Cinéma : silence, on tourne en Bourgogne !
Pour le tournage de Premiers crus, le réalisateur français Jérôme Le Maire a voulu magnifier le vignoble bourguignon. Notre dégustateur, Guillaume Baroin, a suivi l’aventure comme conseiller technique. En avant-première, il nous fait découvrir les coulisses du film. Sortie prévue cet automne.
Janvier 2014, coup de fl à La RVF. Le cinéaste Jérôme Le Maire ( Requiem pour une tueuse) prépare son nouveau flm, l’histoire de deux familles vigneronnes aux lourds secrets. Mais pour rendre le sujet crédible, le réalisateur cherche un conseiller technique vin capable à la fois de les aider à repérer les lieux de tournage et d’épauler les acteurs dans leur rôle de vigneron. Le casting n’est pas encore confrmé, mais le tournage aura lieu au coeur du vignoble bourguignon durant l’automne 2014. Denis Saverot, directeur de la rédaction, conseille alors au cinéaste de prendre contact avec Guillaume Baroin, qui vit et travaille en Bourgogne. Ce dernier raconte.
Après quelques échanges téléphoniques, le réalisateur m’envoie le script définitif en mars. Dès la lecture des premières scènes, personnages et décors m’apparaissent déjà sur un grand écran imaginaire. Trois missions me sont dévolues : la recherche des décors du film, la formation des acteurs aux gestes viticoles et enfin l’approvisionnement en vin de la cantine du plateau. Quelques jours plus tard, à Beaune, je retrouve Jérôme Le Maire accompagné de Thierry Muscat, le directeur de production. Ensemble, nous visitons deux jours durant la région à la recherche des deux décors principaux du long-métrage. Toutefois, les contraintes techniques sont
nombreuses. Avec la régisseuse de plateau, Isabelle Gautier, dite Zaza, “quinqua” au sourire en bandoulière, nous poussons les portes de plus de cent domaines et maisons de négoce, du Mâconnais jusqu’à la Côte de Nuits, toutes bien connues des amateurs. Nous sillonnons également le vignoble à la recherche de routes de campagne, de granges et d’entrepôts.
Corton transposé à Rully
Les vignerons nous accueillent avec gentillesse. Zaza photographie tous les lieux que mon index désigne, légende chacun d’eux et envoie les photos au réalisateur qui peut ainsi se faire une idée précise des endroits visités. Le Clos des Langres, à Corgoloin, retient leur attention. Toutefois le cinéaste trouve que le site manque d’espace pour certaines prises. Malgré trois visites au domaine Albert Morot, à Beaune, les caves ne seront finalement pas retenues, contrairement aux légendaires Hospices de Beaune.
Courant juin, le cinéaste revient en Bourgogne pour valider le choix des premiers lieux. Il hésite encore entre deux bâtisses comme cadre principal de son film. L’affaire est tranchée lors d’une ultime visite en août, en compagnie du chef décorateur Maamar Ech-Cheikh (César du meilleur décor pour OSS 117 : Le Caire, nid d’espion).
Dans le scénario, l’action du film se déroule en Côte de Beaune, mais les scènes dans les domaines seront finalement tournées en Saône-et-Loire. Le domaine Gouffier, à Fontaines, près de Mercurey, servira ainsi de décor à une tonnellerie, et le domaine Niepce, à Rully, exploitation viticole du XIXe siècle, sera la maison des Maréchal, le clan dont Gérard Lanvin est le patriarche, Jalil Lespert le fils, Laura Smet la fille et Lannick Gautry le gendre.
Le somptueux château de Pierreclos, lui, abritera les Maubuisson, la dynastie de viticulteurs concurrente et néanmoins amie des Maréchal, emmenée par Frédérique Tirmont, actrice familière du grand public pour être la voix de Meryl Streep, et Alice Taglioni, sa fille et oenologue.
Le tournage va durer sept semaines dans les vignobles bourguignons.
Mais il reste à caler certains points techniques. Les acteurs doivent pouvoir jouer verre en main avec la même aisance que les vignerons. C’est là que j’interviens à nouveau. Selon leurs connaissances et prédispositions naturelles, je passe entre une demi-heure et deux heures avec chacun d’eux pour leur apprendre les gestes essentiels. Jalil Lespert prend son rôle à coeur et découvre les talents cachés du critique de vin qu’il incarne.
Alice Taglioni chez Maréchal
Autour d’un viré-clessé 2013 du domaine Marin, l’acteur Lannick Gautry, passionné de vin, possède déjà la gestuelle d’un oenophile averti. Avec Alice Taglioni, la discussion sera nocturne autour d’un verre de bourgogne rouge 2011 du domaine Maréchal, le vrai, celui de Bligny-lès-Beaune. Si la comédienne s’intéresse au vin et possède un palais sûr, elle doit acquérir la gestuelle précise de l’oenologue.
Quant à monsieur Lanvin, son âge et son expérience du vin (en particulier des bordeaux qui ont sa préférence) parlent pour lui. Je le retrouve dans la cave voûtée du château où il tourne une scène avec sa voisine Édith, en l’occurrence Frédérique Tirmont très curieuse de l’univers viticole. Cette dernière doit ouiller des fûts tout en parlant avec lui. Guillaume lui montre comment tenir une ouillette, débonder une pièce de vin puis la remplir. En cinq minutes, elle prend le coup. Respect !
L’acteur principal, Jalil Lespert a lui réclamé ma présence à Paris pour peaufiner une scène importante : il doit montrer son savoir-faire de critique de vin lors d’une dégustation fleuve. L’homme tourne comme un lion en cage. Dans la grande pièce de l’hôtel particulier qui sert de décor, il répète mes gestes, s’arrête, me demande si c’est bon. Pour peaufiner sa gestuelle, il a même visionné des vidéos sur Internet. Nous reprenons ensemble le texte de ses répliques. Biffées et réécrites, les notes de dégustation ne rendent pas le même effet que sur le papier. L’homme est un perfectionniste. Il n’arrive pas à cracher correctement et s’énerve tout seul. Il recommence. Encore une demi-heure d’entraînement et le voilà enfin prêt.
Un grand barnum
Un plateau de cinéma ressemble à un cirque où fourmillent aussi bien les artistes que des dizaines de techniciens. Un barnum géant qui sillonne, non pas les villes mais les lieux retenus pour le tournage. L’équipe de la régie est toujours la première sur place, dès 7 heures, car elle gère la caravane des cars et des camions. Le soir, elle est la dernière à quitter le site et s’installe souvent de nuit à proximité du décor du lendemain. Dans cette longue colonne motorisée, chaque fourgon noir a une fonction : loges des acteurs, bloc des sanitaires, cabine pour habillagemaquillage-coiffure et régie.
Vraies vignes et faux raisins
En arrière-plan, les vignes semblent des actrices silencieuses. Saint Vincent, patron des vignerons, a posé un oeil bienveillant sur le tournage : en cette mi-octobre, alors que l’automne devrait être froid, l’été indien s’installe et le feuillage est aussi verdoyant qu’au début septembre. En coulisse, c’est une satisfaction. « Cela évitera de le colorer en postproduction » , se réjouit un chef opérateur.
La réalité ne s’accommode pas toujours bien avec la fiction cinématographique. À Pierreclos, la caméra doit balayer une vigne avant de remonter sur le château.
Mais au premier plan, la vigne a déjà été vendangée. Il faut donc la “rhabiller” afin qu’elle corresponde à une scène de prévendange. Le chef décorateur me demande des consignes par téléphone. Je lui réponds : « C’est facile ! Ton équipe met une grappe à la place de chaque rafle laissée par la machine » .
Une heure plus tard, je découvre sur place l’équivalent de deux récoltes pendues sur pied ! C’est trop. De plus, les raisins ont été installés partout sur la vigne et sur des piquets. Pire, les grappes ressemblent à de vulgaires raisins de table ! Au vu du prix du pinot noir, la production du film a en effet opté pour l’achat de 450 kilos de raisins de muscat à gros grains. Je réclame qu’on enlève la moitié des grappes mal positionnées et de tailler celles qui restent accrochées pour donner l’illusion à l’écran que ce soit du pinot noir. Une heure plus tard, la vigne est enfin prête pour faire son cinéma. Tous ces efforts pour un mouvement de caméra de quelques secondes.
Envie de boire un vrai vin
Les talents du décorateur ne s’arrêtent pas à la vigne. Une remise au fond d’une cour devient comme par magie une tonnellerie, les personnages enfilent des chaussures déjà crottées, les bouteilles sont factices et le vin dégusté dans les scènes n’est que du jus de raisin rouge à la dilution variable. Dans une scène de banquet, l’acteur Christian Bujeau, qui incarne dans le film un banquier, glisse : «À la dixième prise, j’avais vraiment envie de boire un vrai verre de Bourgogne… » .
Heureusement, il y a la cantine
Non loin de là, trois hommes s’activent pour monter une vaste tente avec tables de banquet et bancs en bois. C’est la cantine. Celle de Joachim et de son équipe est si réputée dans le milieu du cinéma
Des dizaines de crus de la Côte chalonnaise partagés à la cantine.
que le directeur de production l’a réservée plus d’un an à l’avance. C’est à eux que revient en partie la réussite du film. Arriver grelottant, trempé jusqu’aux os et trouver une tente chauffée où l’on vous sert dans une vraie assiette une cuisine de qualité, variée (viande ou poisson) et des vins divins (servis dans un vrai verre et pas dans un gobelet en plastique), cela vous regonfle à bloc une équipe. Ma troisième mission débute.
Bruno Colin plébiscité à table
Durant les sept semaines de tournage en Bourgogne, j’organise tous les jours une dégustation avant le repas à laquelle j’invite des vignerons à venir faire goûter leurs vins. À Pierreclos, ce sont les vins du château et les blancs du Mâconnais des domaines Cornin, Jandeau et Fichet qui sont partagés. Puis le tournage s’est installé à Rully, en Côte châlonnaise, pendant quatre semaines. Ici, presque tous les vins des producteurs de l’appellation ont été dégustés par l’équipe de tournage lors des pauses déjeuner. Et pendant les scènes filmées à Mercurey, l’équipe a le bonheur de goûter la production des domaines Juillot et de la Cailloute. À la cantine, le chassagne-montrachet 1er cru Maltroie de Bruno Colin et les saint-aubin 1er cru 2012 de Marc Colin affolent les papilles des dames.
Sur la colline de Corton, théâtre de certaines scènes extérieures, ce sont les producteurs de Pernand-Vergelesses et de Savigny-lès-Beaune qui rallient les suffrages. Aux Hospices de Beaune, un beaune 1er cru 2009 excite les palais. Deux dégustations nocturnes aux domaines Bonneau du Martray et Rapet à PernandVergelesses resteront dans les mémoires. Avant la fête de fin de tournage, le couple Dureuil reçoit enfin l’équipe dans leur vendangeoir de Rully pour un dînerdégustation bourguignon concocté par Jérôme Brochot, le chef étoilé du restaurant Le France à Montceau-en-Bourgogne. Puis c’est chez Bernard Bouvier, à GevreyChambertin, qu’une trentaine de passionnés finiront son charmes-chambertin 2010 la larme à l’oeil.
En sept semaines, la troupe a partagé 1 300 bouteilles, sans compter celles consommées hors tournage. Amusé par les chiffres, Thierry Muscat me rappelle que si aujourd’hui la consommation d’alcool est officiellement proscrite sur le lieu de travail, une tradition syndicale imposait, il y a cinquante ans, un demi-litre de vin par repas et par employé sur les tournages. Les temps ont changé.
Clap de fin, tchin !
Les dernières scènes sont tournées à Paris lors d’une séance de dégustation. Le réalisateur me demande de faire une prise de son qui servira à doubler sa dégustation. J’obtempère, ravi. Le premier assistant demande à l’équipe de saluer ma dernière prise. Ils m’applaudissent. Les larmes montent. C’est la fin de ma mission. La production a tant apprécié l’accueil des Bourguignons qu’elle commande deux fûts de vin qui seront servis lors de la promotion du film. Un rully blanc et un mercurey rouge 2014. Deux premiers crus évidemment pour rappeler le titre du film, Premiers crus, qui sortira au moment des vendanges. Comme un ultime signe aux amoureux du vin.