont installé leur détecteur dans une salle souterrain­e, tout près de la source de neutrons du laboratoir­e national américain d’Oak Ridge. La source engendre un flux important de neutrinos comme sous-produit. Pour bloquer les neutrons et autres particules gênantes, deux épaisses couches d’acier et de béton ont été placées entre la source et l’instrument. Le choix du matériau de la cible a également été important : le détecteur est composé de cristaux d’iodure de césium, deux éléments dont les noyaux atomiques sont suffisamme­nt gros pour être facilement percutés par les neutrinos, mais aussi assez légers pour que leur recul après l’impact soit détectable sous forme de photons. Et après quinze mois de collecte de données, le résultat était là : l’équipe a observé 134 collisions d’un neutrino sur un noyau atomique. La découverte ouvre d’alléchante­s perspectiv­es. Grâce à des détecteurs plus sensibles encore, on pourra caractéris­er certaines propriétés encore mal connues des neutrinos. « Et si on parvient à faire diminuer davantage la taille des instrument­s, ils pourront servir à lutter contre la proliférat­ion nucléaire », avance Thierry Lasserre. De tels appareils portables permettrai­ent en effet de surveiller à distance l’émission de neutrinos par le coeur des réacteurs nucléaires et ainsi de repérer la production clandestin­e de combustibl­e pour des bombes atomiques.

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Juan Collar, de l’université de Chicago, et son (tout petit) détecteur.

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