Curnonsky, quelle belle vie !
P« Dans les années 20, il parcourt la France en automobile et publie en 28 petits volumes le premier hommage exhaustif aux gastronomies de terroir. »
eu de cuisiniers et de gastronomes connaissent encore Curnonsky dont la notoriété fut immense depuis les années 20 jusqu’à son malheureux décès en 1956. Pris d’un malaise à son lever, il avait basculé du troisième étage de son immeuble du XVIIe arrondissement de Paris, au terme de 84 ans d’une vie aussi bien remplie que sa célèbre panse. Francis Amunategui, le président des chroniqueurs gastronomiques, pro
nonça l’éloge funèbre : « C’était un homme gai. Aimant la vie d’un amour sans frein, il avait une fois pour toutes
adopté le parti de la bonne humeur » . Maurice Edmond Sailland avait été avant la Première Guerre mondiale chroniqueur dans divers journaux et le principal nègre en même temps que l’ami et le commensal gourmand de Willy, en compagnie de bien d’autres dont Colette elle-même, l’épouse de ce dernier. Son nom de plume à consonance russe résulte d’une blague potache inspirée de la mode du tournant du siècle : l’alliance franco-russe, les Ballets russes, etc. Se cherchant un pseudonyme au cours d’une soirée sans doute quelque peu arrosée, il s’était exclamé : « Pourquoi
pas sky ? » , soit cur non sky en latin… Son amour de la bonne chère devient son filon lorsque, dans les années 20, il parcourt la France en automobile en compagnie de son ami Marcel Rouff – l’auteur de l’inoubliable roman La Vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet – et publie en 28 petits volumes le premier hommage exhaustif aux
gastronomies de terroir : La France gastronomique, guide des merveilles culinaires et des bonnes auberges françaises. Les vins locaux et loyaux de toute la France y sont mis à l’honneur. Il éprouvait une préférence pour les bordeaux
rouges. « Un grand bordeaux, écrivait-il, s’infiltre comme une extase au coeur de ceux qui savent le boire » et ailleurs : « Ils tiennent la même place que les classiques de notre littérature. Il faut pour les comprendre avoir fait ses études. Ils ne se livrent jamais qu’à de fins connaisseurs et participent de cette sorte de simplicité qui est le signe et la marque même des produits de l’art français » . Mais il aimait tous les autres crus, pourvu qu’ils soient bien faits, choisis dans les bons millésimes et servis dans de grands verres étincelants afin de pouvoir les humer profondément et admirer leur robe, « la splendeur dorée des grands sauternes, la blondeur chaude des vins de Touraine et d’Anjou, le pourpre des bourgognes, le rubis des bordeaux, la topaze des champagnes, l’améthyste des vins du Rhône » . Il distinguait les cinq vins blancs qui l’avaient le plus impressionné au cours de ses innombrables bons repas aux quatre coins de la France : le château-grillet, la coulée-de-serrant, le montrachet, le château-chalon et Yquem. Excusez du peu ! Il n’était pas ennemi pour autant des vins de soif et de moindre notoriété : « Il ne faut pas oublier que partout en France on peut trouver de charmants, de spirituels, de gentils vins de pays qui suffiraient à la gloire de bien d’autres nations »