Silvio Denz
Évoluant entre les univers du parfum, de la cristallerie Lalique et du vin avec ses crus classés Faugères et Péby Faugères, l’homme d’affaires vient de racheter le château Lafaurie‑Peyraguey, à Sauternes, où il compte développer un complexe oenotouristiqu
La Revue du vin de France : En début d’année, vous avez fait l’acquisition du château Lafaurie Peyraguey, l’un des plus beaux domaines de Sauternes. Qu’allez-vous en faire? Silvio Denz : Dans un premier temps, je souhaite accroître la qualité du grand vin du domaine en m’appuyant sur les parcelles historiques, et développer un grand vin blanc sec, à l’instar d’Olivier Bernard avec son Clos des Lunes. La RVF : Vous voulez également développer l’oenotourisme sur place. S. D. : Oui, car c’est l’un des atouts de Lafaurie-Peyraguey. Architecturalement, c’est l’un des plus beaux châteaux de l’appellation. Nous allons donc développer un hôtel de treize chambres, avec un spa, ainsi que des activités oenotouristiques dans cette très belle appellation de Sauternes. La RVF : D’où vous vient votre intérêt pour le vin? S. D. : Je suis né en Suisse dans le canton de Bâle. C’est une région viticole que les Français connaissent peu. Mais lorsque j’étais enfant, j’accompagnais souvent mon père dans le petit vignoble que possédait alors ma famille, à une trentaine de kilomètres de la ville sur les bords de Rhin. On y avait planté du pinot noir. De plus, ayant grandi à proximité de la frontière alsacienne, j’ai très tôt goûté aux merveilleux rieslings et pinots locaux. L’infuence des terroirs sur les parfums ou sur le goût des vins m’a longtemps servi de repère. La RVF : Du nez d’un parfum aux arômes d’un vin, n’y a-t-il pas un lien avec votre première activité? S. D. : Oui bien entendu, le parfum et les arômes sont comme un fl rouge dans ma vie. En efet, après avoir travaillé dans le secteur bancaire et au sein de multinationales, j’ai eu, en 1984, l’opportunité d’acquérir la totalité du capital de la société helvète Alrodo AG, spécialisée dans la distribution de parfums. Le développement du réseau de magasins à travers toute la Suisse m’a permis, quelques années plus tard, une revente proftable au groupe français Marionnaud. C’est à cette période que j’ai réalisé mes premiers investissements, seul ou avec des partenaires, dans l’entreprise Art & Fragrance SA et dans des vignobles en Espagne, en France et en Italie. La RVF : Sous votre impulsion, l’entreprise Art & Fragrance, spécialisée dans le développement et la distribution de marques de parfums, est désormais détentrice de la maison et de la marque française Lalique. Pourquoi ce nouvel intérêt ? S. D. : Cette étape a contribué à m’ancrer dans la production de vins. Je réalisais aussi un rêve. Depuis l’âge de 25 ans, je collectionne des pièces en verre et les créations originales de René Lalique. Cette chance de rachat était unique, il fallait que je la saisisse et fasse tout pour que perdure un tel nom, mondialement connu, et un savoirfaire unique dans le secteur du luxe en France. Nous avons tous
Depuis l’âge de 25 ans, je collectionne les créations originales de René Lalique
Le vin rejoint l’art et l’artisanat de luxe
conscience de détenir là un patrimoine artistique exceptionnel. C’est aussi une prolongation de l’univers des parfums, de celui du design et de la fabrication de facons, mais également des arts de la table. Au début du XXe siècle, René Lalique avait lui-même dessiné et signé des collections de verres, carafes, seaux à glace et bouteilles pour le Clos Sainte-Odile à Obernai. La RVF : Est-ce pour vous inscrire dans cette histoire que la cristallerie Lalique a récemment lancé son nouveau verre de dégustation? S. D. : Oui. En septembre 2012, nous avons présenté le 100 Points, un verre à dégustation créé conjointement avec l’un de vos confrères, James Suckling, le critique de vin renommé. Le nom de 100 Points a été choisi en référence à la notation maximum d’un vin par la presse anglo-saxonne. Il a été conçu pour magnifer toutes sortes de vins. D’un diamètre de 6 cm, il ne pèse que 2 g pour une hauteur idéale de tenue en main de 22,3 cm. Sa transparence est parfaite. La RVF : Un vin parfait, cela existe-t-il ? Quelle est votre définition d’un grand vin ? S. D. : Je pense que certains vins doivent être attendus, pour atteindre, après quelques années de garde, leur sommet qualitatif. Ils deviennent dès lors uniques, incomparables et sont unanimement appréciés par les plus grands dégustateurs. Je reconnais un grand bordeaux de la rive droite, par son équilibre et sa structure apportés par le merlot. J’adore ce cépage, sa couleur et son odeur surtout lorsqu’il vieillit. À Pomerol, la composition des sols va de surcroit lui permettre d’exhaler une très large palette de parfums, et d’exprimer de la douceur et de la matière en bouche avec une grande persistance. Sa vinifcation est à chaque fois un challenge. La RVF : Vous préférez donc les vieux vins? S. D. : En efet, j’aime boire un pinot noir de Bourgogne de 20 ans d’âge ou alors un grand cru de Saint-Émilion de plus de 30 ans. Les grands vins français ont cette particularité qu’ils gagnent en complexité et en équilibre avec le temps. En Suisse, dans le village de mon enfance, nous trouvons des vins blancs et rouges issus parfois des mêmes cépages qu’en Bourgogne mais il n’ont rien de comparable. Bien entendu, je reconnais qu’il existe aussi dans le Valais de grands vins et d’excellents vignerons. Vous savez, je suis un bon vivant et je rencontre toujours, quel que soit l’endroit, beaucoup de plaisir à déguster les vins. La RVF : En parlant de grands vins, on peut désormais évoquer vos domaines, le château Faugères et Peby Faugères à Saint-Émilion qui, en 2012, ont chacun été promus grand cru classé. Il semble que tout ce que vous touchez se transforme en or? S. D. : J’ai acheté ces domaines en 2005. Ils avaient déjà des terroirs reconnus, composés en majorité de sols calcaire et argilocalcaire. L’ancien propriétaire Pierre-Bernard Guisez, hélas aujourd’hui décédé, était un homme remarquable. Il a énormément contribué à améliorer la qualité de ces vignobles. Les conseils de l’oenologue Michel Rolland ont été d’une grande sagesse et d’une grande précision technique. C’est toute une équipe qui se voit récompensée par la profession. Comme tous les grands crus de Saint-Émilion, nous participons au rayonnement de la France à l’étranger en faisant rêver les amateurs de vins du monde entier. C’est là où le vin rejoint pour moi la création, l’art de la maison Lalique et l’artisanat de luxe. La RVF : Qu’en est-il de vos autres vignobles? Les châteaux de Chambrun en AOC Lalande-de-Pomerol, Cap de Faugères en AOC Castillon-Côtes de Bordeaux, Montepeloso en Toscane ou le Clos d’Agon en Catalogne. S. D. : Je pense que ces domaines ont leurs caractéristiques propres. Ils répondent à d’autres exigences et à d’autres marchés. Pour chacun d’eux, nous avons les mêmes objectifs : qu’ils fgurent parmi les meilleurs de leur appellation. La RVF : Vous êtes aussi un grand amateur d’art. Que répondez-vous aux détracteurs de la nouvelle architecture du chai du château Faugères, surnommée localement “la cathédrale” ? Pouvez-vous comprendre que l’on soit choqué qu’un tel bâtiment puisse être construit sur un site protégé ? S. D. : J’ai bien conscience que toute oeuvre moderne, de surcroît très identitaire, puisse déconcerter. Mais son concepteur, Mario Botta, est un architecte exceptionnel de renommée mondiale. Je lui ai fait confance car son projet était original. Les fondations partiellement enterrées sont en pierre, l’espace de travail est magistralement conçu pour améliorer les conditions de production et la conservation des barriques. L’élément architectural que vous évoquez, sa tour, sert à accueillir le public. En son sommet, votre regard porte à 360° sur un paysage de vignes d’une grande beauté. Vous savez, nous avons aussi subi des critiques sur le site du musée Lalique à Wingen. Pourtant aujourd’hui, le public est au rendez-vous. Il faut savoir prendre des risques. C’est ainsi que l’on avance.