Derrière les barreaux
« ET PUIS TOUT A CHANGÉ DANS LES ANNÉES 90. LE GOUVERNEMENT DÉCIDE DE METTRE LES DÉTENUS AU RÉGIME SEC. »
Je relisais, ces derniers jours, les mémoires de Casanova. L’aventurier vénitien n’est pas seulement un grand voyageur, un musicien subtil, un séducteur, un espion, un érudit, c’est aussi un amateur de bonne chère et de grands vins. En Européen cultivé, il boit des nectars italiens, espagnols, français et ne saurait se passer d’une bouteille pour ses repas, y compris lorsqu’il faut déjeuner sur la route, à côté du carrosse.
Même emprisonné pour son libertinage, son athéisme et son appartenance à la franc-maçonnerie, il se fait livrer dans sa geôle de bons flacons en échange de quelques écus d’argent. À l’époque, on ne parle pas de cellule VIP pour ce genre de prisonnier bénéficiant de traitement de faveurs, mais de pistole. Le Code pénal napoléonien puis les Républiques qui suivirent n’ont pas jugé utile de revenir sur cet usage. À Toulon ou sur l’île de Ré, les bagnards que l’on voulait récompenser recevaient la gobette, ration de 23 centilitres de vin servie dans un gobelet de fer blanc. Et on servait encore du vin dans les prisons au XXe siècle, dans les années 60 et 70, époque où chaque détenu pouvait en cantiner, jusqu’à un quart de litre par jour. Il est vrai que selon le mot de Goethe, « le vin réjouit le coeur de l’homme, et la joie est la mère de toutes les vertus » . Et puis tout a changé dans les années 90. Sept ans après le vote de la loi Évin par le gouvernement Rocard, le gouvernement Jospin, incapable de construire de nouvelles prisons pour une population carcérale qui explose, décide de mettre les détenus au régime sec. C’est Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, qui, par décret, interdit officiellement et pour la première fois le vin dans les prisons. Déconcerté par cette diète forcée, l’ancien patron d’Elf Loïk Le Floch-Prigent, emprisonné à Fresnes dans les années 2000 après sa condamnation pour abus de bien social, a raconté les mille et un subterfuges qu’il avait imaginés pour se procurer un verre de vin. Un de ses amis prêtre fut même interdit de visite pour avoir tenté de lui apporter un quart de vin rouge acheté à l’épicerie du coin.
La mise à l’index du vin n’a pas seulement eu comme conséquence l’explosion de la consommation d’anxiolytiques dans les prisons. Le cannabis y est devenu omniprésent, son entêtante odeur flotte dans les couloirs, les parloirs, les cellules. « L’usage de cannabis en prison est monnaie courante. Il semble toléré dans un grand nombre d’établissements, l’administration fermant les yeux pour éviter des manifestations des détenus » , consignait pourtant un rapport du Sénat dès 2000. Rien n’a été fait depuis et la situation n’a cessé d’empirer.
Résumons : le vin, boisson à haute valeur culturelle, historique et par ailleurs parfaitement licite, a été interdit par l’État dans les prisons françaises. Et en 25 ans, il a été remplacé par les calmants et un nuage de cannabis, produit dont la consommation et la circulation sont officiellement interdites ! Pour mieux “tenir” des prisonniers trop nombreux, on choisit de les enfermer doublement, bouclés à six ou huit dans une cellule et mentalement assommés dans une camisole chimique. Les privant d’une goutte de plaisir, d’un souvenir de la culture française du dehors et, au fond, d’une forme de rédemption.