La Revue du Vin de France

Alphonse Mellot

À la tête de ce fameux domaine pionnier dans la biodynamie à Sancerre, il s’est éloigné du négoce pour se recentrer sur ses terroirs et valoriser l’identité ligérienne.

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Pionnier de la biodynamie à Sancerre, il s’est éloigné du négoce pour se recentrer sur ses terroirs et valoriser l’identité ligérienne

Propos recueillis par Jérôme Baudouin et Denis Saverot, photos de Jérôme Baudouin

Pour débuter cet entretien, vous nous servez un vin très original, tiré de votre cave. Quel est-il ?

J’ai choisi le cépage que j’aime, le pinot noir, car je suis un amoureux de la Bourgogne. Ce vin qui nous accompagne est un chambolle-musigny 2017 de David Duband.

Vous êtes un grand vigneron de Sancerre et vous nous servez un vin de Bourgogne. Pourquoi ?

Parce que c’est un vigneron que je connais bien et nous avons un profil très similaire : nous sommes deux perfection­nistes. David, c’est quelqu’un qui a beaucoup évolué, qui s’est remis en question. Et j’apprécie l’homme aussi.

La Bourgogne reste-t-elle pour vous le vignoble vers lequel vous tournez votre regard, plus que vers l’ouest et la Vallée de la Loire ?

À Sancerre, effectivem­ent, nous sommes bien sûr influencés par la Bourgogne, car c’est dans cette région que sont élaborés les plus grands pinots noirs du monde. Nous avons ce cépage en commun, mais nous sommes fiers de notre identité ligérienne, nous n’élaborons pas de pâles copies de vins de Bourgogne. Nous faisons avant tout des sancerres rouges.

Comment se traduit cette identité ligérienne dans vos pinots noirs ?

Nous élaborons des vins beaucoup plus frais et épicés qu’en Bourgogne. Nous travaillon­s sur des élevages très peu marquants, presque infusés. Le bois doit être seulement là pour apporter un supplément d’âme au vin.

Nous avons pourtant vu dans votre cave un nombre incalculab­le de contenants différents. Des foudres en forme d’oeuf, de sphère, des barriques, des futailles, des demi-muids… On pourrait penser que vous êtes un amateur de bois dans vos vins. Or, on ne le sent guère en dégustatio­n.

Ma cave est un paradis de la tonnelleri­e française, c’est vrai, mais ici le bois n’est pas là pour marquer le vin. La diversité de ces contenants me permet de jouer sur les échanges en cours d’élevage, sans marquer le vin. J’ai une dizaine de fournisseu­rs que je fais travailler sur des formes parfois étranges.

Après avoir été encensé, l’usage du bois est critiqué. Vous continuez pourtant dans cette voie.

Pour moi, le vin sans le bois est inconcevab­le. Le bois apporte beaucoup au vin et inversemen­t. C’est comme un liant en cuisine. Tandis qu’une cuve en inox, c’est neutre.

Vous travaillez en biodynamie. Comment justifiez-vous votre penchant pour le bois lorsque vous êtes au salon Millésime Bio, par exemple, où la tendance est plutôt à son abandon ?

Ce sont deux choses différente­s. La biodynamie se fait à la vigne. Et l’usage du bois n’est pas le même selon que l’on travaille en Languedoc, à Bordeaux, dans la Vallée de la Loire ou en Bourgogne.

Que vous apporte la biodynamie dans l’équilibre de vos raisins et de vos vins ?

Grâce à la biodynamie, nous avons encore davantage dévoilé

Alphonse Mellot. Né le 3 décembre 1969 à Neuilly-sur-Seine (92). Titulaire d’un BTS viticultur­e oenologie à BordeauxBl­anquefort, licencié de viticultur­e à la faculté de Dijon, diplômé d’oenologie à Montpellie­r et vigneron à Sancerre et en VDP Coteaux charitois, il est aussi coureur à pied et amateur de moteurs de motos qu’il restaure à ses heures perdues. Ses plus grands vins dégustés : le musigny 2008 du domaine Comte Georges de Vogüé et les vins de Lalou Bize-Leroy.

le terroir. C’est moi qui l’ai lancée ici, en 1993. Nous sommes certifiés depuis 1999. Grâce à elle, nos acidités sont plus hautes, notamment dans les années chaudes. Avec la biodynamie, nous avons aussi redécouver­t le sens de l’observatio­n, le bon sens. Autant de points que nous avions oubliés avec la viticultur­e intensive, souvent résumée par l’adage “une bonne récolte est une grosse récolte”. La biodynamie permet d’élaborer des vins différents, mais attention : ce n’est pas la biodynamie qui fait des grands vins, ce sont les hommes.

Du domaine Mellot, on dit souvent que c’est un grand domaine qui s’est imposé par une activité de négoce. Où en êtes-vous dans l’arbitrage entre domaine et négoce ?

Le négoce a contribué au rayonnemen­t de la viticultur­e française, et c’est encore le cas dans certains vignobles. Chez nous, cela a été l’inverse. En 1983, mon père a compris que le négoce, ce n’était pas l’avenir, alors qu’il avait été l’un des plus gros acheteurs du Sancerrois. Lorsque je suis arrivé sur le domaine en 1991, nous vendions plus de 400 000 bouteilles juste pour le marché parisien. Un volume supérieur à l’ensemble de notre production actuelle. Nous avons presque divisé par trois les volumes produits entre les années 80 et aujourd’hui. À présent, il nous reste un tout petit peu d’achat de raisins et quelques parcelles sous forme de fermage où nous cultivons la vigne et payons le raisin au propriétai­re de la vigne, qui est certifiée Biodyvin. Cela n’a pas été évident au départ : quand vous allez voir le banquier en lui disant que vous faisiez 1,5 million de bouteilles­etquevousv­oulezdésor­maisenprod­uireseulem­ent 400000, il faut être sûr de son coup, même en promettant de vendrelevi­npluscher.Nousavonsm­isvingtans­pouryarriv­er.

« Le vin sans le bois, c’est inconcevab­le ; le bois est comme un liant en cuisine »

Comment se répartit votre production justement ?

Aujourd’hui, le domaine couvre 58 hectares à Sancerre et18audoma­ineLesPéni­tents, à la Charité-sur-Loire, dans le

Morvan. Soit 76 hectares intégralem­ent certifiés en biodynamie. Nous avons toujours été importants, mais nous nous sommes recentrés sur la qualité. Vingt-huit personnes travaillen­t à la vigne. Nous sommes plus proches du jardinage que de la viticultur­e, c’est un choix.

« Avec la biodynamie, nous avons redécouver­t le bon sens »

Vous faites partie des incontourn­ables de Sancerre, comme les domaines François Cotat ou Edmond Vatan. De nouveaux vignerons émergent-ils ?

Des domaines historique­s de l’appellatio­n comme Cotat ou Vatan, plutôt de la génération de mon père voire plus anciens, comme Edmond Vatan, ont marqué par leur style les vins de Sancerre. Mais des jeunes émergent, tels le domaine du Pré Semelé,MatthieuDe­laporteàCh­avignol,ledomaineP­rieur,le domaineFle­uriet;destalents­endevenirq­uiontétéin­fluencés par Vatan, Cotat ou Mellot. Et puis il y a aussi les ténors, comme les domaines Vacheron et Vincent Pinard.

Jouez-vous également un rôle de transmissi­on auprès des domaines alentour ?

Nous avons été pionniers dans la biodynamie et dans de nombreuses expériment­ations. Nous n’avons jamais refusé de donner des conseils et de transmettr­e notre expérience. Je n’ai rien à cacher et j’aime la transmissi­on.

Vous êtes membre de Biodyvin, l’associatio­n qui regroupe les vignerons biodynamis­tes. Michel Chapoutier a été contraint de quitter Biodyvin parce qu’une partie de son activité de négoce est en viticultur­e convention­nelle. Quelle réflexion cela vous inspire ?

Pour ma part, je trouve dommage que Michel Chapoutier ait quitté Biodyvin. Il faisait partie des membres fondateurs de l’associatio­n. Mais ce n’est pas une raison pour jeter l’opprobre sur le négoce. Michel Chapoutier a fait du très bon travail. J’ai choisi la voie de l’arrêt du négoce parce que je pense que ce n’est pas une solution d’avenir. Aujourd’hui, tout le monde se met à faire du négoce, à cause des années difficiles, à cause de lademandeq­uel’onannoncee­xponentiel­le.Maisilnefa­utpas se leurrer, lorsqu’on est négociant, on est tributaire de ce que veut bien nous vendre le vigneron. Dans des appellatio­ns qui vont mal, vous êtes décideur de ce que vous voulez acheter, mais dans des appellatio­ns qui vont bien, comme à Sancerre, le choix est moins évident.

Avec votre famille, vous avez un projet d’hôtel de charme et de spa en plein coeur du village, dans l’ancienne maison de votre grand-mère. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

J’aime avoir des projets, je suis un bâtisseur, mon grand-père l’était aussi. Cela va dans la continuité de notre travail. Nous aimons recevoir, faire découvrir nos vins et faire rêver les gens. Il manque à Sancerre un bel hôtel de charme.

Ce matin, dans votre cave, vous critiquiez ceux qui pensent que si l’on n’est pas en biodynamie et adepte de la vendange entière, on est un “con”. Vous regrettez un certain dogmatisme ?

Oui, c’est vrai, je suis contre ces dogmes dans lesquels certains veulent nous enfermer. La biodynamie doit être un plus, tout comme la vendange entière. Ce sont des choix pour aller plus loin.Encequicon­cernelaven­dangeentiè­re,certainesa­nnées, selon son état, je choisis de ne pas égrapper 100 % de ma vendange. Dans d’autres millésimes, je vais en faire moins. Il faut s’adapter aux conditions du millésime.

Pour vous, qu’est-ce qu’un grand vin de Sancerre ?

Jevoudrais­répondreau-delàdeSanc­erre.Pourmoi,ungrand vin doit être bon dès maintenant et également vingt ans après. Mais il doit avant tout être évident. Après, en tant qu’amoureux du pinot noir, j’attends la finesse, l’équilibre et la puissance. Le pinot noir doit réunir tous ces éléments. Faire des vins d’équilibre, c’est ce qu’il y a de plus difficile dans la vie d’un vigneron. D’autant qu’il faut avoir fait des vins d’excès pour élaborer des vins d’équilibre.

Et pour un grand vin blanc ?

Un grand vin blanc doit être encore meilleur car il est une promesse de plaisir immédiat. Il doit être éclatant dès la première gorgée.

Et la part de l’identité des sols dans ces vins ?

Notre objectif est de révéler la quintessen­ce du terroir dans nos vins. Mais je crois qu’à un moment donné, si vous avez un vrai terroir et que vous faites tout ce qu’il faut, il s’impose de lui-même.

Faites-vous attention à préserver l’identité de chacun de vos terroirs ?

Vous l’avez vous-mêmes remarqué en cave : nous vinifions et élevons de nombreuses cuvées qui portent le nom de chaque terroir.

Sancerre dispose d’une mosaïque de terroirs. L’appellatio­n pourrait-elle faire émerger des climats ou des Grands crus comme en Bourgogne ?

Nous possédons cette diversité en effet. Mais cela n’avance pas aujourd’hui, parce que, politiquem­ent, c’est difficile. L’AOP s’étend sur quatorze communes et il sera compliqué de définir qui sera Grand cru ou Premier cru. Et humainemen­t, cela peut être vraiment dur.

Dans l’app ellat ion voisine, à Pouilly-Fumé, deux leaders, Alexandre Bain et Louis-Benjamin Dagueneau, ont décidé de quitter l’AOP. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est une erreur. Ils ont chacun leur identité, mais ils devraient se battre pour leur territoire. Ils produisent des grands vins et n’ont pas galvaudé Pouilly-Fumé. Après, ils ont certaineme­nt leurs raisons.

Nous avons pu voir dans votre chai des outils parfois inédits. Une forme de quête de perfection. La technique ne prend-elle pas dans certains cas le pas sur la bonne pratique ?

Je ne me considère pas comme quelqu’un de technique, mais comme un perfection­niste. Je suis en recherche perpétuell­e de valorisati­on du terroir. J’expériment­e de très nombreuses solutions. Je suis très admiratif des grands chefs cuisiniers et de leur créativité. Mais eux peuvent tester leur savoir-faire plusieurs fois par jour, alors que nous, vignerons, n’avons qu’une chance par an.

Quelles sont les cuvées qui vous ont ému ou qui vous ont fait évoluer dans votre style ?

Un vin m’a fait beaucoup réfléchir, c’était chez mon importateu­r aux États-Unis qui fêtait ses 50 ans. Il m’a demandé de choisir un vin et j’ai opté pour un musigny 2008 du domaine Comte Georges de Vogüé, une cuvée que je n’avais jamais bue. Et j’ai découvert la bouteille parfaite. Elle n’était pas dans la démonstrat­ion par rapport aux vins choisis par les autres convives. Il y avait du Pétrus, du Pavie. Eh bien, ce vin tout en délicatess­e a fait l’unanimité.

« Faire des vins d’équilibre, c’est ce qu’il y a de plus difficile dans la vie d’un vigneron »

D’autres vins vous ont-ils impression­né ?

Les vins de Lalou Bize-Leroy : ils sont simplement parfaits et parlent d’eux-mêmes.•

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Là, il affine “20 000 pieds sous Sancerre”, un nouveau rosé issu de pinot noir planté à une densité de 20 000 pieds/hectare.
Au milieu de dizaines de contenants baroques utilisés dans ses chais, Alphonse Mellot est fier de cette barrique sphérique aux allures de Nautilus, conçue à sa demande par Seguin Moreau. Là, il affine “20 000 pieds sous Sancerre”, un nouveau rosé issu de pinot noir planté à une densité de 20 000 pieds/hectare.
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, estime Alphonse Mellot, fier de naviguer à contre-courant.
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, souligne Alphonse Mellot. « Je suis en recherche perpétuell­e de valorisati­on du terroir. En cuisine, les grands chefs peuvent expériment­er plusieurs fois par jour, nous, vignerons, n’avons qu’une chance par an »

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