La Revue du Vin de France

LA SAVEUR DU TEMPS QUI PASSE

- DENIS SAVEROT

C’est un repas de baptême, champêtre comme il se doit. Nous sommes en Aquitaine. Derrière un bouquet de chênes des marais, ont été disposés des tréteaux, couverts d’une nappe en papier blanc. Annie est venue avec un foie gras et sa recette des îles fottantes. Elle surveille sa crème anglaise. On a ouvert du champagne, puis le vin est arrivé. Un magnum de saint-émilion, un Château Faugères 2010, un vin massif, musculeux. Bientôt suivi par deux bouteilles de Loire, un Clos Rougeard 2002 puis un Pompois 2003, un anjou rouge naturel signé Nicolas Reau, le deuxième millésime de ce vigneron devenu à la mode dans les bistrots parisiens. Et là, tout de suite, le silence se fait. Ces deux vins ont une couleur merveilleu­se, pétale de rose, délicieuse­ment fragile. Deux vins soutenus par une élégante trame végétale, comme la saveur d’un clafoutis peut l’être par le goût des noyaux laissés dans les cerises.

C’est un dîner au château Palmer, l’un des margaux mythiques pour les connaisseu­rs du monde entier. Tomas Duroux, son directeur, est fer de son nouveau chef japonais. L’infuence de Hide Ishizuka, jadis repéré par Jean-Michel Cazes qui l’installa dix ans comme sommelier du Cordeillan-Bages avant qu’il n’ouvre Le Petit Verdot, à Paris, est toujours bien présente dans le Médoc. Tomas Duroux sert d’abord à l’aveugle un vin blanc original, un assemblage réhaussé de lauzet, vieux cépage du Sud-Ouest. C’est surprenant, c’est jeune, c’est le blanc de Palmer. Arrivent ensuite deux vénérables Palmer, un 1998 puis un 1970. Le 1970 est merveilleu­x de suavité, dans sa robe pourpre. Aucune trace ici des refets orangés qui dénaturent tant de vins de la décennie 70 à Bordeaux.

C’est un déjeuner à Pauillac, au château LynchMouss­as. Le propriétai­re, Philippe Castéja, issu des plus illustres familles bordelaise­s, un maire de Bordeaux par son père, les Borie par sa mère, lui-même marié à une Ballande, est un homme de culture. Nous visitons le domaine qu’il vient de rénover, et c’est un peu comme un voyage dans le temps. Face au portrait du créateur de ce cru classé, Jean-Baptiste Lynch, comte d’Empire qui ouvrit les portes de Bordeaux aux Bourbon, la porte ouverte de la maison dévoile la perspectiv­e du jardin. Ici, pas le moindre bruit de circulatio­n automobile. Seul le vent de l’estuaire caresse la pointe des arbres. Philippe Castéja a peu de goût pour les vertes années. Il sert Lynch-Moussas 2003, 1996, 1982. Et là, à nouveau, opère la magie des vieux millésimes.

Ces trois scénettes, cher lecteur, sont comme une introducti­on à ce numéro, un hommage à la magie du vin, autrement dit au temps qui passe. À l’heure de la frénésie Twitter, où l’on réserve un week-end à Bali la veille au soir, où il n’est pas rare de faire 50 kilomètres en voiture pour rentrer chez soi après une journée de travail, le vrai privilège consiste à prendre le temps, notamment celui de partager de vieux vins.

Il n’est pas commun de nos jours de consacrer la couverture d’un magazine à un sujet… de dix ans d’âge. C’est pourtant notre audace que d’ouvrir ce fabuleux grimoire, la saga d’un immense millésime, 2005 à Bordeaux, redégusté et jugé dix ans après. Dès 2006, les jeunes 2005 avaient été annoncés exceptionn­els. Parfois pourtant, même les mieux dotés ne tiennent pas leurs promesses. Nous n’avons pas été déçus. Voici notre nouvelle hiérarchie des bordeaux dans une très grande année, illuminée par la classe des grands médocs ici au frmament. Un enchanteme­nt.

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