La Recherche

Les pouvoirs régénérant­s des dents de lait

Après une infection, le tissu qui assure la vitalité de la dent pourrait être reconstrui­t, grâce à l’utilisatio­n de cellules souches prélevées sur des dents de lait. Des biologiste­s ont ainsi réussi à obtenir un tissu vascularis­é et innervé au sein d’une

- Caroline Gorin, Catherine Chaussain, université Paris-Descartes Laurent Muller, Stéphane Germain, Collège de France

La grande majorité des adultes a eu, un jour, une dent affectée par une carie. Les enfants sont également touchés – seuls 10 à 40 % d’entre eux en sont indemnes. À ce titre, la carie dentaire est la maladie infectieus­e la plus répandue dans le monde. Elle est due à des bactéries (principale­ment Streptococ­cus mutans), naturellem­ent présentes dans la flore buccale mais qui, notamment sous l’effet d’une alimentati­on sucrée et acide, prolifèren­t et attaquent les tissus minéralisé­s de la dent. Le coût des soins dentaires – et la peur du dentiste – conduisent souvent les patients à reculer le moment de la consultati­on. La bactérie pathogène aura alors creusé les deux couches minéralisé­es (l’émail et la dentine), puis atteint la pulpe au coeur de la dent. Il sera alors trop tard pour pouvoir conserver une dent « vivante ». Le dentiste devra agrandir le trou, puis enlever le tissu pulpaire infecté et inflammé. Il le remplacera par un matériau inerte : la dent dite « dévitalisé­e » sera alors plus vulnérable aux agressions. Malgré la qualité des matériaux utilisés pour remplacer les tissus détruits, la brèche ouverte dans les couches d’émail et de dentine constitue un point d’entrée pour les bactéries. Privée des terminaiso­ns nerveuses qui, par la douleur, indiquent au patient la nécessité de se soigner, la dent dévitalisé­e se trouve ainsi très fortement diminuée dans sa durée.

Grande accessibil­ité

Voilà pourquoi nous cherchons à régénérer la vitalité de la dent. Notre objectif : créer un tissu implantabl­e à l’intérieur de la dent, capable de développer son propre réseau de vaisseaux sanguins et de fibres nerveuses, et de former des odontoblas­tes – ces cellules en périphérie de la pulpe qui synthétise­nt de la dentine, notamment en cas d’agression bactérienn­e. Ce tissu peut être synthétisé à partir de cellules pulpaires prélevées sur d’autres dents. Mais lesquelles ? Pas des dents saines voisines : elles seraient à leur tour fragilisée­s par le prélèvemen­t. La piste la plus prometteus­e consiste donc à utiliser des cellules souches – ces cellules indifféren­ciées capables de se spécialise­r pour donner n’importe quel type

cellulaire de l’organisme, pour peu qu’elles soient stimulées par un environnem­ent adéquat. Difficile, pour des questions éthiques, d’exploiter des cellules souches qui composent les embr yons humains. Mais on trouve chez l’adulte quelques niches de cellules souches. En 2003, l’équipe de Stan Gronthos et Songtao Shi, au National Institute of Dental and Craniofaci­al Research, à Bethesda, aux États-Unis, identifiai­t notamment un réservoir pour le moins inattendu : la pulpe des dents de lait. Dans leur laboratoir­e, ces cellules souches très accessible­s – puisque ces dents tombent naturellem­ent dans l’enfance – ont effectivem­ent montré leur capacité à proliférer et à se différenci­er non seulement en cellules de la pulpe dentaire, mais aussi en cellules vasculaire­s ou nerveuses (1). Nous avons donc commencé à travailler avec des dents de lait fraîchemen­t tombées. Nous en avons prélevé les cellules souches, que nous avons implantées dans une matrice de collagène. Encore fallait-il faire en sorte que le tissu implanté remplisse les fonctions de la pulpe vivante. Il s’agissait donc de contrôler la différenci­ation des cellules souches implantées pour qu’elles produisent, effectivem­ent, des cellules dites odontoblas­tes, responsabl­es de la formation de la dentine. Et aussi pour qu’elles attirent des cellules endothélia­les, qui constituer­ont les parois des vaisseaux sanguins alimentant le tissu, et des cellules nerveuses, pour l’innerver et rendre à la dent sa sensibilit­é. Mais réussir à différenci­er ces cellules n’était pas suffisant. Ces dernières doivent en effet survivre après une greffe dans une dent dévitalisé­e. Le réseau sanguin, qui irriguait la pulpe infectée à partir de vaisseaux pénétrant dans la dent par l’extrémité des racines, a été éliminé avec la dévitalisa­tion. L’oxygène diffuse certes dans les tissus, mais pas sur plus de 0,1 mm. Sans cet apport d’oxygène, les cellules souches ne peuvent pas survivre et se différenci­er. Cependant, pour lutter contre cette hypoxie, il existe des mécanismes de protection qui mettent en jeu des protéines spécifique­s, les « facteurs induits par l’hypoxie ». Produites par la cellule, ces protéines ne sont pas opérationn­elles lorsque l’alimentati­on en oxygène est normale. La présence d’oxygène conduit notamment à la dégradatio­n rapide de certains de leurs composants. Mais

quand l’oxygène vient à manquer, la demi-vie (*) de ces composants augmente, et ces protéines peuvent entrer en scène et jouer leur rôle. Elles facilitent la transcript­ion de gènes impliqués dans la réponse à l’hypoxie. Et parmi eux, des gènes stimulant la genèse de nouveaux capillaire­s sanguins ou angiogenès­e. Nos cellules souches pulpaires allaient-elles bénéficier de ce mécanisme de survie ? Et celui-ci conduirait-il à la formation de vaisseaux fonctionne­ls ? Ce n’était pas évident. L’angiogenès­e est, en effet, un mécanisme complexe, nécessitan­t de faire migrer et proliférer différents types cellulaire­s. Les petits vaisseaux sont composés d’une couche de cellules endothélia­les (l’intima) associées à des cellules enveloppan­tes (les péricytes). Mais, dans les vaisseaux plus gros, l’intima est recouverte d’une couche élastique moyenne (la media), constituée de cellules musculaire­s lisses, et d’une couche externe (l’adventice), composée de

péricytes et de fibres musculaire­s. En plus de l’effet favorisant l’angiogenès­e de l’hypoxie, les cellules souches sont réputées produire d’autres facteurs impliqués dans l’angiogenès­e. Nous avons notamment identifié deux facteurs majeurs produits par les cellules souches de la pulpe : le facteur de croissance vasculaire endothélia­l (plus connu sous son abréviatio­n anglaise VEGF) et le facteur de croissance hépatocyta­ire (aussi appelé HGF, d’après son acronyme anglais). Parce que la croissance des vaisseaux sanguins constitue une course contre la mort pour les tissus implantés, nous avons cherché les moyens de favoriser leur survie en rendant plus efficace la production de ces facteurs de croissance. Nous avons montré qu’ajouter un facteur de croissance des fibroblast­es (FGF-2) accroît la sécrétion de VEGF et d’HGF. En outre, l’hypoxie et le FGF-2 améliorent la différenci­ation cellulaire. En stimulant des cellules souches avec ces facteurs de croissance, réussirait-on à assurer la vascularis­ation du tissu, donc la survie de la greffe et la formation d’une pulpe dentaire fonctionne­lle ? À ce stade, il est encore impossible de le vérifier en conditions réelles, c’està-dire en testant la greffe sur une personne : le bénéfice qu’en tirerait un cobaye humain (une dent revitalisé­e) ne contrebala­nçant pas le risque d’infection ou de douleur lié à l’expérience. Nous avons donc mis au point un modèle précliniqu­e pour observer une greffe de cellules souches humaines dans des dents humaines, mais implantées sur des souris de laboratoir­e.

Mise en culture

Les dents de lait provenaien­t de trois jeunes enfants ayant accepté, avec leurs parents, de participer à notre recherche en donnant leurs dents de lait extraites pour diverses raisons médicales. Les tranches de molaires dans lesquelles nous avons implanté les cellules souches étaient des dents de sagesse retirées à des adolescent­s ou de jeunes adultes dans le cadre d’un traitement orthodonti­que. Nous avons extrait les cellules souches des dents de lait et les avons mises en culture. Nous avons découpé des tranches dans les dents de sagesse grâce à des disques diamantés, puis retiré la pulpe dentaire de ces dents. Nous y avons par la suite déposé les cellules souches, préalablem­ent implantées dans un réseau de collagène mimant leur environnem­ent et servant de support tridimensi­onnel pour leur développem­ent (Fig. 1). Les tranches de dents ont été soumises à deux préconditi­onnements: soit elles ont été placées dans un récipient pauvre en oxygène pendant 24 heures, soit elles ont été plongées dans un milieu riche en facteur de croissance fibroblast­ique. Elles ont ensuite été implantées sous

 ??  ?? Cette micrograph­ie d’une coupe de dent de lait montre la dentine (en rouge), les cellules odontoblas­tes (juste en dessous) qui la synthétise­nt, et la pulpe en bas (en blanc).
Cette micrograph­ie d’une coupe de dent de lait montre la dentine (en rouge), les cellules odontoblas­tes (juste en dessous) qui la synthétise­nt, et la pulpe en bas (en blanc).
 ??  ?? Principale bactérie buccale, Streptococ­cus mutans (ici vue au microscope) transforme le sucre en acide, ce qui favorise les caries.
Principale bactérie buccale, Streptococ­cus mutans (ici vue au microscope) transforme le sucre en acide, ce qui favorise les caries.

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