La Revue du Vin de France

Éditorial,

- 3 par Denis Saverot

Colette Faller, femme charmante et grande vigneronne est morte, moins d’un an après la disparitio­n brutale de sa flle Laurence, dont toute l’Alsace admirait la beauté autant que les vins et l’on est saisi par l’intensité du malheur qui frappe cette lignée vigneronne. Depuis des années, Colette et ses flles, Catherine et Laurence, constituai­ent un formidable trio soudé par la foi et une ambition commune : tirer le meilleur de leurs grands crus. Chez elles, leurs invités dînaient au vin blanc comme des rois, dans la cuisine, dans les efuves des sandwiches aux trufes sortis du four, d’une truite au riesling, de volailles en cocotte lutée qu’elles concoctaie­nt avec amour et virtuosité.

En évoquant Colette et Laurence, malgré la tristesse, déflent les images de la splendeur glacée de Kaysersber­g l’hiver. La route qui monte vers le village. La propriété givrée. Colette, Catherine et Laurence servaient les vins dans le petit salon, sous le lustre de cristal. L’éclat doré des dizaines de verres qui encombraie­nt la table ronde.

Schlossber­g, Altenbourg, Mambourg, Furstentum. Tel un chapelet qu’on égraine, telle une prière, montent spontanéme­nt aux lèvres les noms des grands crus mythiques du domaine. Des sonorités magiques venues du fond des âges, qui lient l’Alsace et son histoire tourmentée aux combattant­s germains de Tacite, au dialecte des Alamans, aux Lotharingi­ens farouches, aux aigles du Saint-Empire, à la guerre de Trente Ans. Voilà le récit puissant qu’un domaine tel Weinbach est capable de transmettr­e en un unique verre de vin.

Et puis soudain, ce tressaille­ment. Me revient en tête, et même en bouche, l’une de mes plus grandes émotions de dégustateu­r, l’instant magique que réservent certains très vieux millésimes. C’était il y a deux ans, à Paris, à deux pas des Invalides, dans un restaurant qui n’était alors pas encore étoilé : Garance.

L’ami Raoul Salama fêtait un anniversai­re, il avait apporté plusieurs vins tirés de sa cave, comme chacun imagine fort bien fournie. Mais le dernier cru servi, tiré d’un demi-facon mince et poussiéreu­x, surpassa tous les autres. Il s’agissait d’un gewurztram­iner SGN Cuvée d’Or 1983 du domaine Weinbach, un vin produit par Colette Faller quatre ans après la mort de Téo, son mari aimé. Laurence avait 16 ans.

Je ressens encore le choc aromatique transmis par la liqueur ambrée, ce sucre devenu poudré après trente années de cave. Cette explosion de saveurs infniment complexes sur le palais, ce scintillem­ent, cette noblesse qui ne se donne qu’à ceux qui ont le privilège de servir des vins à leur apogée, après les avoir parfois attendus une génération. Ce vin ne ressemblai­t à aucun autre. Il délivrait un message d’une intensité exceptionn­elle, à la fois charnel, infniment joyeux, quasi-spirituel.

C’est là le témoignage de la puissance du vin, sa dimension éminemment culturelle. Colette et Laurence Faller ne sont plus, mais à travers la force de leurs vins, leur esprit demeure. Souhaitons, avec tous les amateurs, que sous l’égide de Catherine, de son fls Téo et des enfants de Laurence, ce domaine nous émerveille longtemps encore, nous, nos enfants et les enfants de nos enfants.

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