DESIGN DE MONTRES : L’HEURE A DU STYLE
Les montres sont toujours pensées et travaillées de façon à proposer au regard des volumes originaux, capables de capter l’attention des observateurs.
Aux origines du temps mécanique, la précision temporelle manquait bien souvent aux instruments horlogers portatifs. Pour faire oublier cette imprécision, les maîtres horlogers travaillaient particulièrement la qualité des gravures et des dorures du mécanisme. Et ils utilisaient le talent d’artistes pour faire des boîtiers associant les feux des pierres nobles à ceux, opalins, des premiers émaux.
Savoir prendre le temps avec art
L’art horloger de la Renaissance devait, au gré des découvertes du XVIE siècle et sous la houlette d’artisans brillants, apposer une marque indélébile dans l’appréciation d’une montre de prix.
Les grands centres dans l’art cosmétique de la montre furent, tout d’abord, les bords de Loire, histoire d’être au plus près du pouvoir. Plus tard, les mouvances de l’histoire firent converger les artistes vers les bords du lac Léman, au coeur de la ville de Genève. Protégés et respectés, les émailleurs et sertisseurs firent merveille avec des instruments d’apparat, dont la magnificence s’exprimait plus efficacement dans la complexité du traitement de l’habillage que par la précision de leurs mouvements, aussi finement travaillés soient-ils. Fragiles, les montres devaient se parer de scènes de genre, de tableautins d’une rare délicatesse, de cordons de pierres fines et de perles baroques. Le beau n’a pas de frontières. Et le talent de ces artistes, concentré dans un volume tenant dans la paume d’une main, donne à celui ou celle ayant la chance de posséder ce type de bijou fonctionnel, une sorte de pouvoir indicible. Comme le serait la pomme d’amour dans la main d’aphrodite – par ailleurs souvent peinte sur la cuvette précieuse des pièces d’horlogerie ancienne – le temps, en se transmuant en matière, devient
un diamant brut dont seuls les artistes joailliers savent capter le pouvoir. Pierre philosophale des mécaniciens, la montre émaillée ou sertie s’apparente toujours à un emblème de pouvoir. Evoluant au gré des générations, le temps, s’il est perçu avec toujours plus d’acuité, reste toutefois une donnée immatérielle dont la maîtrise s’avère impossible, même aux plus riches. Aux confluences des aspirations les plus folles, la montre révèle par son traitement, son adhésion plus ou moins directe à la mythologie de l’éternelle jeunesse. En se parant d’émail, matière aux coloris inaltérables, elle souligne de façon indirecte mais efficace combien elle sera toujours la même trois ou quatre siècles après sa création. Moment d’extase au détour de l’une des salles du musée Patek Philippe de Genève : les merveilles horlogères, peintes du temps de François 1er ou de Voltaire, explosent de couleurs que l’on pourrait croire déposées à l’instant. L’aspect précieux, au-delà de la valeur monétaire, s’enracine dans cette capacité de transmettre, sans altération, l’image du passé. Une pièce rare conservée précieusement doit transmettre à la fois un peu de l’âme de l’artiste et de celle de son commanditaire. Tabernacle au sens le plus pur du terme, la montre émaillée ou sertie incarne le temps jadis en ce sens qu’elle emprunte à la nature ou aux forces telluriques, les clés de sa mise en valeur et rassemble des techniques ancestrales héritées de siècles d’expériences cumulées… Elle occupe l’instant présent en le scandant sans faille et offre une parcelle d’éternité à qui la préserve avec suffisamment de patience.
Quand la forme crée l’attraction
Le design horloger n’est pas né en l’an 2000. On oublie souvent que les joailliers épris d’horlogerie,
au début du XXE siècle, ont été les premiers à réfléchir le métier du temps avec un zeste d’impertinence. On dit que c’est Breguet qui fit la première montre-bracelet. Il s’agissait d’une montre-bijou pour femme comme Arnold avait fabriqué une montre bague. Mais c’est Louis Cartier qui inventa la montre-bracelet moderne en 1904 : la montre Santos pour son ami aérostier et pilote d’aéroplane, Alberto Santos-dumont. L’idée était lancée et il faudra attendre ensuite la fin de la Première Guerre mondiale pour voir apparaître les premières montres-bracelets de forme, proposées par les marques horlogères classiques. Longines, Omega, Jaeger-lecoultre et d’autres, comme Movado, imaginaient des instruments tous plus originaux les uns que les autres pour faire oublier les montres de poche et le conflit qui avait endeuillé l’europe occidentale. Le design était alors dans l’esprit du temps et s’inspirait de ce qui se faisait en architecture, et dans l’art en général. La Curviplan de Movado, la Reverso de Jaeger-lecoultre, la Prince de Rolex et d’autres chez Omega ou même Lip avec la T17, osaient la forme rectangulaire pour accrocher le regard. Assurément, le design des montres a lentement évolué et suivi les modes des décennies suivantes. De 1950 à 1970, le rond avec une petite tendance sport-chic a lentement émergé. Durant les seventies, les horlogers, sans doute poussés par les envies de changement des jeunes générations sur les barricades, ont tenté des approches plus dessinées pour leurs collections sport. Sont alors apparues les Monaco chez Heuer (aujourd’hui TAG Heuer), tandis que d’autres entités lançaient des références d’une rare excentricité. L’heure était aux designs intrusifs pour donner de la modernité à la mécanique qui, face au quartz naissant, vivait ses dernières heures de monopole au poignet. Ensuite, avec l’arrivée des engins à quartz à affichage numériques et LCD, le design a été réduit à sa plus simple expression et les produits se résumaient à des petits lingots de métal enfermant un circuit imprimé et un écran à cristaux liquides.
Outil de pouvoir, hier et aujourd’hui
La montre contemporaine demeure, aujourd’hui comme hier, le véhicule de toutes ces tensions, de ces passions silencieuses. Depuis les années 1990, les artistes, en retrouvant les gestes ancestraux qui ont failli disparaître dans la tourmente d’une crise liée à la mesure du temps, libèrent leur créativité et s’emparent des mécaniques horlogères pour leur redonner leur position de bijoux fonctionnels à forte charge émotionnelle. Si le design horloger a été un temps oublié au profit de la reproduction des standards des années 1930 à ceux des années 1960, l’engouement des amateurs pour les produits horlogers des années 1970 dans le courant des
années 2000 a poussé les marques génériques à repenser leur position par rapport au design des montres. Entité visionnaire, Franck Muller avait déjà saisi l’importance de proposer au public de son époque, des garde-temps composés de volumes permettant de les inscrire dans une génération. À la seule allure des boîtiers, l’amateur averti devinait le prix des garde-temps et en discernaient du même coup la richesse. Les grands ressorts du passé revenaient alors sur le devant de la scène. Le dessin de la montre reprenait sa position de marqueur social. Cette position n’avait pas échappé à Richard Mille qui, après avoir piloté la division horlogère de Mauboussin, créa sa propre marque en 2001. Il proposait alors à une clientèle fortunée – la même que celle de Frank Muller –, des produits aux formes similaires mais projetés dans le futur en osant des designs inspirés de domaines comme ceux de la voiture de sport ou de l’aviation et en utilisant des matériaux issus des nouvelles technologies.
Dans la foulée et malheureusement avec un succès moins flagrant, la manufacture Ulysse Nardin lançait, en 2000, la Freak, une montre futuriste dotée d’innovations majeures dont seuls quelques techniciens mesurèrent la portée visionnaire. Entretemps, les premiers succès rencontrés par ce créateur et quelques autres entités devaient pousser toute une génération de nouveaux constructeurs à se lancer dans la course avec des instruments de mesure du temps aux designs parfois inédits. Le jeune patron d’harry Winston qui créait les séries Opus – et qui n’est autre que le fondateur de la maison MB&F (Maximilian Büsser & Friends) – avait, lui aussi, senti le vent de cet intérêt pour les montres aux dessins originaux ou évoquant des univers périphériques. Il quitta le joaillier et créa sa marque en utilisant une grammaire stylistique qu’il avait eu le temps d’expérimenter. Pour lui, le design est la condition sine qua none de la dimension ludique de ses créations. Il est ainsi parvenu à
s’imposer comme l’un des horlogers les plus créatifs en matière de développements graphiques. Evidemment, il n’est pas le seul. Des maisons comme Corum ou Hublot avaient bien tenté de percer dans ce domaine, dès les années 1980. La première avait conçu la Golden Bridge tandis que la deuxième réinventait le hublot que Patek Philippe avait également utilisé pour sa Nautilus, en 1976.
Question de cycle
Au fond, l’horlogerie a quelque chose de circulaire dans le principe. Car tout est question d’éternel recommencement. La preuve : après 2003 et la hausse croissante de l’intérêt des élites pour les garde-temps ayant une forte charge graphique, la Royal Oak d’audemars Piguet, qui n’avait pas eu de véritable audience en 1972, devait acquérir sa visibilité grâce à la participation de la marque à la victoire d’alinghi à l’america’s Cup. Ses volumes identifiables, créés par le designer Gérald Genta, devaient l’aider à revenir sur le devant de la scène et à prendre très vite la tête des modèles emblématiques du pouvoir. Ce succès, que tout le monde reconnaît comme fulgurant, devait entraîner d’autres réussites. Dans la foulée de ce retour en grâce, renaissait l’engouement des amateurs pour les pièces des seventies identifiées comme des références de design. Tout est question de mode car, dix ans auparavant, personne ne regardait ces instruments. La Monaco était exhumée des tiroirs en 1998 et voyant son succès grandir après l’an 2000, la marque a lancé le produit en série, qui, de versions en éditions limitées, entretiendra la « collectionnite ». Dans le même esprit, la renaissance de la Nautilus devait intervenir après 2006 et son 30e anniversaire. La manufacture Girard-perregaux, après avoir surfé sur la pure
mécanique et le design ahurissant de son calibre à tourbillon sous trois ponts d’or inventé par Constant Girard, a ressorti la Laureato – un instrument à quartz créé en 1975 –, lorsqu’elle comprit que la mode des seventies faisait vendre. En parallèle de ces « standards » horlogers, plus ou moins efficaces en terme de marketing, différentes marques ont imposé leur style sur le marché jusqu’à en inspirer d’autres. La maison Urwerk, dont le co-fondateur, Martin Frei, est designer, a su deviner bien avant les autres combien le design influençait les choix. Les siens, puissants et sans concession, ont permis à cette entité, produisant à peine quelques centaines de pièces par an, de rester parmi les constructeurs les plus cités au sein de la nébuleuse des marques de nouvelle horlogerie. Pareillement, on oublie que le design associé à la céramique n’est pas une invention de la maison Chanel, qui a su mieux que personne imprimer son style minimaliste, mais une idée originale développée par la marque Rado, dans le milieu des années 1980. Consciente du potentiel qu’elle aurait pu avoir si elle avait capitalisé sur ce secteur, cette dernière a fait amende honorable et s’impose aujourd’hui en proposant des garde-temps réalisés en collaboration avec des artistes.
En y réfléchissant bien, pratiquement toutes les maisons ont fait oeuvre utile en employant, au cours de leur histoire, un designer ou un artiste engagé pour donner du piquant à leurs créations. Hermès a fait appel à Henri d’origny, avec le succès que l’on sait. D’autres, comme Chanel, ont collaboré avec un designer pour redonner du peps à la montre pensée par Jacques Helleu. La maison française Bell & Ross a, quant à elle, été fondée par Carlos Rosilio et Bruno Bellamich, un spécialiste du design. Ceci explique qu’actuellement la marque cherche à se positionner dans le secteur des garde-temps à forte implication visuelle. La BR02 a beaucoup fait pour les inciter à choisir des volumes accrochant le regard.
Attention, sous chaque dessin ne se cache pas obligatoirement un dessinateur inspiré. On retiendra que la tendance est à l’évocation depuis que Richard Mille a démontré que cette façon de faire pouvait rapporter des millions. Depuis, cette option, faisant de l’emprunt à des univers techniques un ressort de créativité, a été largement employée. Si Bell & Ross s’inspire des compteurs de bord des avions de chasse, la jeune marque Reservoir fait des manomètres et autres indicateurs de lectures par aiguilles rétrograde, son univers de prédilection. Certes, l’idée n’est pas neuve : une maison comme Chopard filait déjà la métaphore dans le milieu des années 1990, en produisant les chronographes Mille Miglia, tous dérivés d’instruments susceptibles d’être observés au tableau de bord d’antiques voitures de rallye.
S’inscrire dans une mouvance en recréant
De nombreuses marques cherchant à attirer l’attention de ceux qui avaient déjà tout, se sont
penchées sur leur passé pour tenter de retrouver des instruments dignes de figurer comme des modèles de design.
Les premières, jeunes et ne disposant pas de l’antériorité pour piocher dans leur propre catalogue de références du passé, sont allées emprunter des formes utilisées par différentes signatures. Ainsi, Briston s’est inspiré de dessins similaires à ceux de Panerai ou des Rolex Bubble Back des années trente. Pour ne pas être taxée de copieuse, la marque a développé un gardetemps faisant appel à l’acétate de cellulose, un matériau longtemps employé en lunetterie pour sa ressemblance avec l’écaille de tortue. Dans l’esprit, la jeune maison Le Rhöne joue aussi de volumes particuliers, largement employés dans le courant des années quatre-vingts, histoire de surfer sur les goûts de la jeune génération pour cette période.
D’autres entités, pourvues d’un plus riche passé, font renaître des créations horlogères. Elles s’inscrivent alors dans la tendance du vintage et du design. C’est le cas de Van Cleef & Arpels, qui avait relancé la montre Cadenas, sans doute la plus originale et la plus belle des montres-bijoux féminines. Piaget a réédité en l’extrapolant la Piaget extraplate qui, devenue Altiplano, a rencontré un tel succès que la finesse est redevenue une tendance en soi après des années d’oubli. On retiendra aussi les évolutions de produits. Ainsi la division Louis Vuitton horlogerie a fait évoluer son modèle Tambour et en a récemment dynamisé les lignes pour l’inscrire dans la durée.
Dans une certaine mesure, cet entretien du souvenir du passé par une injection d’un zeste de modernité au coeur d’une collection est aussi une spécialité de Bvlgari. La récente édition de