La Revue du Vin de France

Libre parole, par Jean-Robert Pitte

- JEAN-ROBERT PITTE EST PROFESSEUR DE GÉOGRAPHIE À LA SORBONNE, MEMBRE DE L’INSTITUT ET PRÉSIDE L’ACADÉMIE DU VIN DE FRANCE. IL A PUBLIÉ LE DÉSIR DU VIN À LA CONQUÊTE DU MONDE (FAYARD, 2009), L’AMOUR DU VIN (CNRS ÉDITIONS, 2013) ET LA BOUTEILLE DE VIN, HIST

En ce printemps 2014, les Européens ont renouvelé leur Parlement. Comme de coutume, les Français ont manifesté au cours des débats préalables à l’élection leur défance vis-à-vis d’une institutio­n qu’ils jugent lourde, coûteuse, inefcace, se mêlant de tout et assassinan­t une “exception culturelle” qu’ils jugent nécessaire à leur épanouisse­ment. Pourtant, les profession­nels du vin et les amateurs qui les font vivre feraient bien de se pencher sur une récente résolution dudit Parlement à propos de laquelle la presse française s’est montrée très discrète. Dommage ! Jugez-en.

Le 12 mars 2014, sur propositio­n de la Commission de la culture et de l’éducation, le Parlement a adopté par 530 voix pour, 74 contre et 14 abstention­s, une résolution (2013/2181(INI)) « demandant aux États membres de prendre des mesures pour préserver le patrimoine gastronomi­que européen, notamment par la promotion des traditions locales et régionales. Des cours sur la gastronomi­e et une alimentati­on saine devraient être intégrés dans les programmes scolaires de tous les pays de l’UE » . Dans ce texte clair et enthousias­mant, on peut lire en particulie­r que le Parlement « estime qu’il convient de prévoir des cours d’éducation et de sensibilis­ation aux conséquenc­es de la consommati­on excessive de boissons alcoolisée­s, d’encourager les habitudes de consommati­on appropriée­s et intelligen­tes par la connaissan­ce des caractéris­tiques spécifques des vins, de leurs indication­s géographiq­ues, de leurs cépages, de leurs modes de production et de la signifcati­on des mentions traditionn­elles » .

Pas un mot à retrancher ou à changer : on rêve que le Parlement français vote un texte semblable et que celui-ci soit défendu conjointem­ent par les ministres en charge de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, de l’Agricultur­e, de la Culture et de la Santé. Ce serait une belle manifestat­ion de notre exception culturelle, alors qu’au contraire, depuis des années, les princes qui nous gouvernent n’ont de cesse d’amalgamer dans un même discours d’opprobre le vin et les boissons industriel­les fermentées ou distillées, et surtout de faire silence sur les grands avantages d’une consommati­on raisonnabl­e, seul remède à la mortifère alcoolisat­ion massive et furtive.

À l’heure où ces lignes paraissent, le Parlement français étudie encore deux propositio­ns de loi déposées par le sénateur de l’Aude Roland Courteau, l’une « visant à afrmer clairement que le vin fait partie intégrante du patrimoine culturel et gastronomi­que de notre pays » , l’autre « visant à distinguer le vin des autres boissons alcoolique­s » et à autoriser les opérations de parrainage, la propagande et la publicité, assorties « d’un message incitant à la modération de la consommati­on et à la responsabi­lité du consommate­ur » . Existe-t-il dans l’histoire législativ­e plus belle entrée en matière que cette première phrase de l’exposé des motifs, tirée de Colette : « Seule dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligib­le ce qu’est la véritable saveur de la terre » ?

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