Dans le labo de Louis Pasteur
C’est à Arbois, dans la tannerie familiale réaménagée en laboratoire et grâce à une parcelle de vignes jurassiennes, que le chercheur a découvert le processus de la fermentation. Sa demeure témoigne aujourd’hui de l’extraordinaire ingéniosité du savant.
Tout amateur de vin et de bonne chère se doit, au moins une fois dans sa vie, de faire étape à Arbois. D’abord parce qu’outre ses vins, cette cité de 3 500 habitants compte des artisans et traditions exceptionnels, tels les écrevisses et poulettes de Bresse au vin jaune de Jean-Paul Jeunet (deux étoiles au Guide Michelin), les ganaches et pralinés de l’immense chocolatier Hirsinger, sur la place à arcades de la cité. Sans oublier la fête du Biou, cette grappe de raisin géante pesant près de 100 kilos et conduite en procession chaque premier dimanche de septembre…
UNE MAISON LABORATOIRE
Mais Arbois, pour les amoureux du vin, c’est aussi la maison et la vigne historique de Louis Pasteur, l’un des plus grands savants (1822-1895). Ses travaux sur l’étude des cristaux, les maladies contagieuses et la fermentation sont si fameux que son nom fgure dans tous les dictionnaires anglais : pasteurization. C’est en efet dans sa maison d’Arbois que Pasteur conduit, dès 1863, quelques unes de ses observations capitales de l’histoire de l’humanité. On entre ici, au 83, de l’ancien faubourg de Courcelles, avec le coeur qui
bat. Boiseries, parquets, estampes, chambre à coucher, bibliothèque, laboratoire… Tout est absolument intact. Parmi les éprouvettes, ballons à col de cygne, cristallisoirs du labo, on peut encore observer des ampoules de jus de raisin isolé par Pasteur voici… cent cinquante ans. Et l’on est admiratif en imaginant que le savant fut le premier homme à observer, détailler et comprendre ici les processus fermentaires, notamment lors de l’élaboration de la bière et du vin.
LE MYSTÈRE DU VIN
Ces processus étaient connus depuis l’Antiquité, mais personne n’était parvenu à les expliquer. Lavoisier, Gay-Lussac, Ténard, Dumas entre autres s’y essayèrent, sans percer le secret. Pour beaucoup de contemporains de Pasteur, comme sous Périclès deux mille cinq cents ans plus tôt, les remous et l’échaufement constatés dans une cuve remplie de jus de raisin après quelques jours tenaient d’une action quasi divine, en tout cas enclenchée par des forces aussi obscures que mystérieuses. À Arbois, dans la maison que lui a léguée son père tanneur, Pasteur se met au travail.
À partir de 1879, il agrandit son laboratoire. Il fait installer l’eau courante et le gaz de ville qui éclaire la pièce, ses instruments et alimente les becs Bunsen. Avancée technique unique pour l’époque, il commande aussi une chaudière pour le four à incubation. C’est là que Pasteur va observer et décrire l’action des ferments. Dans le cas du vin, il démontre après de nombreuses observations au microscope que ce sont des levures qui, portées sur les grappes mûres par les poussières présentes dans l’air, transforment le sucre de raisin en alcool. Les microbes sont partout, y compris dans l’air ! En édictant ce principe, il règle une querelle scientifque vieille de plusieurs siècles, qui opposait partisans et détracteurs de la théorie dite de la génération spontanée. Très vite, les recherches de Pasteur révèlent que le déroulement d’une fermentation peut être altéré si un ferment étranger conjugue son action avec celle d’un ferment normal. L’hygiène devient une nécessité. Pasteur démontre toutefois que les ferments responsables des maladies du vin peuvent être détruits par un chauffage rapide. La pasteurisation est née. Elle reste utilisée par certaines maisons de vin de nos jours, notamment Louis Latour à Beaune, l’aïeul de Louis-Fabrice Latour, propriétaire, ayant été un ami proche et un admirateur de Pasteur.
LA HANTISE DES MICROBES
Louis Pasteur lui-même sera infuencé par ses découvertes, y compris dans sa vie privée. Dans sa chambre à coucher, le visiteur sera ébahi de découvrir son lit. Une ingénieuse articulation circulaire permet en efet de le décoller du mur en le faisant tourner sur lui-même, sur un rayon de 45°. Pourquoi cette coquetterie ? Pour que la bonne, suivant les consignes du maître désormais hanté par les microbes, puisse aisément nettoyer chaque jour et à fond le dessous de son lit ! La conscience des phénomènes déclenchés par les micro-organismes aura aussi des conséquences néfastes sur la vie du maître. Candidat au Sénat en 1876 dans le Jura, Pasteur comptait profter de sa nouvelle position de parlementaire pour plaider pour la science à Paris. Las… Ayant compris que les maladies infectieuses étaient déclenchées par des organismes microscopiques, il rechignait à serrer les mains afn de mieux se protéger des microbes ! Jacques Chirac lui-même l’avait compris, ce n’est pas la meilleure façon de gagner une élection. Aussi Louis Pasteur fut-il sèchement battu, bien que désormais mondialement connu. Un dernier mot à l’intention des visiteurs. Tout à côté d’Arbois, ne manquez pas la parcelle de vignes de Pasteur, au lieu-dit Rosières, près de Montigny-lès-Arsures. L’Académie des sciences y entreprend à nouveau des recherches, avec l’INRA. Toujours en production, complantée en chardonnay, poulsard, pinot noir, savagnin et trousseau, les vignes sont cultivées par la maison Henri Maire, qui produit une intéressante cuvée Louis Pasteur.