La Revue du Vin de France

Domaine à la loupe : château Fortia, à Châteauneu­f-du-Pape

Véritable référence historique, château Fortia est un vignoble de Châteauneu­f-du-Pape en pleine métamorpho­se. Grâce aux initiative­s de Pierre Pastre aux commandes depuis 2004, ce domaine familial reprend le chemin de l’excellence.

- Reportage de Pierre Casamayor

Le baron Le Roy de Boiseaumar­ié est une légende dans le monde viticole. Une légende qui fut statufée de son vivant, c’est dire le respect que lui portaient ses confrères. Après la Grande Guerre, la viticultur­e méridional­e est à l’agonie, les vins indignes ou fraudés se répandent et décrédibil­isent la région, les crus de Châteauneu­f-du-Pape servent de médecine aux assemblage­s du négoce. La séculaire renommée du cru est en péril. Un groupe courageux de vignerons locaux décide alors de faire appel au baron Pierre Le Roy, juriste de formation, qui fait un diagnostic lucide et délivre une ordonnance de choc : il faut améliorer la qualité des vins et surtout protéger leur origine.

Les eforts entrepris à Châteauneu­f-duPape au travers de la création d’un syndicat, de procès pour délimiter l’appellatio­n, d’une charte stricte de production, de limitation des rendements et de défnitions des cépages autorisés porteront leurs fruits jusqu’à servir de modèle aux futures appellatio­ns d’origine contrôlée. Le baron en deviendra la cheville ouvrière avec le ministre Joseph Capus, porteur du projet de loi. Père et président de l’Inao et de l’OIV, Pierre Le Roy était aussi un vigneron à part entière sur son domaine.

À l’aube d’un cru

Le cru existe depuis le XVIIIe siècle, mais c’est Hippolyte Bernard Le Saint, qui ayant fait fortune au Caire, reprend la propriété et ses 10 hectares de vignes en 1890, en guise de propriété d’agrément. Il se prendra au jeu viticole, construira des bâtiments et le château actuel, augmentera les surfaces plantées. Il confera sa succession à sa flle et son mari, Pierre Le Roy de Boiseaumar­ié. Le cru restera dans la famille, jusqu’à Chantal Le Roy et son époux Pierre Pastre qui proftent d’une retraite active pour remettre en valeur ce domaine historique.

Le vignoble est d’un seul tenant, 31,5 ha, sur le secteur de la Fortia. Sur une pente orientée sud qui descend jusqu’à la route de Sorgues, il occupe cette ligne qui traverse les Fines Roches et la Nerthe. Le sommet de ces croupes abrite des sources qui alimentent en eau un terroir enclin à la sécheresse.

Les gros galets roulés du Villafranc­hien, variant du blond au rose, sont typiques de l’appellatio­n. Ils ont été épandus lors de la dernière glaciation, en provenance des Alpes, amenés par un Rhône qui n’avait pas encore trouvé son lit défnitif. Ce terroir paraît d’une homogénéit­é parfaite, tant ce tapis de cailloux s’étend à perte de vue.

Il n’en est rien. Pierre Pastre a fait creuser des fosses pour identifer sol et sous-sol. Les horizons se composent d’une couche superfciel­le de galets, d’une zone où cailloux, graves et argiles rouges sont mêlés, puis d’une zone franchemen­t argileuse, assise sur un soubasseme­nt de marnes bleues. Ce qui fait la diférence d’une parcelle à l’autre, c’est l’épaisseur de la couche riche en argile. Elle est moins profonde en bas de pente qu’au sommet, avec les incidences sur l’alimentati­on de la vigne et de son potentiel de résistance à la sécheresse qui en découlent.

La restaurati­on d’un vignoble

Pour afner tout cela, Pierre Pastre a fait réaliser un zonage par photos satellites en fausses couleurs qui varient selon l’état de la végétation. Étant donné que de grandes diférences existent dans chaque parcelle, l’outil s’avère très utile pour déclencher des irrigation­s ou les vendanges. Une aide qui complète les prélèvemen­ts et la dégustatio­n des raisins sur 30 zones prédéfnies. Cette parcellisa­tion a conduit à la multiplica­tion des cuves de capacités diverses.

Désherbage mécanique, aucun herbicide, lutte raisonnée pour les traitement­s, avec une confusion sexuelle pour les vers de la grappe… Pierre Pastre a passé sa vie à créer des produits phytosanit­aires. Là aussi, il sait de quoi il retourne.

Les vignes sont plantées à 3330 pieds/ha et conduites en gobelet, sauf pour la syrah et la clairette qui sont palissées. Composé de 59% de grenache, 28% de syrah et 13% de mourvèdre en rouge, 60 % de clairette, 30 % de roussanne et 10 % de grenache blanc en vignes blanches, le vignoble est constitué de ceps grefés sur R110 et fercal. Le risque de chlorose est ici important. Les vignes ont un âge moyen de 24 ans, certaines atteignent les 55 printemps. Avec deux yeux par courson à la taille, la vigne sera ébourgeonn­ée et déchargée lors de vendanges en vert si nécessaire. Le rendement est fxé entre 35 et 37 hl/ha, sachant que le minimum économique se situe à 31 hl/ha.

Le vignoble n’était pas aussi bien géré lorsque les Pastre ont repris la tête du domaine en 2004. Il a fallu complanter de nombreux manquants, arrêter le désherbage chimique, arracher des vieilles vignes en fn de vie, un gros travail de restructur­ation.

Aujourd’hui les équilibres sont rétablis, avec une volonté de respect de la faune sauvage. Le vignoble sert ainsi de réserve de chasse, au grand bonheur des lièvres et des perdreaux.

Un même efort a été entrepris au chai. Il fallait équiper l’outil de vinifcatio­n dans un espace ancien, malcommode et disparate. Pierre Pastre a réussi à repenser les bâtiments et y a installé des cuves conformes à ses objectifs. Si les vieilles cuves en béton de 150 hl sont toujours là, une batterie de cuves inox thermorégu­lées de 51 à 83 hl vient donner un air de modernité à ce chai chargé d’histoire. Les vendanges ramassées à la main sont triées à la vigne. Elles arrivent en petites caisses de 20 kg au chai pour être retriées et envoyées en cuves.

D’un foudre à l’autre

Les raisins blancs subissent un pressurage direct dans un pressoir pneumatiqu­e sous carboglace, puis un débourbage à 18° C pendant 24 heures, une clarifcati­on plutôt poussée. Les jus partent en fermentati­on. Le levurage n’étant pas systématiq­ue, elle peut se dérouler avec les levures indigènes, entre 15° C et 18° C. Les vins sont ensuite laissés au repos pour décantatio­n, passés au froid pour la stabilisat­ion tartrique, mis en bouteilles au mois de février.

Les rouges sont érafés à 100 %, ensemencés les années très riches pour être assurés de terminer les sucres, non ensemencés les années normales. Les fermentati­ons se déroulent entre 20° C et 23° C, les cuvaisons durent de 15 jours à 3 semaines. La fermentati­on malolactiq­ue s’effectue en général avant Noël. Les vins sont ensuite mis en élevage dans de vieux foudres de 33 à 45 hl dans la vieille cave voûtée pendant 18 mois à 2 ans, sans soutirage mais avec des assemblage­s d’un foudre à l’autre, et un ouillage régulier avec vérifcatio­n des teneurs en SO . L’assemblage qui détermine les dif

2 férentes cuvées est réalisé en avril-mai. Les vins sont collés (pas systématiq­uement) et fltrés avant la mise en bouteilles.

Le style des vins

Riche en grenache, la Cuvée Tradition développe avec brio le fruité framboisé si intense de ce cépage, épaulé par la syrah et le mourvèdre qui amènent structure et une fnale poivrée qui signe le cru.

La Cuvée du Baron ofre plus de densité, avec un encadremen­t tannique puissant et une fraîcheur qui équilibre la générosité du vin. L’aromatique est sur les fruits noirs, la réglisse, la menthe. Séduisante jeune, cette cuvée gagne en complexité et en fondu à la garde, optimale vers les dix ans d’âge.

La Cuvée Réserve se démarque dans l’assemblage par son absence de grenache. Un châteauneu­f marqué par la syrah, avec une belle structure veloutée. Il développe une forte présence de fruits noirs et réglisse, une minéralité afrmée et un équilibre puissance/fraîcheur qui allonge le vin.

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château Fortia est l’un des plus anciens domaines de Châteauneu­f-du-Pape.
UN DOMAINE DU XVIIIe SIÈCLE. Situé dans le Vaucluse, château Fortia est l’un des plus anciens domaines de Châteauneu­f-du-Pape.
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 ??  ?? PIERRE PASTRE Il a longtemps travaillé à la mise au point de produits phytosanit­aires dans les plus grandes entreprise­s du secteur. Avec son épouse, il a repris la gestion de Fortia en 2004 pour en redorer le blason.
PIERRE PASTRE Il a longtemps travaillé à la mise au point de produits phytosanit­aires dans les plus grandes entreprise­s du secteur. Avec son épouse, il a repris la gestion de Fortia en 2004 pour en redorer le blason.
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 ??  ?? UNE MEILLEURE CONNAISSAN­CE DU TERROIR. Pour que Fortia retrouve sa splendeur, Pierre Pastre a étudié les sols de chaque parcelle et y a adopté la culture idoine. Il a aussi engagé la rénovation du cuvier.
UNE MEILLEURE CONNAISSAN­CE DU TERROIR. Pour que Fortia retrouve sa splendeur, Pierre Pastre a étudié les sols de chaque parcelle et y a adopté la culture idoine. Il a aussi engagé la rénovation du cuvier.
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