La Revue du Vin de France

C’est comme ça et pas autrement,

- par Sébastien Lapaque

La soirée était douce à Morlanne, joli village béarnais de 600 habitants où glissent les ombres choisies de Gaston Phoebus et de Jeanne d’Albret, la mère du bon roi Henri IV, lou nousté Henric, comme on dit à Pau. Au loin, la montagne Pyrénée était nimbée de brume et « sombre hyacinthe » comme l’aimait le poète PaulJean Toulet.

Lieu de séjour galant au XVIe siècle, Morlanne s’est un peu assoupi depuis cette époque glorieuse. Mais le village se réveille grâce à David Ducassou, un cuisinier de caractère qui a ouvert en 2008 le restaurant Cap e Tot dans un ancien boulier béarnais resté dans son jus. Avec Yves Camdeborde, que David Ducassou a secondé à La Régalade, rue Jean-Moulin à Paris, dans les années 1990, et Bento Mineiro, un ami brésilien originaire de São Paulo, nous devisions des règles sophistiqu­ées du jeu de quilles de 9 lorsque le chef m’a demandé d’aller en cave chercher une gentille bouteille.

Au Cap e Tot, on choisit son vin, comme à La Pointe du Grouin, le bistrot-buvette de Thierry Breton, rue de Belzunce, à Paris. J’aurais pu faire dans le fastueux. La cave de David cache de sacrés canons à boire : côtes-de-nuit de Philippe Pacalet, mâcons de Philippe Valette, banyuls du Casot des Mailloles, patrimonio d’Antoine Arena, etc. J’ai préféré miser sur l’originalit­é et je suis remonté avec une bouteille de Vin de France “Félicie, aussi ! ”, un 100 % aramon vinifié par Charles-André Jany dans l’Hérault avec la complicité de Philippe Catusse, patron du bistrot Le Chameau ivre à Béziers.

En découvrant ce flacon, Yves Camdeborde n’a pas pu s’empêcher de réciter les classiques : « Tiens, vous avez sorti le vitriol ? » . C’est vrai qu’il avait mauvaise réputation, dans le temps, l’aramon. On racontait qu’il rendait fou… Mais nous avons réussi à garder les pieds ( pès, en béarnais) sur terre, et la tête ( cap) sur les épaules ( espatlas) en éclusant ce vin de pique-nique aux jolis amers et à la fraîcheur rustique. Pour Bento, aussi loin dans les profondeur­s du Béarn que si nous nous étions posés sur la Lune, nous avons repris la chanson de Fernandel : « L’aramon lui tournant la tête, elle murmura : quand tu voudras… » .

La cuisine de David Ducassou était précise, généreuse, inspirée. Pour que notre bonheur soit complet, il avait préparé les côtes d’un porc noir de Bigorre que Pierre Matayron (auquel nous étions allés rendre visite le matin même) avait engraissé avec amour à l’élevage de Larroche, dans le Gers. Passant de l’original au local, je suis allé chercher le millésime 2002 du Béarn rouge du domaine Guilhemas. Biarnés cap e tot, Béarnais de la tête aux pieds !

Avec la collection de fromages que produit Fanny Ferrand du côté d’Orthez, ce fut parfait. L’ultime, ce fut un jurançon couleur maïs. Nous avons levé nos verres à la mémoire de Didier Dagueneau, que David a reçu au Cap e Tot avant la mort tragique du vigneron.

C’est comme ça et pas autrement que le Béarn est une terre de copains.

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