Libre parole, par Jean-Robert Pitte
En ce printemps 2014, les Européens ont renouvelé leur Parlement. Comme de coutume, les Français ont manifesté au cours des débats préalables à l’élection leur défance vis-à-vis d’une institution qu’ils jugent lourde, coûteuse, inefcace, se mêlant de tout et assassinant une “exception culturelle” qu’ils jugent nécessaire à leur épanouissement. Pourtant, les professionnels du vin et les amateurs qui les font vivre feraient bien de se pencher sur une récente résolution dudit Parlement à propos de laquelle la presse française s’est montrée très discrète. Dommage ! Jugez-en.
Le 12 mars 2014, sur proposition de la Commission de la culture et de l’éducation, le Parlement a adopté par 530 voix pour, 74 contre et 14 abstentions, une résolution (2013/2181(INI)) « demandant aux États membres de prendre des mesures pour préserver le patrimoine gastronomique européen, notamment par la promotion des traditions locales et régionales. Des cours sur la gastronomie et une alimentation saine devraient être intégrés dans les programmes scolaires de tous les pays de l’UE » . Dans ce texte clair et enthousiasmant, on peut lire en particulier que le Parlement « estime qu’il convient de prévoir des cours d’éducation et de sensibilisation aux conséquences de la consommation excessive de boissons alcoolisées, d’encourager les habitudes de consommation appropriées et intelligentes par la connaissance des caractéristiques spécifques des vins, de leurs indications géographiques, de leurs cépages, de leurs modes de production et de la signifcation des mentions traditionnelles » .
Pas un mot à retrancher ou à changer : on rêve que le Parlement français vote un texte semblable et que celui-ci soit défendu conjointement par les ministres en charge de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, de l’Agriculture, de la Culture et de la Santé. Ce serait une belle manifestation de notre exception culturelle, alors qu’au contraire, depuis des années, les princes qui nous gouvernent n’ont de cesse d’amalgamer dans un même discours d’opprobre le vin et les boissons industrielles fermentées ou distillées, et surtout de faire silence sur les grands avantages d’une consommation raisonnable, seul remède à la mortifère alcoolisation massive et furtive.
À l’heure où ces lignes paraissent, le Parlement français étudie encore deux propositions de loi déposées par le sénateur de l’Aude Roland Courteau, l’une « visant à afrmer clairement que le vin fait partie intégrante du patrimoine culturel et gastronomique de notre pays » , l’autre « visant à distinguer le vin des autres boissons alcooliques » et à autoriser les opérations de parrainage, la propagande et la publicité, assorties « d’un message incitant à la modération de la consommation et à la responsabilité du consommateur » . Existe-t-il dans l’histoire législative plus belle entrée en matière que cette première phrase de l’exposé des motifs, tirée de Colette : « Seule dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre » ?