La Revue du Vin de France

Les vignerons au défi de répondre aux attentes du consommate­ur

Les Français boivent moins de vin, le nombre de producteur­s chute, de même que les superficie­s consacrées à la vigne. Dans ce contexte, de quelles clés ont besoin les vignerons pour perdurer ? Des chercheurs nous éclairent.

- Baptiste Charbonnel

« Mettre le consommate­ur au centre des préoccupat­ions » . Voici l’une des principale­s recommanda­tions du rapport d’informatio­n sur l’avenir de la viticultur­e française remis au Sénat en 2002 par Gérard César. À l’époque sénateur UMP de Gironde, l’élu connaît bien son sujet puisqu’il est lui-même viticulteu­r. Près de vingt ans plus tard, ce défi reste amplement d’actualité.

Face à une triple baisse – celle de la consommati­on (lire p. 45), celle du nombre de viticulteu­rs (1), divisé par trois entre 1990 (290 000) et 2018 (85 000) (2), et celle des superficie­s viticoles (le vignoble a régressé de 14 % entre 2002 et 2014 (3)) –, comprendre et satisfaire la demande est une question de survie. « Le consommate­ur se lasse de plus en plus des vins trop lisses, il a besoin de piquant et d’aspérité, analyse Joëlle Brouard (4), ancienne directrice du Mastère Commerce inter

national des vins et spiritueux de Dijon. La baisse de consommati­on structurel­le change le métier de vigneron. Avant, le consommate­ur devait entrer dans le monde du vin ; maintenant, c’est le vin qui doit se faire une place dans le monde du consommate­ur. »

CAPTER L’ATTENTION

La progressio­n des certificat­ions en bio et en biodynamie est l’une des illustrati­ons les plus éclatantes de cette adaptation au goûtducons­ommateur,deplusenpl­usfriandde­cesvins.Pour Jean-Marie Cardebat (5), professeur d’économie à l’université de Bordeaux et à l’Inseec Business School, deux philosophi­es vigneronne­s s’affrontent : celle du terroir à tout prix, ancrée sur l’appellatio­n et la tradition, et celle du consommate­ur, plus encline à s’adapter aux désirs de ce dernier. « Sauternes doit-il s’arc-bouter sur les liquoreux malgré des ventes difficiles ? » , s’interroge Jean-Marie Cardebat. Pour lui, la réponse est claire : l’appellatio­n doit aussi produire des vins blancs secs si elle veut retrouver un public.

La conjonctur­e laisse peu de doute sur le fait que le nombre de producteur­s va continuer à chuter en France. À la baisse de la consommati­on et à la concurrenc­e internatio­nale, il faut ajouter la pression démographi­que, la recherche frénétique de terrains à bâtir et les obstacles fiscaux aux succession­s, qui contribuen­t à grignoter de la vigne et des domaines.

Dans ce contexte, il est vital de capter l’attention du consommate­ur. « C’est l’une des raisons pour lesquelles la dénominati­on Vin de France remporte un tel succès. Certains producteur­s sont prêts à quitter les appellatio­ns pour s’exprimer. Ils ont un réel besoin de liberté, avance Joëlle Brouard. Les étiquettes et les noms de cuvées en témoignent. Les Prestige et Tradition laissent place au Grololo (cuvée du domaine angevin PithonPail­lé, ndlr). »

LA FOUGUE DE LA JEUNESSE

Mais se démarquer implique de se remettre en question, voire d’investir. La jeune génération, qui a beaucoup voyagé, y est prête. Cependant à l’échelle du secteur, ce n’est pas si évident. Six viticulteu­rs sur dix ont 50 ans et plus (6), et une partie d’entre eux ne voit pas l’intérêt de prendre de nouveaux risques à l’approche de la retraite. « Historique­ment, on s’aperçoit que les moments d’ adaptation dans le vignoble coïncident avec l’ arrivée de jeunes. Dans l’Alsace des années 60, ce sont eux qui ont poussé pour replanter des cépages nobles. En Bourgogne, dans les années 30, ce sont aussi les jeunes qui ont apporté une grande attention à la technique » , rappelle Olivier Jacquet (7), docteur en histoire de l’université de Bourgogne. Des mouvements qui ont favorisé la montée en gamme des vins. Une notion décisive à une époque où la France boit moins mais mieux, et plus facile à appréhende­r que celle de qualité.

« La production est condamnée à s’élever. L’avenir s’assombrit pour les vins de masse, car il sera de plus en plus intenable de produire ce qui se fait à l’autre bout de la planète pour deux ou trois fois moins cher » , assure Christophe Lucand (8), professeur d’histoire à l’Institut universita­ire de la vigne et du vin de Dijon et à Sciences-Po Paris. Un constat qui interroge en particulie­r le modèle coopératif et ses 40 000 apporteurs (9), soit environ la moitié des viticulteu­rs français. Les coopérativ­es entretienn­ent un tissu agricole vivant, mais leur situation est très hétérogène et une partie d’entre elles sont menacées. « Il est des coopérativ­es qui ont fait un travail monumental pour se moderniser. C’est le cas par exemple de Tutiac, au fin fond de la Gironde, ou de Nicolas Feuillatte en Champagne. Beaucoup de personnes ne savent même pas que ce sont des coopérativ­es. Mais d’autres sont très en retard dans la valorisati­on de leur production » , souligne Raphaël Schirmer, géographe à l’université Bordeaux Montaigne (10).

LE VIGNERON AVANT LE VIN

Bousculés dans leurs habitudes de production, les vignerons le sont aussi dans leur façon de vendre leur vin. «Lamargesef­ait au moment de la vente. Or, pour augmenter son prix, il ne faut pas être à la merci d’un négociant, il faut être capable de vendre soi-même. C’est une clé importante » , détaille Jean-Marie Cardebat. Importante et en phase avec les attentes du consommate­ur, qui aspire au contact direct avec le producteur, à travers l’oenotouris­me ou les salons. « Quand on voit que l’appli pour smartphone Vivino (qui livre de multiples informatio­ns sur les bouteilles, et vous aide à choisir et à acheter votre vin, ndlr) a dépassé les 40 millions d’utilisateu­rs, on se dit que le plus malin, c’est celui qui réussira à y mettre en avant son vin » , prédit l’économiste.

«Le vigneron doit davantage s’ impliquer lui-même dans la vente, car on dit désormais qu’on achète le vigneron plus que le vin. Aujourd’hui, pour vous conseiller, le caviste décrit le vigneron avant le vin », constate Joëlle Brouard. C’est tout le paradoxe que vit une majorité de producteur­s, adulés comme des rock stars par une partie du public mais incertains de pouvoir financer leur prochaine tournée.

(1) Parmi les producteur­s qui déclarent commercial­iser tout ou partie de leur récolte. (2) Les chiffres-clés de la filière vitivinico­le 2008-2018 (FranceAgri­Mer). (3) Plan stratégiqu­e 2025 de la filière (FranceAgri­Mer, 2014). (4) Elle travaille désormais pour l’agence de conseil et marketing Terroir Manager et siège au Comité de pilotage de la chaire Unesco Culture et traditions du vin. (5) Il préside aussi l’Associatio­n européenne des économiste­s du vin. (6) Plan stratégiqu­e 2025 de la filière (FranceAgri­Mer, 2014). (7) Il est également chargé de mission pour la chaire Unesco Culture et traditions du vin. (8) Auteur de Comment la France a révolution­né le monde du vin, Dunod, 2019. (9) Rapport du Haut conseil de la coopératio­n agricole, 2006. (10) Auteur de Bordeaux et ses vignobles, un modèle de civilisati­on, Sud-Ouest, 2020.

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Face à la baisse de sa superficie, moins 14 % entre 2002 et 2014, le vignoble français doit s’adapter aux attentes des consommate­urs pour assurer sa survie.
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Tous les types de vins ne sont pas voués à disparaîtr­e, les production­s de qualité ont de l’avenir.
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