La Revue du Vin de France

Ce que nous dit la nature

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« AU-DELÀ DE CE GEL TRAGIQUE, LE VIGNOBLE NOUS ADRESSE DE PLUS EN PLUS DE SIGNES DE FRAGILITÉ. »

L’équipe de La Revue du vin de France rentrait tout juste de sa tournée du vignoble français, à la découverte du millésime 2016. Là, entre le 20 et le 27 avril dernier, une série d’épisodes de gel tardif a anéanti les efforts de nombreux vignerons. Un coup terrible qui vient rappeler que le viticulteu­r, comme tous les agriculteu­rs sur terre, comme les vaillants pêcheurs en mer, restent des brindilles entre les mains de celle que les Grecs nommaient Déméter, la déesse nature.

Bien sûr, le gel ne frappe pas partout avec la même intensité. À Saint-Émilion comme dans le Valais, en Suisse, où je me trouvais cette semaine-là, le froid glaçant a d’abord frappé les bas de pentes et les plaines. Dans l’appellatio­n Fully dédiée à la petite arvine, les coteaux les plus en altitude de Marie-Thérèse Chappaz, de Gérard Dorsaz ou d’Alexandre Delétraz ont été épargnés tandis que, 200 mètres à peine en contrebas, dans la plaine du Rhône désormais canalisé, feuilles et bourgeons brûlés par un effroyable gel noir pendaient, dérisoires épouvantai­ls dans les vignes et les champs d’abricotier­s, et ce malgré l’usage de chaufferet­tes et la pulvérisat­ion préventive d’eau par arrosage automatiqu­e.

Hydre invisible et silencieus­e, le gel “coule” en effet comme de l’eau le long des pentes, dévalant les chemins, glissant le long des murets, tapissant les creux pour finalement s’étaler tout en bas, dans

les secteurs les plus humides. « Ceux qui ont planté sur le plat ont l’avantage de pouvoir mécaniser le travail de leurs vignes mais leurs sols sont gélifs ; à l’inverse, ceux qui travaillen­t sur la pente peinent

davantage, mais ils échappent souvent au gel et le vin y est meilleur » , résume Alexandre Delétraz, l’un des rois valaisans de la petite arvine, ce divin cépage blanc aux fins amers salins.

Toutefois, cet épisode de gel nous raconte autre chose. En France, le vin nous adresse de plus en plus de signes de fragilité. Les calamités de 2017 succèdent à plusieurs millésimes à faibles volumes. Nos Grands crus font certes encore rêver, mais le poids de la France dans le monde du vin recule et ce gel funeste ne va rien arranger. La France n’est plus que le troisième producteur mondial, derrière l’Italie et l’Espagne. Face à nous, les Chinois insatiable­s ont planté 17 % de vignes supplément­aires en 2016, nous dit l’OIV, tandis qu’en Nouvelle-Zélande, la superficie du vignoble de Marlboroug­h a été multipliée par 11 en seulement dix ans !

Bref, alors que la demande de vin augmente dans le monde et que s’ouvrent de nouveaux marchés, la France ne produit plus assez pour suivre. Réglementa­tions tatillonne­s, rigidité des AOC, absence de marques fortes : des personnali­tés de premier plan comme Michel Chapoutier ou Joseph Helfrich (Grands Chais de France) le mois dernier dans La RVF, le patron de La Chablisien­ne Damien Leclerc récemment dans Le Figaro appellent à revoir et à moderniser notre modèle, à replanter, à innover et mieux écouter la nature, les modificati­ons climatique­s. La faible récolte 2016, la récurrence des épisodes de gel et de grêle l’été, la faiblesse des stocks sont autant de symptômes qui doivent nous alerter. Face à l’inflexible Déméter, l’homme ne possède qu’une arme sûre : son sens de l’adaptation.

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DENIS SAVEROT directeur de la rédaction
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