Saint-Florent et le Cap corse
À la pointe de la Corse, la nature et l’histoire des hommes se mêlent intimement. Au bout du Cap, le ciel, la mer et une couleur vive à couper le souffle.
c ap, il impressionne, il fait même un peu peur… « De Bastia à Saint-Florent, c’e s t 101 kilomètres et il faut trois heures de voiture pour en faire le tour ! Le Cap Corse, c’est comme le bout du monde », aiment raconter Alain et Lina Venturi du domaine de Pieretti. Cette péninsule, comme un doigt tendu vers le continent, est la plus importante et homogène masse schisteuse du vignoble français régulièrement balayé par un vent violent, le fameux Libecciu. Une terre de maquis qui s’étend sur une chaîne montagneuse dont l’alignement naît à Bastia pour se fondre dans la mer à sa pointe au petit village de Barcaggio dont la baie d’eau turquoise et la vue sur l’île de la Giraglia feront rêver les plus grands des voyageurs. À propos de voyageurs au long court, l’histoire des caps corsins en compte un nombre incalculable. Car au contraire de la majorité de la population corse tournée vers la montagne, ici, c’est vers la mer que les caps corsins prospèrent jusqu’au xixe siècle. Ce sont des commerçants qui naviguent et beaucoup d’entre eux ont la tentation du grand large. Ils partent, s’échappent aussi pour tenter leur chance plus loin… En particulier vers l’Amérique du Sud, au Venezuela ou à Porto Rico. Fortune faite, ils reviennent assumer leur insularité en bâtissant des maisons impressionnantes : les fameuses villas d’Américains. Construites au coeur des villages, et ofrant des vues panoramiques sur la mer, elles s’imposent aujourd’hui comme des joyaux de l’architecture du xixe siècle. Tout amateur de grand blanc ne manquera pas d’aller visiter celle construite par les ancêtres de la famille Luigi, propriétaire du fameux Clos Nicrosi, dont les précieuses bouteilles vieillissent dans l’historique cave voûtée de cette magnifique demeure à Rogliano, au-dessus du port de Macinaggio. Pierreti et Nicrosi, deux domaines emblématiques sauvés de l’avancée du maquis qui a fait disparaître la quasi-totalité du vignoble des coteaux du Cap Corse. Aujourd’hui, seulement 60 hectares de vignes en production sont répartis entre cinq vignerons !
Attention virages...
Dans tous les cas, voilà une appellation de coteaux, dont le terme n’est pas galvaudé, en particulier chez Lina Venturi. Du haut de ses plus belles vignes de muscat jusqu’au plateau le plus proche de la mer, 100 mètres de dénivelés permettent de se rendre compte de la raideur de son vignoble. La culture de certains cépages en échalas (comme dans la Côte-Rôtie) témoigne également de la difculté de la conduite du vignoble. Par la route, l’est du Cap paraît plus doux que la côte ouest ! Sinueuse, formant une corniche pas très haut perchée, elle longe la mer alternant paysages de falaises rocheuses, tours génoises, villages typiques comme Erbalunga et des baies appelées localement des marines avec toujours en vue les îles italiennes d’Elbe et de Capraïa. Trois routes transversales permettent de passer sur la côte ouest : par le village de Piazza, celui de Meria ou la route la plus au nord, à Macinaggio via Rogliano. Par Piazza, le passage du col est impressionnant. La route traverse la falaise creusée pour basculer vers un paysage à vous couper le soufe ! Au loin, la Balagne avec
le Monte Cinto (2 706 m), point culminant de la Corse et le désert des Agriates. La route en lacets descend vers le sud pour rejoindre le golfe de Saint-Florent et l’appellation Patrimonio avec l’arrivée sur le Clos Marfsi qui marque la délimitation avec la roche calcaire. Attention aux conducteurs sensibles au vertige ! Une journée, deux jours, trois jours, quatre jours, un mois… Il faut prendre son temps pour faire le tour du Cap et apprécier pleinement la beauté de ce lieu unique totalement préservé du tourisme de masse qui envahit les plages du sud de l’île. Le Cap, c’est la tranquillité, l’esprit nature de la Corse, le respect des lieux et la symbiose la plus authentique entre la mer et la montagne. Le Cap, c’est en fait une petite Corse à lui tout seul !