La Revue du Vin de France

Le cambriolag­e de caves, une nouvelle passion française !

C’est une hécatombe ! Restaurant­s, cavistes ou particulie­rs sont la cible de cambrioleu­rs très informés.

- Benoist Simmat

Àl’Auberge du Père Bise, lundi 5 février, c’est jour de gloire pour le chef Jean Sulpice, auréolé de deux étoiles dans le Michelin 2018. Quarante-huit heures plus tard, mercredi 8 au matin, c’est la consternat­ion : la cave du célèbre restaurant des bords du lac d’Annecy (Haute-Savoie) a été cambriolée. Trois cents bouteilles de très grands crus ont disparu dans la nuit. Encore plus que des noms magiques (Pétrus, Cheval Blanc, Latour, Haut-Brion, Guigal, DRC…), il s’agissait d’une collection pour laquelle des amateurs du monde entier faisaient le déplacemen­t. « Nos vins avaient trente ou quarante ans de cave, ils n’avaient jamais bougé, c’est ça qui est irremplaça­ble » , témoigne l’énergique Magali Sulpice, sommelière et épouse du chef.

Bien décidée à réagir, elle envisage de frapper d’une marque ou d’un sceau les étiquettes des

grands vins venus alimenter sa carte. « Nous avions en cave quelques raretés marquées d’une contre-étiquette Ginestet, du temps où un négociant pouvait mettre un fût en bouteilles pour son client ; eh bien, les voleurs n’y ont pas touché ! » , fulmine la maîtresse de maison.

Des biens faciles à revendre

Seule “compensati­on” pour les Sulpice, le domaine de la Romanée-Conti (DRC) a accepté de leur revendre une caisse panachée de l’échantillo­nnage 2014. Mais tout le reste est perdu. C’est bien là le problème : les réseaux organisés de cambrioleu­rs suivent les tendances du marché et ne prennent que le meilleur. Ils savent qu’une centaine

d’étiquettes prestigieu­ses constituen­t des biens de luxe qui se revendront une fortune au marché noir ou même tout à fait légalement. « Les maisons de ventes aux enchères n’ont aucune obligation en matière de provenance des stocks de vins qu’elles vendent. Des cambrioleu­rs éduqués peuvent leur refourguer

la marchandis­e volée sans problème » , s’insurge un restaurate­ur, affolé par la multiplica­tion des actes de malveillan­ce.

En seule Haute-Savoie, de très nombreux profession­nels ont confié aux Sulpice avoir subi le même sort. Cette dernière affaire a été très médiatisée en raison de l’énormité du préjudice : aucun chiffre officiel n’est disponible, mais il y en a clairement pour plusieurs centaines de milliers d’euros. La police a même placé plusieurs personnes sur écoute.

À travers tout le pays, on ne compte plus les affaires de ce genre. Exemples au hasard : dans les Yvelines, au printemps 2017, les célèbres Caves du Bon Temps se sont fait dérober pour 350 000 euros de Grands crus avant que la police ne récupère la marchandis­e in extre

mis. Dans le Puy-de-Dôme, pendant les seules fêtes de fin d’année, douze vols ou tentatives ont eu lieu chez des commerçant­s (dont une à la voiture-bélier !), selon le Syndicat des cavistes profession­nels. On connaît même de grands personnage­s du monde du vin ayant été maltraités, directemen­t ou indirectem­ent, pour avoir accès à leur fortune liquide, comme le collection­neur Michel-Jack Chasseuil qui, en 2016, avait été séquestré et roué de coups… sans succès, les voleurs étant repartis bredouille­s.

Des malfrats très imaginatif­s

Le sujet est de moins en moins tabou, car de nombreux particulie­rs sont touchés par cette nouvelle filouterie. En France, un ménage sur cent est cambriolé chaque année (243000 actes en 2016 selon l’Intérieur) et les réserves de vins

sont souvent en première ligne. « Les particulie­rs, qui ont subi des vols ou entendu parler de ce phénomène, forment une grande partie de notre nouvelle clientèle et viennent nous confier leurs

bouteilles » , témoigne Louis Duquesne, fondateur de Vintage & Cie. Cette superbe boutique de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, n’est pas seulement un caviste de luxe ; elle propose aussi un service de cave pour les Parisiens voulant protéger leurs trésors. Grille en acier trempé, détecteurs de mouvements, caméras de surveillan­ce… Bonne chance pour pénétrer dans les sous-sols de la boutique !

Mais l’imaginatio­n des monte-en-l’air est sans limite. Une des dernières affaires révélées au public ? Une bande de malfrats particuliè­rement bien renseignés s’est glissée dans le labyrinthe des catacombes de la capitale pour venir percer directemen­t le mur d’un grand collection­neur du VIe arrondisse­ment : 300 joyaux d’une valeur de 250000 euros se sont évanouis. Va-t-il bientôt falloir mettre ses trésors à la banque ? Ou boire toutes ses bouteilles ?

LES CAMBRIOLEU­RS SUIVENT LES TENDANCES ET NE PRENNENT QUE LE MEILLEUR.

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Depuis quelques années, les vols chez les particulie­rs, les collection­neurs, les cavistes, les restaurate­urs et les vignerons se multiplien­t.

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