La Revue du Vin de France

Machine à remonter le temps

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À l’instant de la dégustatio­n, aux arômes évanescent­s qui disparaiss­ent après quelques caudalies, s’opposent ces chiffres magiques inscrits en bas des étiquettes, comme une épaisseur du temps qui nous renvoie à un passé plus ou moins lointain. Que faisions-nous en 2005 ? Qui étions-nous en 1996 ? Avec qui buvions-nous ce formidable pommard 1990 ? Que serait un vin sans millésime ? Appellerai­t-il le passé comme ces glorieux flacons ? Serait-il cette puissante machine à remonter le temps qui nous fait voyager dans un verre de vin, comme sur un océan de souvenirs ? Un champagne non millésimé, aussi délicieux soit-il, n’apparaîtra jamais avec la même ampleur évocatrice qu’un autre champagne dont la date est gravée sur l’étiquette.

Le millésime confère au vin son ancrage mémoriel, tant pour le vigneron que pour l’oenophile. Au-delà de l’année qu’il affiche, il délivre une dimension culturelle et sociale à l’écho universel. Comme des ricochets à la surface de l’eau, ses ondes produisent une mémoire chorale où cohabitent souvenirs de producteur­s et de consommate­urs. Ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait différents. Mémoires intimes et universell­es à la fois. Le vigneron revoit des pluies, la chaleur, une vinificati­on, des gestes. L’amateur, la grandeur du millésime recherché, un moment de dégustatio­n, une date dans son panthéon personnel.

Il était normal que La Revue du Vin de France consacre un hors-série à cette notion primordial­e dans la compréhens­ion des grands vins. Pour cela nous avons ouvert le débat avec deux grandes mémoires des vignobles bordelais et bourguigno­n : Jean-Michel Cazes, du château Lynch-Bages, et Pierre-Henry Gagey, de la maison Louis Jadot. L’exercice donne lieu à une conversati­on riche en souvenirs, en points de vue et en différence­s. Nous pensions observer deux civilisati­ons du vin que tout oppose, nous voyons dialoguer deux grandes régions complément­aires l’une de l’autre.

Il nous fallait également comprendre comment est née cette notion. C’est une histoire de contenants et d’étanchéité. Dès l’Antiquité, grâce aux amphores scellées, des vins de cent ans étaient bus lors de mythiques banquets. Mais ensuite, sans flacon étanche à l’air, il a fallu attendre le XVIIIe siècle, et l’invention de la bouteille de verre, pour que le vin retrouve enfin le chemin du vieillisse­ment ; et, de là, cette notion de millésime qui nous est si précieuse.

LE MILLÉSIME CONFÈRE AU VIN SON ANCRAGE MÉMORIEL. AU-DELÀ DE LA DATE QU’IL AFFICHE, IL DÉLIVRE UNE DIMENSION CULTURELLE ET SOCIALE À L’ÉCHO UNIVERSEL.

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Par Jérôme Baudouin

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