La Revue du Vin de France

C’est comme ça et pas autrement,

- par Sébastien Lapaque

La première fois que je vis Gérard Oberlé, je le trouvai franchemen­t drôle. C’était au début de l’année 2000, à l’occasion d’un dîner organisé par la Revue des Deux Mondes pour saluer la parution d’un numéro intitulé “L’esprit et le vin” auquel nous avions participé l’un et l’autre. Le hasard, cette providence des imbéciles, avait voulu que nous fussions placés à la même table. Sur une estrade, un homme élégamment vêtu commentait avec gourmandis­e les vins qui nous étaient servis. Probableme­nt le meilleur sommelier de la Terre et de quelques planètes environnan­tes. Chacun était naturellem­ent invité à s’esbaudir à sa suite. Chauve comme un bonze, Gérard Oberlé était le seul à oser dire que les vins qui dormaient dans nos verres étaient mauvais et cette soirée tarte comme il n’était pas permis.

À l’époque, il n’était encore écrivain que lorsqu’il était distrait. Sa gloire était d’être un expert en livres anciens et l’auteur de catalogues spécialisé­s, notamment consacrés à la gastronomi­e, à la vigne et au vin. Mais après Nil rouge et Pera Palas, deux pochades policières composées pour dissiper sa tristesse, vinrent Palomas Canyon, Salami, Retour à Zornhof et surtout Itinéraire spiritueux, un portrait du bibliophil­e en buveur qu’aucun amateur de plaisirs bachiques ne saurait négliger. C’est pour parler de ce dernier livre avec Gérard Oberlé que je me rendis chez lui, dans la Nièvre, à l’automne 2006. Ce jour-là, chacun l’aura deviné, la mesure du boire fut de boire sans mesure. Lorsqu’il boit, Gérard Oberlé ne délire jamais, il rêve à voix haute en latin. Il faut avoir un peu d’entraîneme­nt pour amener cet Alsacien de Saverne fort comme un chêne au seuil du dernier verre – celui, jugeait Gilles Deleuze, qu’il convient de s’interdire de boire, même si la tentation est forte de vérifier qu’il est bien le dernier – mais je crois me souvenir que j’y parvins.

Le lendemain, nous avions rendez-vous avec Didier Dagueneau à Saint-Andelain et nous fûmes à nouveau obligés de boire. Non plus pour rêver en latin cette fois-ci, mais pour détendre l’atmosphère. En arrivant, j’avais senti que le vigneron voulait me donner en pitance à ses chiens de traîneau pour avoir insolemmen­t osé écrire, dans Le Petit Lapaque des vins de copains, que son jurançon Les Jardins de Babylone était « un peu tendu par le soufre » . Sacré Didier ! Dieu ait son âme.

Dans les jours qui suivirent, on me chercha partout, jurant qu’on m’avait vu tour à tour en Provence, en Bretagne, en Champagne et dans les environs de Pau. Où avais-je trouvé refuge après avoir quitté l’élégante maison de campagne de Gérard Oberlé ? Probableme­nt dans ma bibliothèq­ue, où je cuvais sans hâte les montlouis blonds, les alsaces ambrés, les arbois dorés et les anjous rubis que nous avions bus dans la Nièvre, une main posée sur un estomac comblé, l’autre sur le livre XIV de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien consacré à la vigne et au vin. Car M. Oberlé exige peu de chose de ses amis, sinon savoir boire et un peu de latin.

C’est comme ça, et pas autrement, que Gérard est grand.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France