Pierre Guénant, le libraire vigneron
Le discret Pierre Guénant, vigneron en Coteaux d’Aix, est un bibliophile sérieux. Au faîte d’une brillante carrière dans les affaires, à la tête de 166 hectares de vignes près de Rognes (château Beaulieu, villa Baulieu, Clos des Trois Sources), il a conservé intacte une passion d’enfance : « À 12 ans, j’ai acheté mon premier livre, La France immortelle, [Louis Madelin], dans une édition courante, et avec mon argent de poche, je l’ai fait relier. »
Ce n’est pas la posture d’un grand patron ayant fait fortune dans l’automobile (PGA Motors), toujours très actif dans les cercles dirigeants (vice-président de la CFAO, exCompagnie française de l’Afrique occidentale) et jusque dans l’économie du vin (il est actionnaire et administrateur du groupe Advini). Voici huit ans, pour éviter que les marchands du temple ne la rayent du 145, bd Saint-Germain (Paris VIe), il a racheté Nicaise, petite enseigne de livres d’art dont François Mitterrand était un client. Viceprésident de la Fondation Vasarely, Pierre Guénant est aussi mécène du Prix Apollinaire. À chaque édition de ce Goncourt de la poésie, il fait dessiner par un artiste l’étiquette de sa marque Villa Baulieu, dont il rêve qu’elle challenge un jour son voisin, le château Simone, star de Palette. « 150 étiquettes originales numérotées et signées par l’artiste. Mieux qu’à Mouton où les Rothschild ne commandent qu’un original qu’ils conservent » , s’amuse-t-il.
Sa bibliothèque, en Provence, recèle des milliers d’ouvrages rares ayant trait à l’histoire naturelle, aux mathématiques et surtout au vin. De proprietatibus rerum (Bartholomaeus Anglicus, édition de 1488), Théâtre d’agriculture et mesnage des champs (Olivier de Serres, 1600), L’Ampélographie, traité général de viticulture (Viala et Vermorel, 1900), etc. Une collection moins volumineuse que celle de Bernard Plageoles (Gaillac) mais constituant un sanctuaire des arts anciens de la vigne. La lecture d’une antique recette de vin cuit provençal dans Topographie de tous les vignobles connus (André Jullien, 1816) lui avait donné l’idée d’en relancer la production. Las ! Des agents des Fraudes lui ont signifié qu’il ne pouvait utiliser la mention “vin” pour ce type de breuvage. Pline l’Ancien, qui en buvait voici 2 000 ans, aurait aimé dénoncer ce sophisme bureaucratique.