La Revue du Vin de France

Domaine Clos des Papes, à Châteauneu­f-du-Pape

- Reportage de Pierre Casamayor, photos de Marie-Ève Brouet

Quelques-unes des grandes pages de lÕhistoire de Ch‰teauneuf-du-Pape se sont Žcrites ici, sur les terres de la famille Avril. Ë lÕombre du palais papal, elle dŽfend un style b‰ti sur lÕŽlŽgance des Žquilibres naturels.

Le Clos des Papes fait partie des domaines historique­s de Châteauneu­f-du-Pape, avec une histoire marquée par la remarquabl­e continuité de la famille Avril. L’un de ses membres était premier consul de la cité en 1756. Grâce à cette lignée masculine, ce sont toujours des Avril qui tiennent les rênes de ce domaine emblématiq­ue dont le terroir d’origine est blotti sous le château papal. Après son grand-père qui oeuvre pour la naissance de l’appellatio­n, Paul Avril a porté le domaine au sommet de sa réputation. Véritable gardien du temple des traditions, il résiste aux modes passagères et démontre le bien-fondé des équilibres naturels.

Paul Avril est parti à l’âge de 72 ans en 2009, son fls Paul-Vincent a repris les commandes du Clos des Papes, dans la plus stricte continuité. Après des études au lycée viticole de Beaune, il s’oriente plutôt vers la Vincent de travailler avec Raoul Blondin à château Mouton Rothschild ou avec l’excellent Pierre Coste, grand dégustateu­r de vins de Bordeaux. « Il me faisait déguster dix vins à l’aveugle tous les soirs. » Un détour chez la famille Ott à Romassan (Bandol) où il approfondi­t sa passion pour le mourvèdre, un IUT vins et spiritueux, un passage aux Caves Legrand à Paris, un travail chez un importateu­r de vins à Zurich, des vinifcatio­ns en Australie, jusqu’à ce que son père le fasse revenir au domaine. Grâce à ces pérégrinat­ions, aucune des facettes de la flière vin ne lui est étrangère, il a acquis une belle expérience mais a gardé la ligne familiale. Son père et lui ont toujours aimé les mêmes vins, à tel point que, chacun de leur côté, ils élaboraien­t les mêmes assemblage­s. Rien viticultur­e alors que son père avait opté pour l’oenologie à Dijon. L’école bourguigno­nne à Châteauneu­f-du-Pape : le style des vins, équation entre puissance et fnesse, trouve là une explicatio­n. Cela n’a pas empêché Paul- d’étonnant donc à ce que la transition se soit efectuée dans la ligne directrice du Clos, celle qui a fait le succès de ses vins, à savoir une tradition mâtinée d’élégance.

Sur le fil du rasoir

Le terroir est morcelé, les 32 hectares se répartisse­nt en 24 parcelles. Issus de secteurs diférents qui recouvrent toutes les situations de l’appellatio­n, les sols et les microclima­ts sont très diférents, un vrai gage de complexité. On peut distinguer des terroirs de fnesse et des terroirs de puissance. Des sables, des terroirs caillouteu­x classiques, des sols plus argileux, mais aussi des parcelles en pente nord, d’autres plus exposées aux chaleurs rhodanienn­es. Un cocktail qui a permis de planter chaque cépage sur le terroir qui l’amène à son optimum de qualité : des grenaches en conditions plus froides, des syrahs sur les sols pauvres et caillouteu­x, des mourvèdres sur les sols plus riches en argile. Si

le grenache (65 %) n’exprime sa fnesse et sa personnali­té qu’au-dessus des 14,5 % de richesse alcoolique, il peut très vite basculer sur la confture, la syrah (10 %) est ici à sa limite méridional­e de culture qualitativ­e et le mourvèdre (20 %) à sa limite septentrio­nale, c’est dire si on joue sur le fl du rasoir et que la déterminat­ion des justes maturités est essentiell­e. D’autant qu’ici on vinife en cépages assemblés, véritable équation à résoudre chaque année. La variété des parcelles, leur exposition, les secteurs très diférents, le morcelleme­nt du domaine, la fréquence des prélèvemen­ts, sont des atouts pour résoudre le problème, mais il faut réagir vite pour cueillir à maturité optimale. Le clos historique occupe 3,70 hectares au pied du château, il est conduit en terrasses avec enherbemen­t des talus, sur lesquelles tous les cépages de l’appellatio­n sont plantés, une véritable leçon sur l’AOC Châteauneu­f-du-Pape. En blanc, les six cépages sont représenté­s.

Le vignoble est certifé en “bio” depuis quatre ans. Les vignes sont âgées, jusqu’à 80 ans, si le grenache est conduit en gobelet, la syrah est palissée en cordon de Royat et le mourvèdre en gobelet érigé. Depuis cinq ans, le rendement s’établit autour des 18 hectolitre­s par hectare (13,5 en 2013). « J’ai fortement baissé les rendements grâce à l’ébourgeonn­age et le travail du sol, car à 35 hectolitre­s par hectare, je considère que l’on fait du vrac ! On peut laisser jusqu’à 30 % par terre comme en 2012 » , dit PaulVincen­t . On renouvelle 50 ares tous les ans, l’esca fait ici des dégâts, avec une sélection massale. C’est le même personnel qui conduit tous les travaux de la vigne, de l’ébourgeonn­age à la vendange.

Une rigoureuse politique de tri

Des vendanges manuelles bien entendu, avec un tri à la coupe, un deuxième tri à la benne, un troisième sur camion, une dernière sélection sur tapis à l’entrée en cave.

Les raisins rouges sont égrappés (depuis 1991), puis entonnés par gravité dans des cuves en béton carrelé équipées de drapeaux (contrôle des températur­es). Les fermentati­ons se déroulent entre 30 et 32° C, sur un pied de cuve naturel, avec des remontages classiques, matin et soir. Les cuvaisons totales atteignent un mois pour compenser l’érafage, mais il ne faut pas que les tanins s’imposent. Au décuvage, les pressoirs viennent sous les cuves et recueillen­t le marc par gravité.

Les vins attendent leur “malo” tout l’hiver, puis sont élevés un an en foudres de 20 à 55 hectolitre­s, on assemblera alors certaines cuves. Il n’y a pas de bois neuf au Clos des Papes. Même si on remplace un foudre tous les deux ans : le foudre neuf va contenir du vin de table pendant trois ans pour épuiser ses tanins. Ici on ne fltre plus depuis 1988, mais les vins sont collés et subissent une précipitat­ion tartrique naturelle.

Des blancs sans “malo”

Pour les vins blancs, les grappes entières issues de tous les cépages assemblés sont pressées, les jus sont débourbés une nuit à froid, on laisse remonter les températur­es jusqu’à 21° C. Pas de “malo”, les vins sont gardés sur lies fnes jusqu’au printemps en cuves inox. La mise en bouteilles a lieu par gravité. Une nouvelle cave souterrain­e accueille désormais le bouteiller.

Le style des vins

Il n’y a pas de cuvée spéciale au Clos des Papes, le vin est l’expression de l’ensemble du domaine, une sorte de synthèse de toutes les facettes de Châteauneu­f-du-Pape. Une expression des vins rouges faite d’architectu­re, la forte proportion de mourvèdre n’y est pas étrangère, de puissance équilibrée, avec ce fruité inimitable du grenache mature, de fnesse aromatique, les épices de la syrah parlent ici haut et fort, mais surtout de qualité phénolique exceptionn­elle, avec des tanins satinés et rafnés à l’extrême. La force alcoolique, bien réelle, est toujours sous-jacente, mais équilibrée par une fraîcheur balsamique qui tend bien les vins, les rend appétants et vibrants. Tout ceci demande cependant un peu de temps. Dans les premières années, le mourvèdre est devant, il faut carafer les vins. Au bout de six à sept ans le grenache revient, la complexité est alors au rendez-vous. Mais c’est après une dizaine d’années que le grand vin se dévoile, avec son ampleur, son satiné, sa palette aromatique excitante pour une carrière de plusieurs décennies.

Quant aux vins blancs, ils sont eux aussi évolutifs, passant des arômes foraux avec une grande minéralité aux senteurs miellées et de feurs séchées, et se stabilisen­t pour des longévités exceptionn­elles. De grands vins de gastronomi­e.

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s’est constitué un domaine d’une grande diversité de parcelles,
gage de la complexité des vins.
UN VIGNOBLE EMBLÉMATIQ­UE. Depuis le XVIIIe siècle, la famille Avril s’est constitué un domaine d’une grande diversité de parcelles, gage de la complexité des vins.
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Paul, son père, était oenologue. Formé au lycée viticole de Beaune où il côtoie les Trapet, Ramonet…, Paul-Vincent est davantage “branché” par la culture de la vigne. De son père, il a également hérité le goût du châteauneu­f-du-pape traditionn­el et...
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Production moyenne annuelle : rouge : 65 000 bouteilles, blanc : 8 000 bouteilles
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Terroir : 32 hectares (grenache, mourvèdre, syrah, counoise, vaccarèse, muscardin, clairette, picpoul, grenache blanc, roussanne, bourboulen­c, picardan…) Production moyenne annuelle : rouge : 65 000 bouteilles, blanc : 8 000 bouteilles Type...
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LE SECRET D’UNE LONGÉVITÉ. Ici, les vins issus de vignes pouvant atteindre 80 ans sont élevés un an en foudres de 20 à 55 hl avant d’être mis en bouteilles par gravité et reposer dans la nouvelle cave souterrain­e.
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