LA SÉLECTION DU MOIS
Lu par Danièle Bourcier et Pek Van Andel
Les erreurs peuvent être fabuleuses, surtout si elles sont commises par des génies. À travers nos expériences, et celles plus élaborées des savants, elles participent de notre compréhension du monde. Comme le disait le physicien Léopold Infeld, assistant d’Albert Einstein, dans son commentaire de 1949 sur l’article de ce dernier sur la cosmologie, « une solution inexacte à un problème fondamental peut être incomparablement plus importante qu’une solution exacte à un problème trivial et sans intérêt » . Mario Livio, astrophysicien et chercheur à l’Institut scientifique du télescope spatial à Baltimore, aux États-Unis, auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation, défend dans ce livre une thèse plus ambitieuse et plus originale. Il présente les erreurs de cinq géants de la science pour montrer que les voies de la découverte sont pavées d’erreurs et de manquements, et que plus les découvertes sont importantes, plus les voies pour y parvenir ont été erratiques. Charles Darwin, Lord Kelvin, Linus Pauling, Fred Hoyle, Albert Einstein sont des scientifiques incontestés, mais ils se sont tous trompés sur certains aspects importants de leurs recherches. Charles Darwin, à qui l’on doit la théorie de l’évolution, n’était pas un excellent mathématicien. Il ne connaissait pas l’approche probabiliste (qui avait inspiré Mendel) et avait introduit le concept flou de « dilution » pour maintenir l’intégrité d’une population par rapport à la tendance des individus à s’écarter de leur aspect moyen. Lord Kelvin, physicien très en vue à la fin du XIXe siècle, a certes gagné la bataille de la notion d’un temps défini – et non illimité – pour l’âge de la Terre, mais il se trompa lourdement sur son âge exact, évalué aujourd’hui à 4,54 milliards d’années, soit près de 50 fois plus que l’estimation de Kelvin. Le célèbre chimiste Linus Pauling dévoila en 1950, au cours d’une conférence savamment mise en scène, qu’il avait trouvé une solution à l’un des plus grands mystères de la vie : la structure moléculaire de nombreuses protéines. Cependant, le modèle d’ADN de Pauling était faux, en raison d’une grossière erreur de chimie élémentaire (l’acidité de l’ADN). L’astrophysicien Fred Hoyle, partisan de la théorie de l’Univers stationnaire, se fourvoya par une attitude inflexible sur le Big Bang, malgré les données factuelles qui étaient contre son idée. Enfin, Albert Einstein commit une erreur surprenante en introduisant la constante cosmologique afin d’obtenir un Univers statique – « la plus grosse bourde de sa vie » , aurait-il affirmé. Ce que montre d’abord le récit de ces cas, c’est que ces erreurs ont eu des effets bénéfiques, pour la découverte visée mais aussi pour la recherche en général. Elles ont ouvert de vifs débats, car la critique et la réfutation sont au coeur de la compétition scientifique. Ensuite, on voit que ces erreurs viennent souvent non de fautes de calcul ou de manipulation, mais de blocages psychologiques ou conceptuels, voire d’obsessions, inexplicables chez de tels inventeurs. Les mécanismes de défense se mettent en place contre les réalités externes : c’est le fameux déni, élaboré par Sigmund Freud, qui apparaît clairement dans la réaction de Hoyle. Les préjugés esthétiques peuvent aussi intervenir, comme dans le cas d’Einstein. Enfin, la méthode scientifique, définie généralement comme hypothético-déductive, est une construction idéalisée de la façon dont se fait réellement la recherche. Sérendipité, hasard des rencontres, âpreté des débats : autant de ressources qui conduisent aussi vers les chemins de la découverte.