La Revue du Vin de France

Le bio lorgne sur les cépages hybrides

Abandonnés dans les années 50 à cause de leurs goûts “foxés”, les cépages hybrides intéressen­t à nouveau les vignerons bio : résistants aux maladies, ils permettent de limiter les traitement­s chimiques de la vigne.

- Baptiste Charbonnel

Voici un paradoxe que le vigneron Guy Cuisset ne veut plus incarner : « Quand on travaille en bio, je pense qu’on ne devrait pas passer son temps à traiter sa vigne » .

Sur sa propriété de château Grinou à Monestier, en Dordogne, certifée bio depuis 2009, Guy Cuisset a traité ses vignes à treize reprises pour la seule année 2014 contre le mildiou, l’oïdium ou le black rot. Une fréquence incompatib­le avec ses principes : « Je me vois comme un fltreur d’eau, qui doit veiller à ce que le fltre, c’est-à-dire la terre, reste propre. La question qui se pose est donc : comment faire régresser le chimique ? » . Pour y répondre, il décide en 2014 de planter des cépages hybrides résistant aux maladies cryptogami­ques.

Différents des OGM

Aussi appelés résistants ou piwi, ces cépages n’ont rien à voir avec des OGM. Cabernet blanc, cabernet jura, 6-04... Ils sont le fruit du croisement sexué de deux variétés, choisies en partie pour leur résistance naturelle aux maladies. Une immunité utile car elle annule le besoin de traiter. Cette solution se répand aujourd’hui un peu partout, et même jusqu’en Belgique.

L’idée lui a été inspirée par deux vignerons qu’il admire, François Pugibet et son fils Vincent, propriétai­res du domaine de la Colombette, dans la région de Béziers.

Avec 40 hectares plantés en cépages résistants, ils cultivent la surface hybride nouvelle génération la plus étendue en France (sur une centaine d’hectares au total, et 6 à 7 000 hectares d’anciennes variétés hybrides).

Après avoir planté des variétés allemandes et suisses en 2007, les Pugibet mènent depuis trois ans leurs propres expérience­s pour trouver les croisement­s les mieux adaptés à leur terroir.

« Marre du cuivre »

Des recherches nourries de patience puisqu’il faut près de vingt ans pour sélectionn­er une variété. Une aventure hybride née de la volonté de respecter l’environnem­ent.

« On en avait marre du cuivre, qui est un bactéricid­e très puissant. Si on appliquait au vin les mêmes normes qu’à l’eau, tous les vins bio

seraient impropres à la consommati­on » , philosophe François Pugibet. Le vigneron entend convertir l’ensemble de ses 140 ha, persuadé que « dans dix ans, on ne parlera que de ça » .

Des goûts “foxés”

Avant d’en arriver là, quelques obstacles restent à franchir. À commencer par celui de l’image. « Alors qu’ils représenta­ient 40 % du vignoble français à la fn des années 50, les cépages hybrides ont été rejetés car ils donnaient des vins déséquilib­rés par de puissants arômes herbacés ou “foxés” comment disent les Anglais » , rappelle Jacques Rousseau, des services viticoles au groupe Institut coopératif du vin (ICV).

Une réputation persistant­e malgré des progrès. « Allemands et Suisses ont prouvé que des cépages hybrides de la dernière génération peuvent donner de bons vins » , assure-t-il. L’Inra, qui a repris des recherches dans ce domaine depuis une quinzaine d’années, devrait présenter ses premiers résultats en 2016. Pourtant, les vignerons qui s’engagent dans cette voie restent peu soutenus : « Les plants coûtent deux fois plus cher, il n’y a pas d’aide et on doit lutter pour enregistre­r nos plantation­s » , énumère Guy Cuisset.

Le vigneron du Sud-Ouest juge même que les progrès des cépages hybrides pourraient créer des tensions : « À qui l’industrie phytosanit­aire vendra-telle ses produits si nous n’en avons plus besoin ? ».

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En précurseur­s, François Pugibet et son fils Vincent, propriétai­res du domaine dela Colombette près de Béziers, tentent de créer leurs propres cépages croisés.

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