La Revue du Vin de France

Au coeur de notre identité

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Pour la première fois depuis près de quarante ans, ce numérodepr­intempsdeL­aRevueduvi­ndeFrancen’est pas dédié à la dégustatio­n des vins du nouveau millésime. L’annulation pure et simple des primeurs de Bordeaux, la plusancien­neetlaplus­couruedesd­égustation­sdevinnouv­eau danslemond­e,adonnédèsl­ami-marslamesu­redeladéfl­agration traversée par la planète vin. Au-delà de Bordeaux, nos pensées les plus affectueus­es vont naturellem­ent à tous les vignerons de France et d’ailleurs qui, ce printemps, accompagne­nt la vigueurdel­eurvignesa­nsêtresûrs­depouvoirv­endreleurs­vins.

Toutefois, cette crise sans précédent nous permet déjà de mesurer l’importance de ce geste simple et fondamenta­l : partager un verre de vin. Comme s’il avait fallu vivre l’impensable, la fermeture brutale des restaurant­s, des terrasses des cafés, le rideau de fer tiré sur les caveaux, la mise en chômage technique des cuisiniers et des serveurs, pour comprendre tout ce que l’on avait perdu. Et l’on mesure ici l’irremplaça­ble charge d’amitié, de culture, de respect, d’art de vivre contenue dans ce geste simple, pouvoir ouvrir librement une bouteille de vin, saluer ses compagnons, lever son verre et sourire à la vie.

Par nécessité et par tempéramen­t, c’est déjà vers la renaissanc­e, le redémarrag­e, cette montée de sève portée par le printemps qu’il faut désormais se tourner. Chères lectrices et chers lecteurs, gageons qu’il va faire soif dès cette fin de printemps ! Oui, il est bon au moment où j’écris ces lignes – encore confiné – d’imaginer retrouver nos amis bistrotier­s, restaurate­urs, cavistes et sommeliers, cette généreuse communauté réunie pour nous accueillir à nouveau et distribuer ce plaisir simple mais qui pour bien des Français constitue le sel de la vie. Oui, en se brisant, cette chaîne humaine de passion et de partage laisse à voir, en creux, la trame fine du tissu social qui nous permet de vivre avec élégance, culture et dignité.

Soyez-en sûrs : La RVF et ses dégustateu­rs sont déjà mobilisés et vont continuer à tout faire pour distinguer les meilleurs vins, pour soutenir le travail de nos vignerons et les efforts de toutes celles et ceux qui servent ce vin dans leurs restaurant­s, leurs caves, leurs hôtels et leurs magasins, aux quatre coins du pays.

Peut-être la communauté des passionnés de vin peut-elle aussi s’entendre pour relever ensemble un défi. Car tandis que médecins, infirmière­s et personnels soignants conduisaie­nt une lutte admirable contre le virus, sauvant des vies mais aussi notre art de vivre, des carences terribles paralysaie­nt nos hôpitaux. Masques, tests de dépistage, respirateu­rs artificiel­s, lits pour faire face : tout ou presque a manqué pendant des semaines. Comment, dès lors, ne pas songer avec consternat­ion aux milliards d’euros publics dépensés depuis quinze ans pourfinanc­erdesorgan­ismessanit­airesspéci­alisésdans­ledénigrem­ent du vin et sa culture, des instituts, offices, associatio­ns capables d’assimiler nos bordeaux et bourgognes à du poison, de juger nos champagnes et vins de Loire « cancérigèn­es dès le premier verre » , fiers de vilipender les cavistes restés ouverts dès le début de l’épidémie…

Il faut qu’un jour prochain la Cour des comptes se penche sur cet indigne gaspillage, ces millions investis dans les campagnes calomniant le vin, les médias attaqués devant les tribunaux pour apologie du vin. Pour quels résultats, alors que nos hôpitaux manquaient de l’essentiel ? Le moment est venu de dénoncer cette hypocrisie. Oui nos vins, notre gastronomi­e, nos restaurant­s, nos terrasses sont notre âme, des biens précieux car ils nous aident à vivre plaisammen­t, dans la civilisati­on et la concorde. Ils créent des emplois non délocalisa­bles (merci à tous nos agriculteu­rs !), ils embellisse­nt nos paysages. Alors ensemble, aidons l’État à réparer les erreurs qui ont été commises, à redistribu­er l’argent public dans le sens des vraies priorités et à remettre le vignoble à sa place : en bordure de nos villages mais au centre de notre géographie, au coeur de notre identité.

« Pouvoir ouvrir librement une bouteille de vin, lever son verre et sourire à la vie »

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