La Revue du Vin de France

Marie-Lys Bibeyran, l’ouvrière anti-pesticides qui irrite le Médoc

Malgré les menaces et une opposition parfois violente, la pugnace militante anti-pesticides réussit peu à peu à faire évoluer les mentalités et les pratiques de la viticultur­e médocaine.

- Jérôme Baudouin

Crachats sur sa voiture, injures sur Facebook, opposition féroce de certains élus locaux et de nombreux vignerons, rien ne semble pouvoir arrêter Marie-Lys Bibeyran dans sa lutte contre les pesticides déversés dans le vignoble.

L’histoire de cette « travailleu­se des vignes » , comme elle se définit elle-même, est singulière. Installée à Listrac, dans le Médoc, fille de parents ouvriers viticoles, elle est devenue en trois ans le visage médiatique de la lutte contre les pesticides. Rien ne la prédisposa­it à un tel destin.

Au contraire, étudiante, Marie-Lys se rêve en ténor du barreau. Elle décroche une maîtrise de droit pénal tout en travaillan­t dans les vignes pour financer ses études. Mais juste avant l’examen d’entrée à l’école de la magistratu­re, elle doit jeter l’éponge. « Je ne pouvais plus suivre

financière­ment » , assure-t-elle. La disparitio­n de son frère Denis, ouvrier viticole, en 2009 à l’âge de 45 ans, atteint d’un cancer fulgurant, va bouleverse­r le cours de sa vie. Convaincue que les pesticides sont responsabl­es de sa mort, Marie-Lys Bibeyran tente depuis 2011 de faire reconnaîtr­e le cancer de son frère comme maladie profession­nelle. Après six ans de lutte et une action en justice, le procès devrait enfin s’ouvrir en juin 2017 à Bordeaux.

Des pesticides dans les cheveux

Alors que l’omerta qui entoure les dangers des pesticides pèse de tout son poids, son combat prend une tournure médiatique. En 2013, la jeune femme, alors âgée de 35 ans, participe avec l’associatio­n Génération­s Futures à une campagne d’analyses des cheveux d’ouvriers viticoles et de riverains. Le constat est alarmant. Il révèle onze fois plus de résidus de pesticides dans les cheveux des ouvriers viticoles et cinq fois plus dans ceux des riverains que chez des personnes vivant loin du vignoble.

Cette révélation est un choc. L’onde en est amplifiée quand, en 2016, l’émission de France 2 Cash Investigat­ion reprend cette histoire. Les consommate­urs s’indignent.

L’Interprofe­ssion des vins de Bordeaux doit s’expliquer et promettre d’abandonner à terme l’usage des pesticides.

Dans le Médoc, Marie-Lys Bibeyran doit faire face à la réaction “virile” de certains viticulteu­rs. Surtout, il devient très difficile pour l’ouvrière viticole lanceuse d’alerte de travailler. Qu’importe, elle multiplie les réunions d’informatio­n. « J’aimerais bien que le monde viticole comprenne qu’il vit sur un territoire qu’il partage » , assène-t-elle.

Les mentalités évoluent peu à peu

Dans son combat, la jeune femme n’est pas seule. Elle peut compter sur le soutien indéfectib­le de l’adjoint au maire de Listrac-Médoc, Pascal Boscq. Vigneron et propriétai­re du château Liouner, ce dernier possède les vignes qui entourent l’école, le complexe sportif et certains

logements sociaux de Listrac-Médoc. « Dès la constructi­on de l’école en 2011, j’ai choisi de convertir en agricultur­e biologique toutes ces parcelles (7 hectares). Et lorsque je traite les vignes, j’en informe systématiq­uement la popu

lation de la commune » , explique-t-il. Désormais, le mouvement fait tâche d’huile, les mentalités évoluent. Les exemples d’une viticultur­e plus respectueu­se de l’environnem­ent se multiplien­t dans le Bordelais. Le château Jander à Moulis est en conversion bio, tout comme le château Fourcas Hostens situé au coeur de l’appellatio­n Listrac. Le château Liouner veut étendre sa surface cultivée en bio à 14 hectares.

Mais Marie-Lys Bibeyran ne désarme pas et continue de dénoncer les dangers associés à l’utilisatio­n de produits phytosanit­aires. Y compris au Parlement européen à Bruxelles où elle s’est rendue, à la tête de son associatio­n Info Médoc Pesticides, en décembre dernier, lors d’un colloque consacré aux profession­nels victimes des pesticides. « Cette lutte n’est pas facile, ma famille notamment subit les pressions au quotidien » , témoigne cette courageuse mère de famille avant de retourner travailler… dans les vignes de Listrac.

LE VIGNOBLE BORDELAIS EST LE PREMIER UTILISATEU­R DE PESTICIDES EN FRANCE.

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Porte-parole des anti-pesticides, la jeune femme mène désormais son combat devant les caméras.
 ??  ?? Le château Pontet-Canet, à Pauillac, précurseur du bio au sein des crus classés depuis les années 2000.
Le château Pontet-Canet, à Pauillac, précurseur du bio au sein des crus classés depuis les années 2000.

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