La Revue du Vin de France

Pinot noir : l’emballemen­t

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Cher, très cher pinot noir ! Depuis quelques années, les amateurs s’arrachent tes vins sensuels, profonds, vibrants, tes arômes de cerise fraîche, de mûre sauvage, ton charnu délicat. Tu nous régales par tes atours légers et sais nous surprendre. Ton profil aimable se polit sous la main du vigneron : vendanges entières, élevage en bois plus ou moins marqué, diminution des sulfites. Et si tu es roi en Bourgogne, l’accent savoureux que tu prends dans le Jura, en vallée de la Loire, en Alsace, en Suisse, en Allemagne et jusqu’en Oregon, toujours au nord, nous enchante.

Seulement voilà, ces vertus ont un revers de taille. La demande est si forte que le monde manque aujourd’hui de pinots noirs. La Bourgogne, qui a beaucoup blanchi comme disent les vignerons, ne produit plus que 30 % de vins rouges. Et cela ne va pas s’arranger cette année : à cause du gel, la région-mère du pinot noir va perdre 400 000 hectolitre­s de vin dans le millésime 2016, près d’un quart des volumes produits en 2015. Pommard, Beaune, Savigny et une partie du Clos Vougeot, autrement dit de grands terroirs à pinot, font partie des crus les plus touchés.

La conséquenc­e : les prix s’envolent, attisés par la mondialisa­tion. Et les amateurs, surtout européens, se retrouvent fort dépités. Après avoir vu certains Premiers crus de Bordeaux bondir sans vergogne de 35 à 900 euros la bouteille entre 1993 et le pic de 2010, va-t-il demain falloir tirer un trait sur les si poétiques pinots noirs ?

D’où l’intérêt de l’exceptionn­elle dégustatio­n que nous vous proposons ce mois-ci. Olivier Poels a eu la bonne idée de présenter 21 pinots noirs de diverses origines à un comité de dégustatio­n élargi, à l’aveugle naturellem­ent. Mission de chaque juge : goûter le vin bien sûr, le noter mais surtout dire à quel prix il serait prêt à l’acheter.

Cette séance originale délivre plusieurs enseigneme­nts. Pour commencer, les grands bourgognes sont reconnus mais régulièrem­ent jugés trop chers. Le chambole-musigny La Combe d’Orveau du domaine PerrotMino­t, le Clos de la Roche du domaine de La Pousse d’Or, le Clos Vougeot signé Bouchard Père & fils sont très bien sortis à l’aveugle, mais le jury leur a, en moyenne, attribué un prix entre 25 et 55 % inférieur à leur tarif réel.

Surtout, cet audacieux protocole a permis à des étiquettes moins connues d’émerger, et avec quel éclat ! C’est un sancerre, celui du domaine Daniel Crochet, qui sort vainqueur : emballé, le jury lui a attribué un prix de 92 euros, cinq fois plus que son prix de vente au domaine ! Deux bourgognes très accessible­s ont également bouleversé les attentes, et dans le bon sens : un simple “gravel” du domaine Catherine et Claude Maréchal et un Premier cru de Rully de l’excellent Vincent Dureuil (domaine Dureuil-Janthial).

Verra-t-on longtemps encore de bons pinots noirs à prix raisonnabl­e ? On suivra avec intérêt l’initiative de Louis-Fabrice Latour : en marge de toutes les traditions, le négociant beaunois sort cette année 18 000 bouteilles d’un pinot noir rafraîchis­sant produit… dans les Pierres Dorées, au sud du Beaujolais, et vendu seulement 13 euros. Si le vin, déclaré en Coteaux bourguigno­ns, rencontre le succès escompté, la maison Latour, épaulée par des vignerons locaux, pourrait rapidement en produire 60 000 à 120 000 bouteilles par an. « Le monde manque de pinot noir, mais des milliers d’hectares situés sur de magnifique­s argilo-calcaires sont disponible­s en Beaujolais, terre bourguigno­nne » , explique Louis-Fabrice Latour.

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DENIS SAVEROT directeur de la rédaction

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