Les pouvoirs régénérants des dents de lait
Après une infection, le tissu qui assure la vitalité de la dent pourrait être reconstruit, grâce à l’utilisation de cellules souches prélevées sur des dents de lait. Des biologistes ont ainsi réussi à obtenir un tissu vascularisé et innervé au sein d’une
La grande majorité des adultes a eu, un jour, une dent affectée par une carie. Les enfants sont également touchés – seuls 10 à 40 % d’entre eux en sont indemnes. À ce titre, la carie dentaire est la maladie infectieuse la plus répandue dans le monde. Elle est due à des bactéries (principalement Streptococcus mutans), naturellement présentes dans la flore buccale mais qui, notamment sous l’effet d’une alimentation sucrée et acide, prolifèrent et attaquent les tissus minéralisés de la dent. Le coût des soins dentaires – et la peur du dentiste – conduisent souvent les patients à reculer le moment de la consultation. La bactérie pathogène aura alors creusé les deux couches minéralisées (l’émail et la dentine), puis atteint la pulpe au coeur de la dent. Il sera alors trop tard pour pouvoir conserver une dent « vivante ». Le dentiste devra agrandir le trou, puis enlever le tissu pulpaire infecté et inflammé. Il le remplacera par un matériau inerte : la dent dite « dévitalisée » sera alors plus vulnérable aux agressions. Malgré la qualité des matériaux utilisés pour remplacer les tissus détruits, la brèche ouverte dans les couches d’émail et de dentine constitue un point d’entrée pour les bactéries. Privée des terminaisons nerveuses qui, par la douleur, indiquent au patient la nécessité de se soigner, la dent dévitalisée se trouve ainsi très fortement diminuée dans sa durée.
Grande accessibilité
Voilà pourquoi nous cherchons à régénérer la vitalité de la dent. Notre objectif : créer un tissu implantable à l’intérieur de la dent, capable de développer son propre réseau de vaisseaux sanguins et de fibres nerveuses, et de former des odontoblastes – ces cellules en périphérie de la pulpe qui synthétisent de la dentine, notamment en cas d’agression bactérienne. Ce tissu peut être synthétisé à partir de cellules pulpaires prélevées sur d’autres dents. Mais lesquelles ? Pas des dents saines voisines : elles seraient à leur tour fragilisées par le prélèvement. La piste la plus prometteuse consiste donc à utiliser des cellules souches – ces cellules indifférenciées capables de se spécialiser pour donner n’importe quel type
cellulaire de l’organisme, pour peu qu’elles soient stimulées par un environnement adéquat. Difficile, pour des questions éthiques, d’exploiter des cellules souches qui composent les embr yons humains. Mais on trouve chez l’adulte quelques niches de cellules souches. En 2003, l’équipe de Stan Gronthos et Songtao Shi, au National Institute of Dental and Craniofacial Research, à Bethesda, aux États-Unis, identifiait notamment un réservoir pour le moins inattendu : la pulpe des dents de lait. Dans leur laboratoire, ces cellules souches très accessibles – puisque ces dents tombent naturellement dans l’enfance – ont effectivement montré leur capacité à proliférer et à se différencier non seulement en cellules de la pulpe dentaire, mais aussi en cellules vasculaires ou nerveuses (1). Nous avons donc commencé à travailler avec des dents de lait fraîchement tombées. Nous en avons prélevé les cellules souches, que nous avons implantées dans une matrice de collagène. Encore fallait-il faire en sorte que le tissu implanté remplisse les fonctions de la pulpe vivante. Il s’agissait donc de contrôler la différenciation des cellules souches implantées pour qu’elles produisent, effectivement, des cellules dites odontoblastes, responsables de la formation de la dentine. Et aussi pour qu’elles attirent des cellules endothéliales, qui constitueront les parois des vaisseaux sanguins alimentant le tissu, et des cellules nerveuses, pour l’innerver et rendre à la dent sa sensibilité. Mais réussir à différencier ces cellules n’était pas suffisant. Ces dernières doivent en effet survivre après une greffe dans une dent dévitalisée. Le réseau sanguin, qui irriguait la pulpe infectée à partir de vaisseaux pénétrant dans la dent par l’extrémité des racines, a été éliminé avec la dévitalisation. L’oxygène diffuse certes dans les tissus, mais pas sur plus de 0,1 mm. Sans cet apport d’oxygène, les cellules souches ne peuvent pas survivre et se différencier. Cependant, pour lutter contre cette hypoxie, il existe des mécanismes de protection qui mettent en jeu des protéines spécifiques, les « facteurs induits par l’hypoxie ». Produites par la cellule, ces protéines ne sont pas opérationnelles lorsque l’alimentation en oxygène est normale. La présence d’oxygène conduit notamment à la dégradation rapide de certains de leurs composants. Mais
quand l’oxygène vient à manquer, la demi-vie (*) de ces composants augmente, et ces protéines peuvent entrer en scène et jouer leur rôle. Elles facilitent la transcription de gènes impliqués dans la réponse à l’hypoxie. Et parmi eux, des gènes stimulant la genèse de nouveaux capillaires sanguins ou angiogenèse. Nos cellules souches pulpaires allaient-elles bénéficier de ce mécanisme de survie ? Et celui-ci conduirait-il à la formation de vaisseaux fonctionnels ? Ce n’était pas évident. L’angiogenèse est, en effet, un mécanisme complexe, nécessitant de faire migrer et proliférer différents types cellulaires. Les petits vaisseaux sont composés d’une couche de cellules endothéliales (l’intima) associées à des cellules enveloppantes (les péricytes). Mais, dans les vaisseaux plus gros, l’intima est recouverte d’une couche élastique moyenne (la media), constituée de cellules musculaires lisses, et d’une couche externe (l’adventice), composée de
péricytes et de fibres musculaires. En plus de l’effet favorisant l’angiogenèse de l’hypoxie, les cellules souches sont réputées produire d’autres facteurs impliqués dans l’angiogenèse. Nous avons notamment identifié deux facteurs majeurs produits par les cellules souches de la pulpe : le facteur de croissance vasculaire endothélial (plus connu sous son abréviation anglaise VEGF) et le facteur de croissance hépatocytaire (aussi appelé HGF, d’après son acronyme anglais). Parce que la croissance des vaisseaux sanguins constitue une course contre la mort pour les tissus implantés, nous avons cherché les moyens de favoriser leur survie en rendant plus efficace la production de ces facteurs de croissance. Nous avons montré qu’ajouter un facteur de croissance des fibroblastes (FGF-2) accroît la sécrétion de VEGF et d’HGF. En outre, l’hypoxie et le FGF-2 améliorent la différenciation cellulaire. En stimulant des cellules souches avec ces facteurs de croissance, réussirait-on à assurer la vascularisation du tissu, donc la survie de la greffe et la formation d’une pulpe dentaire fonctionnelle ? À ce stade, il est encore impossible de le vérifier en conditions réelles, c’està-dire en testant la greffe sur une personne : le bénéfice qu’en tirerait un cobaye humain (une dent revitalisée) ne contrebalançant pas le risque d’infection ou de douleur lié à l’expérience. Nous avons donc mis au point un modèle préclinique pour observer une greffe de cellules souches humaines dans des dents humaines, mais implantées sur des souris de laboratoire.
Mise en culture
Les dents de lait provenaient de trois jeunes enfants ayant accepté, avec leurs parents, de participer à notre recherche en donnant leurs dents de lait extraites pour diverses raisons médicales. Les tranches de molaires dans lesquelles nous avons implanté les cellules souches étaient des dents de sagesse retirées à des adolescents ou de jeunes adultes dans le cadre d’un traitement orthodontique. Nous avons extrait les cellules souches des dents de lait et les avons mises en culture. Nous avons découpé des tranches dans les dents de sagesse grâce à des disques diamantés, puis retiré la pulpe dentaire de ces dents. Nous y avons par la suite déposé les cellules souches, préalablement implantées dans un réseau de collagène mimant leur environnement et servant de support tridimensionnel pour leur développement (Fig. 1). Les tranches de dents ont été soumises à deux préconditionnements: soit elles ont été placées dans un récipient pauvre en oxygène pendant 24 heures, soit elles ont été plongées dans un milieu riche en facteur de croissance fibroblastique. Elles ont ensuite été implantées sous