L’ogre Amazon va-t-il dévorer le commerce français du vin ?
Se positionnant comme un intermédiaire entre les vendeurs de vins et leurs clients, le géant américain du Net propose déjà plus de références que tous les hypermarchés français et vend ses vins… au kilo !
L’amateur sera sans doute surpris de découvrir sur le site un Cros Parantoux 1987 d’Henri Jayer, un des vins les plus recherchés du monde, à 17 227,59 €, soit « 10 767,24 euros le kilo » , est-il précisé. Idem pour un Pétrus 1989 ( « 9 902,67 euros le kilo » ), une Romanée-Conti 1995 ( « 10 767,59 euros
le kilo » )… La liste est infinie. Tous les grands vins de France sont dorénavant vendus sur Amazon, et cette histoire de «kilo” est simplement due au fait qu’il s’agit là du rayon Épicerie du web-marchand, pour qui le vin est une denrée comme une autre. Ni plus ni moins que des pommes de terre…
Impossible ? Eh bien, si ! Amazon l’a fait. Le site américain, qui ambitionne de distribuer via Internet tout ce qui existe sur cette terre, et bientôt par les airs avec ses drônes, s’attaque très sérieusement au marché du vin depuis quelques mois. Et en France, cela va vite, très vite : « Notre stratégie est de proposer l’offre la plus large possible, nous en sommes à 23 000 références, de quelques euros jusqu’à plusieurs milliers d’euros la bouteille » , détaille Patrick Labarre, directeur de la marketplace d’Amazon France.
Un simple intermédiaire… qui pèse lourd
Mais au fait, comment la firme de Jeff Bezos a-t-elle réussi à devenir d’un coup de baguette magique le plus grand caviste de France ? Amazon a bien tenté de se lancer dans le vin voici deux ans en achetant quelques milliers d’étiquettes pour alimenter ses fameux entrepôts, mais cela faisait plus fuir les clients qu’autre chose. Dorénavant, l’entreprise se pose en intermédiaire et recrute des “fournisseurs”, c’est-à-dire de vrais cavistes pouvant proposer leurs bouteilles via la plateforme Amazon.
Ces “vendeurs” (en langage Amazon) viennent rejoindre la cohorte de milliers de particuliers ou de professionnels déjà présents pour écouler toutes sortes de marchandises. Il y a déjà quelques marques aguerries (Lavinia, Les Caves du Bon Temps…), plus une myriade de petits acteurs plus ou moins connus (Mon Copain Caviste, Odyssee-Vins, Xtrawine…). Si bien que les grandes enseignes sont affichées au même niveau que des margoulins
souhaitant revendre des bouteilles à l’origine douteuse, comme c’est déjà le cas sur eBay.
Céder aux avances du géant yankee n’est donc pas forcément synonyme de bonne affaire. « Même si Amazon possède un fichier clients énorme et une grosse expérience logistique, nous n’avons pas encore décidé si nous leur
apportons notre catalogue » , commente sobrement le très réputé négociant-caviste Duclot, dont l’actionnaire principal, la famille Moueix, est aussi propriétaire du site Chateaunet.com et du prestigieux château Pétrus.
Là où le bât blesse, c’est qu’Amazon propose de mettre son énorme force de frappe à disposition des cavistes, contre 10 % de commission sur chaque opération. « Normalement, c’est 15 %, mais là, dans les vins et spiritueux, nous
faisons un effort pour démarrer » , précise, grand prince, Patrick Labarre. Une commission qui rebute pourtant nombre de professionnels : « Non seulement c’est trop cher, mais en plus la question de l’image et de la réputation est fondamentale, je ne sais pas si être sur Amazon est très pertinent quand on évolue dans les vins haut de gamme » , s’interroge Pauline Canali, directrice marketing de Millesimes.com.
Lavinia joue sur tous les tableaux
Mais comment résister ? « Nous devons aussi prévoir l’avenir, et nous avons constaté qu’aujourd’hui, aux États-Unis, un client qui recherche un produit à acheter ne passe plus par Google,
mais directement par Amazon ! » , argumente, dépité, un grand caviste. En outre, la firme de Seattle a dégainé une arme redoutable : sa nouvelle appli Amazon Prime Now. Ses clients bénéficient d’une livraison gratuite à domicile en deux heures (et en une heure, pour 5,90 €).
Cette appli est expérimentée à Paris et à
Madrid avec Lavinia. « La totalité de nos références du magasin de la Madeleine sont disponibles sur Amazon Prime Now. Nous avons un intérêt commun, c’est du service éclair pour les clients, et un bon moyen pour nous d’engager la transformation digitale » , détaille Édouard Margain, directeur digital chez Lavinia. En résumé, un client achète du vin à Lavinia via l’appli Amazon, la commande est préparée en magasin par Lavinia, puis livrée à son destinataire par Amazon. Résultat ? « Nous sommes en augmentation tous les mois sur cette formule ; à Noël, l’appli Amazon pesait 30 % de nos ventes de champagnes ! » , souligne le directeur digital de Lavinia, présent sur le marketplace Amazon. Un pacte avec le diable ?