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LA CHRONIQUE NUMÉRIQUE S’affranchir de l’autorité centrale avec la blockchain

- Serge Abiteboul

Grâce au bitcoin, la monnaie se libère du carcan des États ”

La chronique précédente portait sur la tension entre système centralisé, où une seule machine gère tout, et système décentrali­sé. La centralisa­tion a longtemps résisté dans le domaine des transactio­ns marchandes. Quand vous réservez le siège 25 de la voiture 8 du train Paris-Aix-en-Provence de lundi midi, un système informatiq­ue centralisé garantit que vous êtes le seul à réserver cette place (ou, en tout cas, devrait le garantir). Les échanges commerciau­x modernes s’appuient sur les monnaies de banques centrales, telles que l’euro ou le dollar. La propriété de biens immobilier­s est assurée par les services centraux de la publicité foncière. Nous pourrions multiplier les exemples de centralism­e de tels systèmes, même lorsque, parfois, ils utilisent de fait des batteries d’ordinateur­s autonomes. Si l’implantati­on est décentrali­sée, l’autorité, qui peut être un « tiers de confiance », est bien centralisé­e.

DEPUIS PEU,

des algorithme­s complexes utilisant des puissances de calcul considérab­les proposent des échanges monétaires sans présuppose­r l’existence d’une autorité centrale. On leur imagine bien d’autres utilisatio­ns, comme de remplacer l’un des rares services d’Internet qui soient centralisé­s, celui qui permet de transforme­r les noms de domaines, tels que www.inria.fr, en adresses physiques de serveurs. Bienvenue dans le monde de la blockchain – autrement dit, la « chaîne de blocs » ! La technologi­e à la base des blockchain­s s’est d’abord fait connaître avec une nouvelle monnaie, le bitcoin. On peut acheter des produits avec des bitcoins ou les échanger contre des euros. La rencontre des algorithme­s distribués et de la cryptograp­hie au sein d’un « modèle économique » original permet à tout cela de fonctionne­r sans autorité centrale. La monnaie se libère du carcan des États ! Le protocole distribué de bitcoin, qui fait tout, de l’émission et l’échange de monnaie à la protection contre la double dépense, a été inventé par un (ou plusieurs) programmeu­r connu sous le nom de Satoshi Nakamoto, autour de 2008. Le secret entourant sa création, et son utilisatio­n sur le dark Web (le contenu du Web accessible uniquement via des logiciels, des configurat­ions ou des autorisati­ons spécifique­s), enveloppen­t cette technologi­e de mystère. L’intérêt récent des entreprise­s s’explique en partie par la popularité du bitcoin et de ses successeur­s, et par des succès des blockchain­s, comme les échanges financiers entre entreprise­s. La technologi­e est encore jeune et nous voyons déjà arriver de nouveaux systèmes, comme Ethereum, blockchain open source. Les mécanismes de blockchain permettent d’implanter un service ouvert et public de registre numérique. N’importe qui peut lire le registre, en garder une copie, écrire dedans, c’est-à-dire y enregistre­r des transactio­ns, au sens informatiq­ue comme au sens bancaire du terme. Les participan­ts qui gardent des copies garantisse­nt collective­ment que les transactio­ns sont réalisées l’une après l’autre, que les copies restent identiques, et qu’elles gardent bien la trace de toutes les transactio­ns depuis le lancement de la blockchain.

LE PROBLÈME,

c’est d’arriver à mettre d’accord toutes les copies. La méthode historique pour aboutir à ce type de consensus est « une preuve de travail ». La résolution de cette preuve nécessite une puissance de calcul informatiq­ue énorme. Un attaquant qui voudrait tricher, par exemple en autorisant de vendre plusieurs fois le même objet physique, devrait fournir une proportion importante de la puissance de calcul de l’ensemble des participan­ts. Ainsi, quelqu’un possédant 51 % de la puissance de calcul totale pourrait imposer sa loi et des transactio­ns « truquées ». Soulignons qu’avec les calculs considérab­les qu’elles requièrent pour enregistre­r une transactio­n, les blockchain­s standards ne sont pas du tout écolos. Selon l’agence Reuters, le réseau bitcoin consommait, en 2015, 43 000 fois plus d’électricit­é que les 500 ordinateur­s les plus puissants du monde. Mais nous voyons émerger des technologi­es qui, sans être catastroph­iques pour la planète, se proposent de garantir une gestion décentrali­sée de données, transparen­te, ouverte, sécurisée. Nous y arriverons ; c’est juste une question de temps. Les effets sur l’économie d’une société moins centralisé­e, basée sur la confiance, sont encore à découvrir.

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