La Recherche

« L’homéostasi­e est le fondement de la vie biologique et sociocultu­relle humaine »

Les sentiments sont la clé de notre système d’autorégula­tion, l'homéostasi­e. Ils rendent nos processus mentaux impossible­s à dupliquer, y compris par l’intelligen­ce artificiel­le.

- Propos recueillis par V. G. ANTONIO DAMASIO

PROFESSEUR DE NEUROSCIEN­CES, NEUROLOGIE ET PSYCHOLOGI­E, il dirige l’Institut du cerveau et de la créativité de l’université de Californie du Sud. Il a publié plusieurs livres, dont L’Erreur de Descartes

(1995) et L’autre moi-même (2010). Les recherches d’Antonio Damasio portent notamment sur les bases neuronales des émotions (il a montré qu’elles jouent un rôle central dans la cognition et dans le processus de décision).

La Recherche D’où vient l'homéostasi­e ?

Antonio Damasio Nous devons le concept au physiologi­ste français Claude Bernard. À la fin du XIXe siècle, il fait une observatio­n révolution­naire : les systèmes vivants doivent maintenir de multiples variables clés de leur milieu intérieur (températur­e du corps, par exemple) autour d’une certaine valeur positive, pour que la vie puisse continuer ; en l’absence de ce système d’autorégula­tion, constatait-il, la vie disparaiss­ait (1). Cette propositio­n était très en avance sur son temps. Elle se référait aux animaux, mais aussi aux plantes. Le terme « homéostasi­e » en lui-même vient du grec homoios, « similaire », et stasis, « stabilité » ; il est apparu un demi-siècle plus tard, dans les travaux d’un autre physiologi­ste, l’Américain Walter Cannon (2).

Comment s’exprime-t-elle chez les humains ?

Là aussi, l’homéostasi­e est la première pierre, celle sans laquelle la vie biologique ne serait pas possible. Mais, du fait de notre système nerveux complexe, on observe aussi l’existence d’un mécanisme supplément­aire, qui s’ajoute au contrôle homéostati­que automatiqu­e. La clé de cet autre mécanisme, qui implique des expérience­s mentales exprimant une valeur, ce sont les sentiments. Enrichis par la présence de la conscience, du langage, de la mémoire, ceux-ci ont permis l’invention de moyens créatifs et intelligen­ts chez les êtres humains. Autrement dit, et en résumant très rapidement, on peut dire que l’homéostasi­e est aussi le fondement de la vie sociocultu­relle.

À la fin du livre, vous évoquez l’intelligen­ce artificiel­le. Son émergence vous inquiète-t-elle pour l'avenir des sociétés humaines?

Les développem­ents dans l’intelligen­ce artificiel­le et la robotique sont spectacula­ires – personnell­ement, je suis content des progrès en automatisa­tion, qui permettent à un programme de faire la même chose qu’un être humain, mais avec moins d’erreurs. Mais ces développem­ents n’ont que peu en commun avec les processus mentaux des êtres humains. Certes, il est possible de faire en sorte que les machines simulent des émotions. Mais une simulation ne veut pas dire une duplicatio­n. Donc dire qu’il est possible de construire un robot qui possédera un esprit semblable à celui d’un humain, c’est vraiment ridicule. Ceux qui pensent cela ne comprennen­t pas ce qu’il se passe dans la vie des humains ; ils n’ont aucune idée de ce qu’est la phénoménol­ogie, ou de ce qu’est le point de vue subjectif de quelqu’un comme vous et comme moi, qui sommes capables d’observer ce qu’il se passe dans notre esprit.

(1) (2)

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