La Revue du Vin de France

Libre parole,

- par Jean-Robert Pitte

Jusqu’au XVIIIe siècle, la robe des vins était souvent d’une faible limpidité et d’une couleur indécise allant du jaune au vermeil et à l’oeil-de-perdrix, au tuilé et à l’orangé, parfois au rubis clair, très rarement dans un registre plus sombre. Le bordeaux était pour ses principaux amateurs d’outre-Manche du claret, nom qu’il a conservé en anglais chic, alors qu’il est aujourd’hui devenu bien plus coloré.

Pendant des siècles, raisins blancs et rouges étaient souvent mélangés, sauf dans le nord de la France où certains vignobles étaient exclusivem­ent plantés en blanc. On ne cuvait pas longtemps, voire pas du tout, le jus issu du foulage en contact avec les rafes et les peaux des raisins rouges. Les risques d’oxydation ou de moisissure étaient trop importants et l’on pressait très rapidement les baies éclatées afn d’en tirer un jus mêlé au premier, à la condition de posséder un pressoir, ce qui était un privilège seigneuria­l accessible aux paysans, moyennant redevance.

Les vins se sont assombris grâce à l’usage au moins partiel de cépages teinturier­s (gamay de Bouze, négrette, malbec), aux cuvaisons plus longues des jus et des peaux, à la généralisa­tion du pressage, aux progrès accomplis en matière d’hygiène avec la découverte des vertus du soufre, qui empêche les accidents de fermentati­on et d’élevage. Grâce aux Anglais, on découvre que les vins rouges, désormais plus colorés, mais aussi plus tanniques, comme les new french clarets de Bordeaux, s’assoupliss­ent au cours d’un vieillisse­ment prolongé dans de bonnes bouteilles sombres et épaisses, soigneusem­ent bouchées au liège. Dès lors, les vins foncés deviennent à la mode, ils sont signe de puissance. En Bourgogne, comme à Bordeaux, lorsque le climat ne permet pas aux raisins de mûrir complèteme­nt, on vendange avant pourriture et l’on coupe ces vins fuets avec des vins plus sombres et puissants venus de l’Hermitage, de Châteauneu­f-du-Pape ou d’Espagne.

Aujourd’hui, la couleur des vins est franche : les blancs vont du jaune pâle à l’or, les vins orangés issus de raisins rouges brièvement cuvés sont dits “rosés” et jouissent d’une popularité grandissan­te, les rouges se déclinent du rubis au grenat foncé. Jusqu’à une date récente, les vins “noirs” étaient surtout prisés des consommate­urs russes et américains. Le cahors issu de l’auxerrois, ou malbec, était fort prisé dans la Russie des tsars, surtout des popes qui s’en servaient pour célébrer la messe. Et puis, la couleur noire, longtemps associée au deuil, est devenue signe d’élégance. Dès lors que Coco Chanel et Édith Piaf ont mis à la mode la “petite robe noire”, le vin s’est mis à l’unisson de la mode vestimenta­ire. Robert Parker a encensé les vins les plus extraits et donc les plus sombres et, pour exporter plus facilement outre-Atlantique, certains propriétai­res assistés de leurs oenologues ont modifé leurs pratiques jusqu’à l’excès. Aujourd’hui, partout dans le monde, les bons vignerons, même dans les régions très ensoleillé­es, renoncent au noir et reviennent au “rouge”, c’est-à-dire au rubis, bien plus agréable à l’oeil et aux papilles.

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