GEVREY BRÛLE-T-IL ?
À coup sûr, notre méthodique et joyeuse exploration de Gevrey-Chambertin, perle de la Bourgogne, va ranimer un débat : la hausse des prix des grands vins de la Côte d’Or. Voilà un sujet qui agace à juste titre les amateurs européens et les Français en particulier. Nous ne l’éluderons pas. La RVF a épinglé les Premiers crus bordelais passés de 20 à 600 euros la bouteille primeur en vingt ans, elle ne fermera pas les yeux sur les excès bourguignons.
Et que constate-t-on sur les terres du vaillant Charles le Téméraire ? Parler d’une hausse des prix des Grands crus n’est plus approprié : il s’agit d’une explosion.
Nos lecteurs n’ayant pas tous eu la sagesse ou l’habileté de négocier une allocation chez Bernard Dugat-Py ou Christophe Roumier, observons ce qui se passe chez les cavistes, où de nombreux amateurs continuent d’acheter leurs vins. Là cohabitent deux catégories d’étiquettes bourguignonnes, les domaines peu connus et les vins spéculatifs.
Dans le premier cas, un simple gevrey sorti à 20 euros hors taxe de la propriété sera revendu 40 euros TTC en boutique, soit une marge de 1,6 pour le caviste une fois soustraite la TVA et divers faux frais. Mais pour les très grands, toutes les règles ont volé en éclat. « Un chambertin de Rousseau va sortir à près 300 euros TTC du domaine, raconte Roberto Petronio, l’un des auteurs de notre dossier, incollable sur la distribution des grands vins. Eh bien, on va le retrouver illico à 800, 900 voire 1 000 euros en boutique, c’est le caviste qui décide, poussé par la loi de l’offre et de la demande. »
Question naïve de l’amateur : pourquoi le caviste pousse-t-il autant sa marge sur les grandes étiquettes ? « C’est simple, nous répond l’un d’eux, si je revends mon chambertin du domaine Armand Rousseau à 600 euros en boutique, le client qui me l’achète s’empressera de le revendre 1 000 euros sur Internet ! »
Inutile de se raconter des histoires. Les forces qui nourrissent la hausse des prix des grandes étiquettes de la Côte sont devenues un redoutable Léviathan : faibles rendements, petits volumes, globalisation de la demande, augmentation régulière du nombre de milliardaires prêts à tout pour s’offrir le meilleur, monstrueuse hausse du prix des terres aussi qui pousse les vignerons à thésauriser pour parer le coup de massue fiscal qui les attend à l’heure de la succession... Dans ce contexte, la mécanique inflationniste ne risque pas de se gripper demain, d’autant que l’excellente santé économique des États-Unis attise la demande de vin sur un marché bourguignon déjà incandescent.
Faut-il dès lors en vouloir à la Bourgogne ? Claude Chevalier, l’homme fort de Ladoix-Serrigny et patron des vignerons de Bourgogne, se fâche presque. Et comme souvent entre Beaune et Nuits, il plaide… en épinglant Bordeaux : « Combien de vins de Bourgogne sont vendus 500 euros et plus la bouteille ? Pas plus de 20 000 par an. Et à Bordeaux ? Là-bas, ce sont un million de bouteilles de crus classés qui dépassent les 500 euros ! Alors la flambée, c’est surtout chez les Girondins qu’elle crépite ! » .
Il est difficile de donner tort à l’ami Claude : à qualité comparable, un chambertin sorti sur allocation de la propriété entre 150 et 200 euros sera toujours moins cher qu’un Premier cru de Bordeaux disponible à 600 euros en primeur. À condition d’en trouver.
Dès lors, quelle leçon tirer, chers amis lecteurs ? D’abord cette promesse : la lecture ce mois-ci de La RVF vous réservera, comme souvent nous l’espérons, de solides opportunités. Roberto Petronio et Olivier Poels ont déniché quelques pépites à des prix encore très accessibles comme le gevrey village du domaine Jean Fournier et la cuvée Les Crais du domaine Huguenot ou encore la cuvée Aux Corvées d’Henri Richard (entré dans le Guide vert cette année). Des gevreys bien faits, élégants et plutôt fins à une trentaine d’euros la bouteille. Pour les Grands crus, inutile de se voiler la face, c’est à partir de 60 euros (le charmes-chambertin du domaine Huguenot) que se situe le ticket d’entrée. Et souvent largement au-delà.