BOURGOGNE : LA HIÉRARCHIE DES TERROIRS BOUSCULÉE
La noble origine d’un chardonnay de Bourgogne, par exemple un grand cru ou un premier cru, permet-elle de le distinguer à l’aveugle face à de simples villages ? Réponse en 23 vins.
Chablis, meursault, corton-charlemagne, rully, mâcon voire nuits saintgeorges, tous ces grands blancs de Bourgogne ont le chardonnay en commun. Pourtant, les amateurs savent que chacun de ces vins possède son identité, sa typicité, qu’il révèle au travers de son goût et de ses arômes l’expression du terroir unique qui l’a vu naître. On ne devrait pas les confondre. Les notes crayeuses et minérales d’un grand chablis, la rondeur exotique d’un mâcon, les touches florales d’un puligny-montrachet, la finale tannique d’un corton-charlemagne signent leur identité et justifient leur singularité, parfois leur hiérarchie. Voilà pour la théorie.
Et dans la pratique et surtout à l’aveugle ? Est-il si facile de les distinguer ? Ne peuton pas confondre un chablis Grand cru et un meursault ? Les blancs de la Côte de Nuits sont-ils si particuliers ? La hiérarchie des terroirs, et donc des prix, est-elle toujours justifiée et d’actualité ? Le vieillissement accentue-t-il systématiquement la
perception du terroir ? La patte du vigneron peut-elle faire la différence ?
Ces questions, nous avons tenté d’y répondre en organisant une dégustation originale. Notre idée : mélanger une vingtaine de vins, du modeste bourgogne au grand cru, tous issus de la grande Bourgogne (de Chablis à Mâcon), sur deux millésimes (2011 et 2004), et les soumettre à l’aveugle à cinq membres de notre comité de dégustation.
Guffens et Dureuil-Jeanthial
Le résultat a été surprenant. Avec le chevalier d’Anne-Claude Leflaive, le meursault Perrières de Roulot, le bâtard de Sauzet ou le chablis Grand cru Les Clos de Billaud-Simon en tête du palmarès, la hiérarchie des grands terroirs et des grands vignerons n’a pas été chamboulée. Mais il y a eu des surprises. Pointons la très belle performance des plus beaux vins du Mâconnais et du Chalonnais, tels le mâcon-pierreclos de Jean-Marie Guffens qui parvient, malgré une origine supposée plus modeste, à s’imposer parmi les meilleures bouteilles de la dégustation, dans les deux millésimes, tout comme le superbe rully Le Meix Cadot de chez Dureuil-Jeanthial, qui a emporté l’adhésion générale, ou encore le pouilly de J. A. Ferret. Preuve s’il en est que ces régions regorgent de beaux terroirs et que le travail des hommes peut renverser l’ordre établi.
En revanche, le chablis Les Clos de Dauvissat a laissé perplexe la majorité du jury. On voit donc ici que la perception de la hiérarchie des terroirs n’est pas si flagrante à l’aveugle. Si certains vins se révèlent immédiatement (meursault Perrières de Roulot, chevalier de Leflaive, mâcon de Guffens), d’autres méritaient sans doute une aération de plusieurs heures (Dauvissat).
Autre enseignement, l’impact du temps sur les vins. Les traces d’oxydation prématurée perceptibles en Bourgogne depuis les années 90 n’ont pas totalement disparu. Plusieurs 2004 se sont montrés très fatigués (Anne-Claude Leflaive et Dominique Lafon n’avaient pas adressé ce millésime). En revanche, lorsque les bouteilles étaient au rendez-vous, le millésime se déguste parfaitement bien aujourd’hui.
Enfin, l’écart de prix, parfois du simple au triple, n’est pas toujours justifié : les vins de Guffens ont tenu tête aux bâtard et chevalier-montrachet beaucoup plus chers.