Éditorial,
On ne l’attendait pas forcément sur ce terrain-là. Sur YouTube, Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la gauche radicale et chantre du partage des richesses, a spécialement enregistré une vidéo pour parler du vin et défendre avec vigueur les AOC « menacées par le capitalisme et la finance » et rappeler, en visite chez des coopérateurs languedociens, que le vin « a accompagné les premiers pas du mouvement socialiste » .
La profession de foi de Mélenchon n’est que le dernier avatar d’un mouvement plus profond. Après deux décennies de mise à l’index, le vin est entré dans le débat public. Lors de la dernière campagne présidentielle, François Hollande et Nicolas Sarkozy s’étaient affichés dans le vignoble. Et à l’issue d’un déplacement à Chablis, Marine Le Pen avait fait sourire – ou grincer des dents, c’est selon – en déclarant à La RVF : « Je préfère les blancs ! » .
Il y a un an, Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a bouleversé l’approche diplomatique traditionnelle du Quai d’Orsay, en érigeant le vin et la gastronomie au rang de priorité économique. Et voici venu le tour de Michel Onfray. Ce professeur de philosophie a le mérite de faire vivre le débat. Dans la longue interview qu’il nous a accordée, cet athée farouche, dénonciateur inlassable « des fables monothéistes » n’hésite pas à faire cette déclaration saisissante : « Tant que la France restera judéo-chrétienne, le vin sera libre » .
Mais que se passe-t-il ? Après tant d’années marquées par le rejet du “pinard” populaire, la loi Évin votée par l’Assemblée pour lutter contre l’alcoolisme, le remplacement méthodique dans nos villages des bistrots par des pharmacies, les centaines de millions d’euros d’argent public accordées aux organismes sanitaires anti-vin (Anpaa, Mildt, OFDT, Inpes, INCa…), voici que le vin, son économie, sa culture sont à nouveau considérés comme un thème noble.
On comprend bien, on salue même la position de Laurent Fabius : avec près de dix milliards d’euros pour la balance commerciale française, le vin et les spiritueux sont un moteur de notre économie. Mais les autres ? Tout se passe comme si, en ces temps troublés, le vin, retrouvait sa fonction symbolique. Elle est considérable, en effet. Mélenchon a raison, le vin populaire fut une conquête révolutionnaire, au même titre que le droit de chasser. Il a accompagné la Révolution française, les Communards en 1870 et la guerre de 14-18, lorsqu’on servait aux soldats des quarts de rouge au moment de sortir des tranchées. Comment d’ailleurs ne pas noter que la baisse de la consommation de vin en France (100 litres par an et par habitant en 1960, moins de 50 litres aujourd’hui) a mécaniquement, fidèlement, accompagné le déclin du parti communiste français ?
Le vin, c’est encore l’image de la convivialité française, cette joie de vivre qui semble nous faire défaut aujourd’hui. Comme la liberté de caricature dans la presse, il est aussi un des marqueurs de l’identité française et c’est ce que les politiques redécouvrent depuis peu. Car le vin est tout sauf un produit neutre. Arpentez les vignes de Saumur ou de Kaysersberg en Alsace, les collines de Madiran, les coteaux de Saint-Émilion ou de Vosne-Romanée. Qu’y voit-on, bordant les vignes ? Des croix. Des dizaines, des centaines de croix de pierre jalonnent les vignes de France, encore soigneusement entretenues aujourd’hui. L’essor du vignoble a aussi été et demeure un marqueur chrétien.
À la fois héritage chrétien et conquête populaire, le vin reste donc aux racines mêmes de notre civilisation. Celle de la subtilité des saveurs, du respect de la terre, d’un goût certain de la liberté aussi. Il est notre culture et, dans ce monde déchiré entre l’uniformisation générale, les replis communautaires et la montée des interdits, une grande part de notre avenir.
DENIS SAVEROT