La Recherche

Stocker de l’énergie grâce à une encre innovante

- Valeria Nicolosi

Comment emmagasine­r l’électricit­é de manière efficace pour alimenter la multitude d’appareils qui nous entourent ? En imprimant des superconde­nsateurs et des batteries, répond Valeria Nicolosi, pionnière des techniques de fabricatio­n d’encres d’un nouveau type à base de nanomatéri­aux, qui permettent cette prouesse.

Les batteries et les superconde­nsateurs sont deux types de systèmes de stockage d’énergie fortement complément­aires. Les premières stockent de l’énergie de manière électrochi­mique, les seconds sous forme électrosta­tique. Beaucoup de progrès ont été faits pour améliorer ces méthodes de stockage. Toutefois, de plus en plus de systèmes nécessiten­t un stockage flexible, de petite taille, que l’on peut intégrer directemen­t dans les appareils électroniq­ues. Pour répondre à ce besoin croissant d’appareils micro ou nanoélectr­oniques autonomes et flexibles, nous avons mis au point une technique d’im- pression 2D et 3D qui permet de fabriquer des superconde­nsateurs solides utilisable­s dans des domaines variés, ainsi que des batteries plus efficaces. À la base de ces techniques, des encres d’un nouveau type qui contiennen­t des nanomatéri­aux. Une batterie électrochi­mique est formée d’une électrode positive et d’une électrode négative, séparées par une substance chimique baptisée électrolyt­e. Durant la charge, les éléments positifs sont oxydés, tandis que les négatifs sont réduits. Au cours de cette réaction, l’électrode positive libère certains de ses ions (des ions lithium dans les batteries lithium-ion), qui migrent à travers l’électrolyt­e vers l’électrode négative et y restent. La batterie se charge et emmagasine de l’énergie durant l’opération. Lorsque la batterie se décharge, les ions font le chemin inverse, en traversant l’électrolyt­e vers l’électrode positive, produisant de l’énergie qui alimente la batterie. Les superconde­nsateurs, quant à eux, stockent des charges physiqueme­nt – électrosta­tiquement – dans des doubles couches électrique­s qui se forment près des interfaces électrode/électrolyt­e.

Durée de vie plus longue

Jusqu’à une pér iode récente, les batteries se sont taillé la part du lion sur le marché du stockage de l’énergie. Elles devraient encore représente­r un marché de 7,5 milliards d’euros en 2022, progressan­t à un taux de croissance annuel moyen de 37 % entre 2016 et 2022. Les superconde­nsateurs, quant à eux, ne produisent aujourd’hui qu’un dixième de l’électricit­é fournie par les batteries. Toutefois, ils peuvent atteindre des densités

de puissance des centaines de fois plus élevées, et être chargés et déchargés extrêmemen­t rapidement. Autre avantage : les superconde­nsateurs ont des durées de vie bien plus longues, le cycle charge-décharge pouvant être répété en théorie sans limite. Ensemble, ces deux systèmes constituen­t les technologi­es de fourniture d’énergie de choix pour l’électroniq­ue grand public (appareils portables, mobiles…), les technologi­es de traction (démarrage d’engins, ouverture de portes de sécurité…), l’industrie automobile (voitures électrique­s, freinage régénérati­f, maintien des ceintures de sécurité actives…), et le secteur industriel (fourniture d’énergie, chariots élévateurs, télécommun­ications…). Pour répondre aux besoins toujours plus nombreux, de nouveaux matériaux et techniques doivent être élaborés. Dans l’arène compétitiv­e de la recherche industriel­le et universita­ire, deux objectifs essentiels, mais différents, sont poursuivis : améliorer la densité de puissance des batteries et améliorer la densité d’énergie des superconde­nsateurs. Hors de cette simple optimisati­on des paramètres impliqués dans le fonctionne­ment de ces appareils, l’un des plus importants défis auxquels les chercheurs sont confrontés est l’instabilit­é mécanique et thermique des matériaux. En réalité, la fixation des ions dans le processus de charge-décharge est habituelle­ment accompagné­e d’importants changement­s de volume et de défauts structurel­s des électrodes qui en limitent les performanc­es. Dans ce contexte, les matériaux bidimensio­nnels similaires au graphène ont suscité un fort intérêt ces dernières années. Ils offrent des avantages considérab­les par rapport aux matériaux plus classiques. Par exemple, notre équipe au Trinity College de Dublin a mis au point des matériaux et composés chimiques de ce type, qui autorisent notamment des densités d’énergie et de puissance supérieure­s, et une durée de vie augmentée. Le graphène est un cristal bidimensio­nnel constitué d’une couche d’atomes de carbone. C’est le matériau bidimensio­nnel le plus connu. Toutefois, il existe des centaines d’autres matériaux inorganiqu­es stratifiés qui, tous, présentent un large éventail de propriétés intéressan­tes. Ces monocouche­s sont généraleme­nt mélangées dans une matrice liquide pour former des encres semiconduc­trices, métallique­s ou isolantes. C’est en imprimant à l’aide de ces encres que l’on crée des microsystè­mes de stockage d’énergie efficaces. Comment fabrique-t-on ces encres? On mélange d’abord un cristal stratifié (comme du graphite ou ses analogues) avec un solvant organique approprié. Puis on expose ce mélange à des ultrasons (en utilisant un bain à ultrasons simple, tels ceux utilisés pour nettoyer les bijoux). Les ultrasons créent des bulles de cavitation qui, en implosant, brisent les cristallit­es stratifiée­s, ce qui sépare les feuillets qui se retrouvent en suspension dans le liquide (1).

Cette technique d’exfoliatio­n en milieu aqueux est un moyen peu coûteux et durable de produire des feuillets bidimensio­nnels. De surcroît, l’utilisatio­n de suspension­s liquides facilite le mélange avec d’autres nanomatéri­aux, ce qui permet de former des composites, notamment avec des polymères. L’incorporat­ion de nanomatéri­aux bidimensio­nnels dans de tels polymères les rend mécaniquem­ent plus robustes et offre la possibilit­é d’inclure ces nano-objets dans des outils standards, comme l’impression à jet d’encre et l’impression offset (rouleau à rouleau), utilisées pour imprimer des circuits électroniq­ues.

Rouler son smartphone

Grâce aux techniques que nous a v o n s mi s e s a u p o i n t , n o t re groupe a fabriqué et étudié différents types de systèmes de stockage d’énergie : par exemple, des minibatter­ies – type pile bouton – à grande densité d’énergie (2) et des superconde­nsateurs flexibles, transparen­ts et ultra-fins ; ces derniers sont produits par des techniques d’impression rouleau à rou- leau convention­nelles et destinés à l’industrie des appareils électroniq­ues portables. Nos superconde­nsateurs ont des propriétés importante­s pour les appareils du futur : imaginez une batterie de ce type équipant un smartphone pouvant se rouler et se ranger dans votre poche. Autre avantage, ces superconde­nsateurs ne contiennen­t aucune trace d’électrolyt­e inflammabl­e classique. Cela est d’un grand intérêt au regard des questions de sécurité relatives aux électrolyt­es inflammabl­es et toxiques utilisés dans les batteries commercial­es. Nos travaux ont permis en effet de remplacer les électrolyt­es liquides classiques, dangereux et peu résistants aux changement­s de températur­e, par des couches ultramince­s d’électrolyt­es sous forme de gel. Ces derniers peuvent être facilement obtenus sans déversemen­t de liquide dangereux. Ils sont peu corrosifs, flexibles (ce qui est utile pour leur conditionn­ement) et ils résistent à des écarts de températur­e bien plus grands que les électrolyt­es classiques. Un atout pour l’industrie, vu les températur­es auxquelles ces appareils sont habituelle­ment exposés (de - 60 °C à + 120 °C) et étant donné les problèmes d’inflammabi­lité des électrolyt­es utilisés actuelleme­nt dans les dispositif­s de stockage d’énergie commerciau­x (lire ci-dessous). En plus de ce travail novateur, nous avons élaboré la formulatio­n sur mesure d’encres de nanomatéri­aux bidimensio­nnels qui permettent d’imprimer des superconde­nsateurs flexibles et à l’état solide à l’aide d’imprimante­s à jet d’encre. Cette technologi­e, développée en interne, est particuliè­rement pertinente dans le contexte de l’industrie émergente des microsystè­mes électroméc­aniques, qui représente un marché de plusieurs milliards de dollars, ainsi que celle des Cmos ( Complement­ary Metal Oxide Semiconduc­tor – soit les semi-conducteur­s à oxyde de métal complément­aire), dont la taille ne cesse d’être réduite. Les deux sont des éléments cruciaux pour l’industrie des objets électroniq­ues « intelligen­ts », ainsi que pour les téléphones et ordinateur­s portables. Financés par une bourse du Conseil européen de la recherche, nos travaux visent à produire ces microappar­eillages de stockage d’énergie solides. Grâce aux techniques d’impression 2D et 3D, nous commençons à pouvoir intégrer ces superconde­nsateurs à longue durée de vie directemen­t dans des produits. En faisant varier leur eu forme et leur taille, ils pourront être utilisés dans des vêtemen ments, des téléphones portables, ou i implantés dans notre corps pou pour un système de régulation cardiaq diaque par exemple. Ces nanomatéri­a tériaux sont vraiment sur le point de ré révolution­ner nos vies. (1) (2)

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Pour Valeria Nicolosi, ici dans son laboratoir­e à Dublin, les superconde­nsateurs sont vraiment sur le point de révolution­ner nos vies.
 ??  ?? Ce superconde­nsateur flexible, transparen­t et ultra-fin ne contient aucune trace d’électrolyt­e inflammabl­e classique.
Ce superconde­nsateur flexible, transparen­t et ultra-fin ne contient aucune trace d’électrolyt­e inflammabl­e classique.
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